Every thing will be fine

Un texte signé Sophie Schweitzer

Tomas est un écrivain un peu perdu. Tout d’abord perdu dans sa vie amoureuse, là où il ne parvient pas à trouver le courage de mettre fin à sa relation avec Sara. Mais aussi perdu dans sa carrière professionnelle. Bloqué après un second roman, il ne parvient plus à trouver l’inspiration. Sous l’afflux de ses émotions, et de la neige tombant, il percute une luge avec sa voiture. Sortant du véhicule, inquiet, il découvre alors un petit garçon muet, semblant choqué. Rassuré qu’il soit vivant, Tomas ramène l’enfant dans son foyer en le juchant sur ses épaules. Lorsque la porte de la maison rouge s’ouvre, Kate, la mère du garçonnet, s’effondre en demandant où est son autre enfant. Ses hurlements plongent le film dans un drame bouleversant souligné par une musique forte en émotion. Tomas n’a cessé de répéter « tout ira bien » mais il doit l’admettre, rien n’ira plus jamais bien, pas avant un bon moment.

Dans son dernier film, Wim Wenders filmait le temps qui passe, celui dont on dit qu’il est nécessaire afin de panser les blessures. Il place ses personnages au centre d’un choc profond, traumatisant. Et il observe la manière dont ils gèrent la douleur, leur blessure. Face au tourment des sentiments, de la culpabilité ressentie, de l’incompréhension des autres, Tomas se renferme sur lui-même, quitte sa compagne Sara et tombe dans la dépression tandis que Kate tente de survivre du mieux qu’elle peut.

Le réalisateur choisit de ne pas brusquer les évènements. Au contraire, il les inscrit dans la temporalité des personnages en difficulté. Tomas a du mal à exprimer ses émotions autrement que par l’écriture. Kate est isolée, physiquement, car elle vit en pleine rase campagne. Totalement soumise à ses sentiments amoureux pour Tomas, Sara se retrouve emprisonnée dans une relation qui la torture… Wim montre tout à fait autre chose que ce à quoi le spectateur est habitué. Les séquences sont courtes. Parfois, ce n’est qu’un plan évocateur, comme celui où Kate pleure devant un livre, le visage rougi et bouffi. D’autres fois, il insère une scène sans rapport direct avec l’intrigue comme lorsque Tomas va voir son père, un vieil homme aigri qui lui demande de ne pas venir le voir s’il se sent contraint de le faire. Il semblerait que Wim ne cherche pas à raconter une histoire mais à simplement filmer le deuil.

Car il y a le deuil de l’enfant, que Kate gère comme le ferait une sorcière, par des rituels magiques. Elle attribue à Tomas un rôle bien différent de celui attendu. En effet, loin de lui en vouloir, elle voit en lui celui qui peut l’aider à surmonter cette épreuve. Il y a aussi le deuil de la relation amoureuse entre Tomas et Sara, un deuil qu’au fond ni l’un ni l’autre ne parvient à gérer. Tomas se montre d’une incroyable cruauté par lâcheté tandis que Sara, quatre ans après, bien que mariée et mère, ressent encore une profonde colère. Et puis, il y a le deuil du survivant : l’autre enfant, Christopher, apparaît dans la seconde partie du film. Il est alors un adolescent plein de contradictions, sa rancœur s’arrange bien avec son obsession.

Décontenancé, le spectateur ne comprend qu’à la fin où le réalisateur veut en venir. Ce récit bourré d’ellipses apparaît au premier abord comme vide. Où se cache donc le drame supposé balayer des vies, on n’en voit jamais vraiment les morceaux ? Et le corps de l’enfant mort n’apparaît pas à l’image. Les larmes de la mère, quant à elles, ne coulent qu’un bref instant, aussitôt coupé, comme par pudeur. Et la rupture entre Sara et Tomas, qu’on imagine brutale, est filmée hors champ. Au même titre, les brefs instants importants comme celui où Tomas vient voir Kate des années après le drame semble être trop court, frustrant sans doute. Et pourtant, c’est dans l’ellipse que se situent les sentiments, dans l’imagination du spectateur aussi, et dans la pudeur du réalisateur également qui préfère montrer la cicatrisation plutôt que la blessure elle-même.

Film minimaliste, il a pourtant été filmé en 3D et projeté ainsi en salle. Le jeu des acteurs est à l’instar de la mise en scène, c’est-à-dire plein de pudeur, sans excès, au plus proche du naturel. La narration, avec ses ellipses, se rapproche d’un souvenir. Elle accompagne tout à fait ces moments imprécis qui nous marquent alors qu’ils ne sont pas forcément primordiaux dans le déroulé desdits évènements. Face à cette retenue dans l’émotion, la musique se révèle, quant à elle, tragique à souhait et un poil répétitive, comme un thème récurrent dans une série. Il s’agira là d’ailleurs du seul reproche que l’on peut faire au film. Le thème musical choisi est bien trop lourd comparé à la mise en scène.
EVERY THING WILL BE FINE est un film qui traite plutôt des non-dits, des petites choses banales qui traversent la vie et marquent les instants importants. Il souligne les détails, les réactions (comme la double gifle qu’inflige Sara à Tomas pendant un concert) ou encore les gestuelles, comme les mains de Tomas qui ne tremblent pas et qui provoquent une dispute entre l’écrivain et sa nouvelle compagne parce qu’elle lui reproche son manque de réaction face aux drames.

Au fond, le film évoque surtout le temps qui referme les blessures. Parfois elles cicatrisent, parfois non. Le père de Tomas ou encore Sara n’ont pas la force de surmonter les drames qui les touchent alors que Kate et Tomas parviennent à avancer, lui en écrivant, elle en voyageant. Entre ces deux extrêmes, le film parle aussi de ceux qui hésitent, ceux qui ne savent pas trop, ceux qui sont pour l’instant perdus dans le noir, à qui Tomas promet que tout ira bien. Au bout du compte, avec le temps, les blessures finissent par faire moins souffrir, même les profondes douleurs comme la mort d’un enfant cicatrisent un jour. Tout en pudeur, et sans trop en faire, Wim Wenders livre un film intimiste en 3D, pied de nez à Hollywood sans nul doute, mais aussi une belle réussite, une œuvre étonnante.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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