Eric Valette : interview

Un texte signé Grégory Lécrivain

France - Eric Valette
Titres alternatifs : Maléfique, One missed call, Une affaire d'état, Hybrid, La proie, Braquo

Eric Valette est un réalisateur qui aime le genre. Logique qu’après y avoir présenté avec succès La Proie lors de l’édition 2011, il ait été invité l’année suivante pour faire partie du jury international du Festival international du film fantastique de Bruxelles (BIFFF). Rencontre avec le réalisateur de MALEFIQUE, ONE MISSED CALL, UNE AFFAIRE D’ETAT, LA PROIE…

Sueurs Froides : Quand on regarde votre filmographie, on constate que vous alternez régulièrement la télévision et le cinéma. Avez-vous une préférence ?

Eric Valette : Non, je ne marque aucune prédilection. Du moment que les projets se révèlent créatifs, je reste très ouvert et j’aime bien des exercices différents en terme de liberté, de budget et de rythme. Les projets sont amenés le plus souvent par le cours des événements, pas nécessairement par des choix personnels. C’est la vie qui dicte les opportunités dont on dispose. Comme j’aime tourner, dès qu’on me propose quelque chose d’intéressant, je le fais sans trop me poser la question de savoir si – oh mon dieu – il s’agit de télé « qui va alors nuire à mon image » ou du cinéma qui serait plus valorisant. Ces frontières ont été un peu abolies, la télé ayant gagné au cours des dernières années une créativité qu’elle ne connaissait pas quinze ans auparavant, tandis que le cinéma est peut-être devenu plus formaté. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où on perçoit bien ce déclin créatif par rapport aux décennies précédentes. Donc les lignes de démarcation sont un peu brouillées.

Sueurs Froides : Y a-t-il plus de contraintes à travailler pour la télévision que pour le cinéma ?

Eric Valette : Il y a des contraintes partout mais celles de la télévision se marquent surtout sur les délais parce que les plannings de tournage y sont plus serrés, du fait des budgets, ce qui nous oblige à obtenir un rendement de minutes de tournage utiles par jour plus élevé qu’au cinéma : on parle ici de quatre à cinq minutes utiles par jour là où le cinéma tourne plutôt autour de deux ou trois. Enfin ça dépend du confort octroyé par le projet pour lequel on travaille. Mais donc, cette nécessité de rendement bride forcément la mise en scène en nous poussant à appliquer certaines recettes dont on sait qu’elles fonctionnent pour arriver à emmagasiner du matériau.

Sueurs Froides : Vous avez fait vos débuts de réalisateur dans les Guignols de l’info. Quel souvenir en gardez-vous ?

Eric Valette : J’ai fait des choses pour Canal + dès 1998 effectivement et je pense que j’ai dû commencer les Guignols de l’info vers 2000. Il m’en reste d’excellents souvenirs dans la mesure où j’ai pu justement me mesurer à une machine parfaitement en place où chacun incarne juste un rouage, certes parfois important, mais dont on peut se dire qu’il est interchangeable tant chacun des autres éléments de la chaine sait ce qu’il doit faire : si j’étais décédé pendant une série des Guignols, j’aurais très facilement pu être remplacé. C’était ainsi pour chacun de nous, sauf peut-être pour les responsables des voix. Cette machinerie à produire des images et des sons – et qui le fait de surcroît de manière hyper régulière – est parfaitement huilée, ce qui est vraiment impressionnant. Tout autant d’ailleurs que cette capacité d’une masse de talents à transcender les individus pour créer quelque chose en commun.

Sueurs Froides : Dans votre premier long métrage, MALÉFIQUE, vous avez été inspiré par l’univers de H.P. Lovecraft et notamment son fameux Necronomicon. Quels autres auteurs fantastiques vous fascinent ?

Eric Valette : Lovecraft reste l’auteur de fantastique qui m’a le plus inspiré, mais j’ai également toujours beaucoup aimé lire les nouvelles de Robert Bloch, qui tout en débutant comme disciple de Lovecraft s’est orienté aussi vers du policier. Il a fait de choses très différentes, toujours avec un sens de l’humour très sarcastique que j’aime beaucoup. Je pense ensuite à Graham Masterton ainsi qu’à Richard Matheson. Et puis, il y a Stephen King ou Clive Barker qui sont des auteurs très marquants. Mais je ne suis pas un grand spécialiste de la littérature fantastique des quinze dernières années parce que, mon métier m’obligeant à lire de nombreux scripts, mes loisirs m’incitent à m’éloigner du fantastique et des fictions au profit d’enquêtes, d’essais ou d’écrits plus basés sur le réel.

Sueurs Froides : enfant, vous regardiez essentiellement des westerns. En 2006, vous aviez le projet d’en réaliser un, DARK GUNS, mais il n’a pas abouti. Aimeriez-vous le réactiver ?

Eric Valette : Oui, absolument. Ce projet reste mon serpent de mer. Chaque réalisateur a ses serpents de mer qui émergent ou pas selon les opportunités. Il s’est trouvé qu’au moment où on devait faire ce film, l’échec de BLUEBERRY de Jan Kounen a complètement plombé le marché, en tous cas en Europe, et du coup, on est passé à d’autres choses. Là, il se trouve que Fathi Beddiar, qui a par ailleurs écrit le prochain film de Fabrice Du Welz, travaille à un nouveau script. Donc j’attends cette version et on verra ensuite si on arrive à la financer. Il ne faut pas faire un film à tout prix contre la tendance du moment, ce serait s’exposer à perdre beaucoup de temps pour un projet qui bien souvent ne se fera pas ou alors dans des conditions misérables. Il faut toujours essayer de choisir ce qui sera susceptible d’être tourné. Je ne fais pas partie de ceux qui aiment trainer des films maudits des années durant. Je préfère mon serpent de mer qui au moment opportun montrera sa tête.

Sueurs Froides : Au lycée, à Toulouse, vous avez créé avec quelques amis un groupe de rock nommé Syntax Error dont un des titres, « Born on a 4th of July », est écrit en hommage au réalisateur Oliver Stone. Ce dernier a-t-il eu une influence sur votre carrière ?

Eric Valette : Ça c’est une erreur véhiculée par Wikipédia. Ce titre vient du bouquin de Ron Kovic dont est tiré le film d’Oliver Stone.

Mais en dehors de cette anecdote, j’ai effectivement toujours adoré Oliver Stone. Dès 1986, je me rappelle avoir vu SALVADOR trois fois lors de sa première semaine d’exploitation, tellement je l’avais trouvé extraordinaire. Je suis un grand fan de sa première période, jusqu’au début des années 2000. Je suis un peu moins convaincu par ce qu’il a fait ces dix dernières années où beaucoup de sève et d’énergie ont disparu. Mais c’est un type qui en a sous le pied et il peut encore surprendre. J’ai toujours aimé à la fois l’énergie qu’il déployait et son refus du politiquement correct lorsqu’il aborde des sujets brûlants pour la société américaine, sans se préoccuper de ce que les gens peuvent penser. Je trouve que c’est très courageux. Cependant, j’admets n’avoir pas été convaincu par ses dernières réalisations, notamment la suite de WALL STREET.

Sueurs Froides : Est-ce que vous aimeriez réaliser un film sur un sujet politique sensible ou polémique ?

Eric Valette : Je travaille sur un sujet contemporain, voire très légèrement futuriste, sur le « false flag terrorism », le terrorisme d’état et le background du film serait en partie liée à l’histoire des tueurs du Brabant Wallon qui ont ensanglanté la Belgique dans les années ‘80. C’est un peu l’affaire Kennedy belge. Je ne sais pas combien de temps nécessitera l’écriture de ce script, dont nous nous occupons pendant nos loisirs, moi et un ami scénariste. Comme il n’est pas financé, on l’écrit quand on trouve du temps. On le proposera à une production quand il sera terminé.

Sueurs Froides : Votre adaptation américaine en 2008 du ONE MISSED CALL de Takashi Miike est restée inédite en France. Pour quelles raisons ?

Eric Valette : Je ne suis pas vraiment dans la tête des majors mais je constate que des tas de films fantastiques qu’ils produisent ne sortent – lorsqu’ils ont encore la chance de trouver le chemin des écrans – que de façon technique en France, dans une salle ou deux. Je suis quand même étonné qu’il n’y ait pas de Blu-ray ou DVD parce que ONE MISSED CALL est sorti à peu près dans tous les pays alentour : Angleterre, Allemagne… Mais comme je n’étais de toute façon pas satisfait du résultat vu les remontages, je ne suis pas mécontent de cette absence. Actuellement, les sorties de productions fantastiques à budgets moyens issues de majors sont très étranges. Ainsi, il y a deux ans, HALLOWEEN 2 de Rob Zombie a dû se limiter à une salle à Paris, de même du remake de VENDREDI 13 alors qu’à une certaine époque, ceux là auraient bénéficié d’une distribution bien plus massive. C’est vrai aussi pour des marchés de niche ainsi que pour beaucoup de comédies : celles avec Will Ferrell, Danny McBride, etc., se limitent quasiment à des sorties techniques dans les pays francophones.

Sueurs Froides : Vous avez réalisé et co-écrit quatre épisodes de la saison 2 de la série télévisée BRAQUO. Vous sentez-vous plus à l’aise dans l’univers du polar que dans celui du fantastique ?

Eric Valette : Je ne me sens à l’aise nulle part. J’essaye de faire au mieux partout mais j’aime les deux univers. Actuellement, j’ai plus d’opportunités du côté du polar, donc je fais des polars. Ils sont actuellement plus faciles à financer en France.

Aucun des projets américains que l’on m’a proposés ne me plaisait, j’ai donc tout refusé avec pour conséquence qu’on a cessé de m’envoyer des scripts (rires). Je vais cependant m’y remettre parce que LA PROIE sort aux Etats-Unis en juin, ce qui me permettra de rencontrer de nouveau des gens là-bas et d’y être perçu comme réalisateur de films d’action et de thrillers. Peut-être que cela m’ouvrira à autre chose qu’à du fantastique. Le problème de ce dernier en France, c’est qu’il est actuellement souvent produit dans des conditions misérables. Or, j’en ai déjà tourné un comme ça ! (rires) [NDR : allusion à MALÉFIQUE] et n’ai donc pas nécessairement envie de refaire la même chose ! Si je réalise à nouveau un film fantastique, j’aimerais que, sans devoir relever d’une superproduction, ce soit quand même légèrement plus ambitieux. Et ce n’est pas tous les jours qu’on dispose de scripts comme MALÉFIQUE qui, effectivement, peuvent se tourner pour peu d’argent. Des tas d’autres scénarios sont tout simplement intournables tel que rédigés, faute d’argent.

Sueurs Froides : Vous êtes venu au BIFFF en 2011 pour présenter LA PROIE. Celui-ci a reçu un très bon accueil du public alors que les critiques étaient plus mitigées. Est-ce que cela vous a affecté ?

Eric Valette : Non, je prends les choses comme elles viennent. Je peux tomber sur des critiques qui ont adoré UNE AFFAIRE D’ÉTAT mais n’ont pas aimé LA PROIE puis sur des spectateurs qui s’étaient ennuyés à UNE AFFAIRE D’ÉTAT ou l’avaient trouvé trop compliqué, et qui ont été captivés par LA PROIE et ont apprécié sa ligne claire et simple. Chaque film est différent. Il en sera de même de mon prochain, que j’espère tourner cette année. Je ne me pose pas trop ces questions-là. J’essaye vraiment de faire les choses avec le feeling du moment et l’idée que je me fais du film fini. L’accueil ne dépend plus de moi. Il y a des bébés qu’on trouve plus jolis. Untel préfère les bruns, un autre les blonds. J’essaye toujours de mettre une barrière et ne lis en général pas les critiques. J’ai un résumé des réactions aux projections à travers les attachés de presse. En général, le public de mes derniers films se divise à part égale entre ceux qui aimaient ou pas. J’essaye de ne pas trop y prêter attention et me contente de tracer ma route. Le temps jugera. Il y a souvent des épiphénomènes dans la critique qui va de coups de cœur en de coups de gueule. Puis, on regarde le film quelques années plus tard et on se dit « ah oui, c’était ça le gros truc du moment ».

Sueurs Froides : Et on peut l’apprécier avec un autre regard.

Eric Valette : Oui, exactement. C’est pour cela que je prends toujours de la distance vis-à-vis des engouements critiques. Prenons DRIVE, encensé. Je l’ai apprécié pour ce qu’il offrait mais je pense que le temps ne lui donnera pas nécessairement raison : dans vingt-cinq ans, on le regardera comme on regarde maintenant 37°2 LE MATIN … lequel était pourtant considéré comme le « film d’une génération » à son époque (rires).

Sueurs Froides : Quel est votre prochain projet ?

Eric Valette : Un petit film modeste en terme de moyens, qui adapte « Le serpent aux mille coupures », un Série noire d’un écrivain assez radical qui s’appelle DOA – comme « Dead On Arrival » -. On a travaillé tous les deux à l’adaptation de son roman. On essaye de faire quelque chose de très fidèle au ton radical de son roman. Il est très difficile à pitcher du fait d’une intrigue assez complexe. Disons que c’est la confrontation explosive de personnes qui ne devraient jamais se rencontrer, autour d’une exploitation agricole dans le Sud-Ouest. J’espère lui conférer un ton à la CHIENS DE PAILLE. C’est du polar rural, un genre que je n’avais pas encore abordé. Etant moi-même du Sud-Ouest, ça m’intéressait de travailler sur cela. J’espère le tourner entre Toulouse et Moissac.

Propos recueillis lors du BIFFF 2012 par Grégory Lécrivain et mis en forme par Philippe Delvaux

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.

Retrouvez notre critique de HYBRID.

Retrouvez notre critique de LA PROIE.


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- Article rédigé par : Grégory Lécrivain

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