Un texte signé Vincent Trajan

Etats-Unis - 1931 - Tod Browning, Karl Freund
Interprètes : Bela Lugosi, Helen Chandler, David Manners, Dwight Frye, Edward Van Sloan,

BIFFF 2013retrospective

Dracula

A la fin des années 20, la compétition entre les différents studios hollywoodiens fait rage, et la Univeral est à la traîne, si bien que Carl Laemmle, le fondateur de la structure est contraint de laisser sa place à son propre fils, Carl Laemmle Jr alors à peine âgé de 20 ans, afin que ce jeune loup aux dents longues remette le studio dans la course…
Désireux de renouer avec les succès du BOSSU DE NOTRE DAME (1923) et du FANTÔME DE L’OPERA (1925), le jeune homme veut se (re)lancer dans le cinéma horrifique et gothique pour se démarquer coûte que coûte de la concurrence.
Mais à l’heure où DR JECKYL ET MR HYDE squatte les locaux de la MGM et que KING KONG escalade l’immeuble de la RKO, la Universal est en panne d’idée : quel personnage pourrait tenir la dragée haute aux monstres mythiques des autres grands studios ?

Suite au succès du NOSFERATU de 1922 de F. W. Murnau, et malgré tout le ramdam juridique lié à l’exploitation du film (le réalisateur allemand n’a pas jugé bon d’avertir les ayants droit de Bram Stoker de l’existence de son film), Carl Laemmle Jr décide de racheter les droits d’exploitation de l’œuvre du célèbre romancier et d’adapter la pièce de théâtre DRACULA de Hamilton Deane et John L. Balderston sur grand écran dès 1931, en s’octroyant les services du réalisateur Tod Browning (LONDON AFTER MIDNIGHT) et de l’allemand Karl Freund, qui avait travaillé sur le METROPOLIS de Fritz Lang quatre ans plus tôt.

Pour ce qui est de l’acteur principal, les studios Universal sont à la peine : « l’homme aux 100 visages », le grand Lon Chaney (en contrat avec la MGM) vient tout juste de décéder d’un cancer, et aucun comédien ne semble coller au rôle du vampire, mis à part un étrange acteur venu tout droit de Hongrie, avec un accent à couper au couteau, un certain Bela Lugosi…
Et même s’il ne convainc pas vraiment les producteurs, l’homme a su s’imposer auprès d’eux en faisant valoir qu’il avait déjà joué le rôle de Dracula au théâtre en 1927 dans la pièce d’Hamilton Deane et John L. Balderston, et en ne demandant qu’un tout petit cachet de cinq cents dollars par semaine. Du pain béni pour Carl Laemmle Jr qui, sans trop croire en ce comédien inconnu, donne le feu vert à Tod Browning pour commencer le tournage du premier film horrifique de l’histoire du cinéma parlant.

Renfield (Dwight Frye), chargé de conclure une transaction immobilière avec le comte Dracula (Bela Lugosi), se rend en Transylvanie dans son château des Carpates. Le mystérieux aristocrate, qui s’avère être un vampire, hypnotise le jeune courtier et décide de s’installer en Angleterre pour y accomplir ses sombres projets au sein de la haute société locale…

Dès les premières minutes du métrages, le décorum macabre si cher à Bram Stoker est en place : la froide contrée des Carpates en proie aux loups (« les enfants de la nuit ») et le château en ruine du comte Dracula peuplé de chauves-souris et d’araignées géantes posent les jalons de l’univers horrifique de DRACULA. Puis, la rencontre du vampire avec Reinfield ainsi que le voyage en bateau pour l’Angleterre laissent entrevoir une ambiance mystérieuse, teintée de peur et de malaise, parfaitement mise en valeur par le duo Dwight Frye / Bela Lugosi, à l’instar de l’atmosphère du NOSFERATU de 1922…
Difficile pour le spectateur de l’époque de ne pas être pris à la gorge par cette entrée remarquable et saisissante !
Arrivé à Londres, le comte prend vite possession des lieux, près d’un asile psychiatrique (dans lequel est interné Reinfield) et s’insinue petit à petit dans la vie de la bourgeoisie voisine d’étendre son pouvoir.
Mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté du Professeur Van Helsing (Edward Van Sloan), un éminent savant, qui découvre bien vite que le comte Dracula est en fait un vampire (la découverte de deux marques de dents dans le cou des victimes, la scène du miroir dans lequel n’apparaît pas le reflet du comte…) et que la belle Mina (Helen Chandler), la fille du Dr Jack Seward (Herbert Bunston), le directeur de l’hôpital psychiatrique, est sous l’emprise du vampire.
C’est à partir de ce moment-là, que le rapport de force entre Dracula et Van Helsing devient plus prégnant (le plan de la tentative de l’hypnose) et que les deux personnages vont s’opposer férocement, laissant entrevoir une issue plus qu’incertaine…

Malgré ce scénario haletant, la réalisation de DRACULA reste elle, assez moyenne. Tod Browning semble avoir du mal à donner du relief à l’ensemble au travers d’une direction artistique qui ne sort jamais des sentiers battus, à l’inverse de la version espagnole tournée en même temps par George Melford, qui dépasse largement son modèle de la tête et des épaules.
De plus, l’apport de Karl Freund n’est limité qu’à seulement quelques plans (l’intérieur de la crypte du vampire) au profit de ceux de Tod Browning, si bien que l’aspect expressionniste si cher au réalisateur allemand passe aux oubliettes et ne permet pas au film de se doter d’un cadre formel à la hauteur du prestige de l’œuvre initiale…

Ceci étant, l’aspect horrifique omniprésent de DRACULA et sa poésie macabre gomment tous les petits défauts de la réalisation, et laisse exploser au grand jour l’immense charisme d’un Bela Lugosi totalement habité par son rôle de vampire. Le comédien maîtrise son sujet de bout en bout, et son phrasé si particulier donne une aura mystérieuse au film.
De même, l’interprétation de Dwight Frye (Renfield) en âme damnée du compte Dracula, est tout bonnement ahurissante tant il incarne à merveille la folie destructrice de son « maître » (la scène de l’arrivée du bateau à Londres ou l’attaque de la servante). Suite à ce métrage, l’acteur sera vite abonné aux rôles de malades mentaux dans bien d’autres pellicules du genre (FRANKENSTEIN, LA FIANCEE DE FRANKENSTEIN…).
De plus, DRACULA se veut fidèle à l’esprit de l’œuvre de Bram Stoker, refusant ainsi tout ressort comique, ne permettant pas au spectateur de l’époque de reprendre ses esprits face à de nombreuses scènes marquantes (l’attaque du vampire drapé de noir, les épouses de Dracula sortant de leurs tombeaux, l’arrivée de la chauve-souris, la scène du miroir dans lequel le conte n’a pas de reflet…).
Mieux encore : le film de Tod Browning possède d’une imagerie très forte (le château délabré du vampire, l’apparition de Lucy en morte vivante dans les bois…) et ce, même si elle n’est pas toujours montrée à l’écran (la transformation de Dracula en loup, Reinfield mangeant des insectes notamment…). C’est d’ailleurs là que se situe l’un des tours de force de DRACULA, laissant aux spectateur le soin de s’imaginer toute l’horreur dispensée par le vampire (le passage dans lequel Mina raconte que le conte s’est taillé les veines pour l’obliger à boire son sang).
A ce titre, la scène finale hors champ dans laquelle Van Helsing enfonce un pieu dans le cœur du vampire endormi dans un cercueil ne se réduit en fait qu’à un râle d’outre-tombe, mais synthétise à elle seule toute la force dramatique de la séquence.

En fin de compte, malgré une réalisation très conventionnelle et peu inspirée de Tod Browning qui ne signe pas ici son meilleur long métrage, DRACULA s’impose comme une référence du genre, notamment grâce à l’interprétation charismatique de Bela Lugosi et à l’immense portée de l’œuvre de Bram Stoker.
Le succès est tel que le film a su fédérer un large public à sa sortie (en partie relayé par la presse), relançant ainsi les studios du jeune Carl Laemmle Jr dans la course, et créant par là même, le tout premier « Universal Monster » d’une longue série !
Quatre-vingt-deux ans après sa sortie, DRACULA reste encore de nos jours un maître étalon de l’univers gothique / vampirique actuel, et l’un des films les plus marquants de l’histoire du cinéma horrifique actuel…

Retrouvez notre couverture du 31ème Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF).


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- Article rédigé par : Vincent Trajan

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