El jovencito Dracula

Un texte signé Philippe Chouvel

Espagne - 1977 - Carlos Benpar, Jordi Gigo
Interprètes : Susana Estrada, Victor Israel, Carlos Benpar, Veronica Miriel, Marina Ferri, Mir Ferry

Le comte Dracula, sentant que sa fin est proche, se rend à Londres auprès de son notaire afin de rédiger un testament. Il déshérite son fils Jonathan, qu’il estime indigne de son rang, au profit de Mina Harker, dernière descendante de Jonathan Harker. Celle-ci part pour la Transylvanie, en compagnie de son amie Lucy, où elles retrouvent peu après Jonathan Dracula, convié également par le notaire pour la lecture du testament dans le château ancestral. La Transylvanie est sous la coupe de Van Helsing, un armateur sans scrupules qui rêve de s’approprier le seul bien qui lui manque dans la région : le château de Dracula…
EL JOVENCITO DRACULA est une relecture pour le moins originale du roman de Bram Stoker. Les deux réalisateurs, Carlos Benpar (qui joue aussi le rôle titre, celui de Jonathan Dracula) et Jordi Gigo (à qui l’on doit « Le baiser du diable », une production Eurociné), ont placé le cadre dans un contexte contemporain. Ainsi, les protagonistes se trouvent être les descendants des personnages principaux du livre, jusqu’à Renfield et le notaire, qui s’appelle Hawkins. Mais les changements interviennent essentiellement dans l’étude de caractères, représentant les personnages en question sous un jour nouveau… et inattendu.
Jonathan Dracula apparaît comme un étudiant plutôt guindé préparant sa thèse ; Mina et Lucy sont de jeunes femmes frivoles ayant une relation lesbienne ; et Renfield, loin d’être fou, est décrit comme un obsédé sexuel. Van Helsing, lui, ne ressemble en rien à son ancêtre. Vénal et calculateur, il cherche par tous les moyens à s’emparer de l’héritage des Dracula. C’est un être sans morale et méprisable.
A la vision de ce film, il est évident que les auteurs ont tourné en dérision le mythe de Dracula. Pour autant, EL JOVENCITO DRACULA n’est pas une parodie, mais plutôt une comédie farfelue, dans laquelle l’absurde côtoie l’onirisme, le surréalisme et même l’érotisme. Les effets comiques sont nombreux mais jamais lourds, tendant au contraire vers le non sens. Cet humour pince-sans-rire est d’ailleurs assez déstabilisant, dans ce film latin, car il est plus souvent ancré dans la culture anglo-saxonne. De plus, le spectateur peut être également dérouté par le déroulement du film, qui alterne des scènes propres au cinéma d’auteur (comme le conflit idéologique opposant Jonathan et Mina), et d’autres se rapprochant ouvertement du film d’exploitation. Comme exemple marquant, on peut citer le passage dans lequel Mina et Lucy, à moitié nues et les yeux bandés, s’amusent à se badigeonner le corps de chocolat. De même, les moments où Lucy se promène dans les couloirs du château en nuisette transparente peuvent rappeler certains films de Jean Rollin. Et puis, il y a cet humour décalé, comme cette chauve-souris délivrant un télégramme à Jonathan, la secrétaire du notaire se rendant dans la chambre du même Jonathan vêtue d’un uniforme militaire, ou encore la façon (identique) dans laquelle le vieux comte Dracula puis le notaire passent de vie à trépas.
L’aspect surréaliste d’EL JOVENCITO DRACULA atteint son apogée dans les dernières minutes, prenant une tournure iconoclaste, avec notamment cette chute qui ramène presque au dénouement de LA MONTAGNE SACREE de Jodorowsky.
Saluons enfin la prestation d’ensemble des protagonistes du film. Dans l’ensemble, leur réputation n’eut guère l’occasion de dépasser les frontières de l’Espagne, même si certains cinéphiles ont pu apercevoir Veronica Miriel (Lucy) au côté de Paul Naschy dans l’un des volets de la saga consacrée à Waldemar Daninsky : DANS LES GRIFFES DU LOUP GAROU. Cela étant, le visage le plus familier de ce casting demeure sans aucun doute celui de Victor Israel, acteur ibérique à la longue carrière (pas loin d’un demi-siècle), et que l’on a pu voir dans des films aussi variés que LA RESIDENCE ou L’HOMME A LA TETE COUPEE. Souvent reclus à des rôles secondaires, il a ici un temps de présence à l’écran étoffé, lui permettant de mettre en valeur ses talents de comédien.
Œuvre relativement confidentielle, inédite en France, EL JOVENCITO DRACULA est aussi un film foncièrement original qui mérite le détour, et montre une autre facette du cinéma fantastique espagnol de l’époque.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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