Ecorchés vifs

Un texte signé Stéphane Bex

Italie - 1978 - Mario Siciliano
Titres alternatifs : Scorticateli vivi
Interprètes : Bryan Rostron, Mario Novelli, Giuseppe Castellano

Rudy, criblé de dettes et passé à tabac par des truands, décide de tenter sa chance en Afrique, au Congo, auprès de son frère mercenaire et trafiquant de diamants. Mais ce dernier ayant été capturé par des rebelles Simbas, une expédition montée par une bande de mercenaires part à sa recherche. Arriveront-ils à arracher le colonel aux griffes des terribles rebelles ? Rudy pourra-t-il se réconcilier avec son frère et empocher la récompense si convoitée ?

Si ces quelques lignes ont quelque air de ressemblance avec les SEPT BERETS ROUGES de Siciliano, nul étonnement puisque les deux films séparés d’une petite dizaine d’années (les SEPT BERETS ROUGES sort en 1969 et ECORCHES VIFS en 1978), sont dûs au même réalisateur, Mario Siciliano, et que le réalisateur y recycle sans vergogne et à grands renforts de stock-shots une bonne moitié de sa première œuvre. Le procédé, s’il n’est pas original, prend ici une telle ampleur qu’il en devient remarquable, le réalisateur n’hésitant pas à faire de cette reprise un des principaux éléments du scénario : le voyage de Rudy, endetté, auprès de son frère en Afrique ne traduirait-il pas ici le manque de crédits du réalisateur, obligé pour tourner de faire appel à son premier succès et lui « voler » pour ainsi dire le trésor qu’il dissimule ?

Le tour de passe-passe effectué habilement ici par Siciliano prend donc pour base son premier film auquel sont greffés des éléments secondaires permettant de faire varier l’intrigue. Le replacement des acteurs reconnus du premier opus par des acteurs de seconde zone – mais tenant avec conviction leur partition – (Bryan Rostron dans le rôle de Rudy ; Anthony Freeman dans celui de Barney, leader désavoué par ses soldats et Charles Borromel dans celui de Franz, le frère ennemi) s’opère dans les scènes de groupes ou de gros plans, chaque fois que doit être montré le visage des acteurs. Le décalage, perceptible il est vrai par la différence des couleurs et des pellicules utilisées, est cependant assez mince pour se faire oublier et offrir au film l’étrange poésie du bis, allant de reprise en reprise, et de raccord en raccord, certains étant motivés et d’autres surgissant de façon plus incongrue. Le manque évident de moyens qui se ressent dans le choix des décors (un bout de carrière sert par exemple à établir le camp des rebelles) se remarque aussi dans l’absence lors des prises d’arrière-plans : à la luxuriante végétation africaine ont succédé des panneaux blancs et neutres de studio tendant à déréaliser l’ensemble du film et procurant l’impression fascinante que le film n’est au final que le remake rêvé d’un autre.

Tout ceci n’empêche étonnamment pas le film de se tenir largement au-dessus de la moyenne du genre et d’offrir une version plus nerveuse et ramassée de l’original. Le démarrage littéralement « sur des chapeaux de roues » avoue la volonté de se ranger dans le genre de l’action mais sans négliger pour autant ce qui faisait la richesse et l’intérêt des SEPT BERETS ROUGES. On y retrouve, encore accentuée, la même évocation cynique et désabusée d’une violence sans fin. Les deux frères ennemis – Rudy et Franz – viennent ainsi donner corps symboliquement et mythiquement à cet affrontement absurde de l’Homme contre l’Homme pour des intérêts sordides et des horizons dérisoires.
La leçon quasi existentialiste est encore plus claire dans cette œuvre : l’humanité n’est qu’un enfer et l’histoire un chaos de bruit et de fureur qui ne signifie rien. Assignée qu’elle est au sordide et à l’abject, la vie humaine n’a pas plus de valeur qu’un néant. L’amour y est souvent remplacé par le viol et Siciliano filme les intermèdes érotiques à la manière de luttes sans pitié. De la même manière, sous la violence des bagarres entre mercenaires se devine une forme d’érotisme brutal réaffirmé au fur et à mesure du film jusqu’à la lutte finale entre les deux frères se déroulant sous l’arbitrage d’un cobra.
Plus affirmé et moins ambigu cependant que les SEPT BERETS ROUGES apparaît ici le traitement réservé aux Africains. Si la violence déployée dans l’opus original n’épargnait personne, tout le monde prenant alternativement la place de victime ou de bourreau, elle est ici renvoyée essentiellement du côté occidental. Les exactions menées par les rebelles semblent bien faibles par rapport aux actes exécutés par les mercenaires qui violent, torturent et tuent allégrement. Une des scènes les plus violentes du film original y trouve d’ailleurs sa contrepartie occidentale, mettant en scène le sadisme de Charles Borromel et un chalumeau.
D’étranges et poétiques épisodes viennent enfin donner au tout une allure presqu’allégorique : l’évocation de la cité des morts se retrouve logiquement dans cet opus mais augmentée d’une visite incongrue et presque touristique dans un tombeau décoré de gravures égyptiennes mettant en scène Anubis. Nous sommes bien au royaume des morts et les démons qui torturent et tuent le jeune Noir expliquant les gravures à sa fiancée sont cette fois blancs et soi disant civilisés. Ailleurs, c’est une guitare mélancolique qui vient ponctuer une scène d’affrontement, comme si rien, même la violence, n’était sur cette terre susceptible de demeurer longtemps. Et dans ces meilleurs moments, le film développe une forme de mélancolie inattendue dans cette oeuvre où on s’insulte à chaque réplique et où on menace pour une blague d’arracher les yeux du farceur. Du chaos infernal jusqu’au spleen des barbouzes, le film déploie des zones de flamboiement ou de demi-teintes qui enrichissent sa palette, rajoutons ainsi au plaisir du genre.

On ne saurait donc assez conseiller de regarder cette œuvre, mais de le faire aussi dans la continuité des SEPT BERETS avec lesquels il forme diptyque.Voir l’un sans l’autre, c’est se priver de toute la poésie du bis qui passe par l’art du remploi et de l’auto-appropriation. Qui donc a prétendu que les œuvres fauchées étaient sans charme ?


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- Article rédigé par : Stéphane Bex


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