Ex Drummer

Un texte signé Éric Peretti

Belgique - 2006 - Koen Mortier
Interprètes : Dries Vanhegen, Norman Baert, Sam Louwyck, Gunter Lamoot

Misogyne, homophobe, raciste, violent, pornographique… et nous sommes encore loin du compte si l’on voulait énumérer tout ce qui a été dit sur EX DRUMMER lors de sa sortie en 2007.
A Ostende, un groupe de rock composé de trois handicapés est à la recherche d’un batteur afin de participer à un concert /concours local de talents. Pour cela, ils vont proposer à Dries, un écrivain célèbre, de jouer pour eux, espérant ainsi profiter de sa renommée…
Avec sa mise en scène caméra épaule et une image granuleuse, shootée en 16mm puis gonflée en 35, à la limite du noir et blanc, le film pourrait aisément passer, à la lecture de ce bref résumé, pour un pseudo-documentaire social. Il est vrai que la Belgique nous a déjà balancé quelques petites bombes dans le genre, tel C’EST ARRIVE PRES DE CHEZ VOUS, les films de Jan Bucquoy ou encore ceux des bi-palmés frères Dardenne, sans parler de la découverte de Fabrice du Weltz dont CALVAIRE a permis à la France de renouer avec un cinéma de genre que l’on pensait perdu. Toutes ces œuvres venant de la partie francophone de la Belgique, il était temps qu’un artiste original émerge de sa partie flamande, c’est chose faite avec la révélation de Koen Mortier, le réalisateur aussi courageux que talentueux d’EX DRUMMER.
Au départ il y a un roman homonyme, paru en 1994, de Herman Brusselmans, auteur flamand vénéré par la jeunesse en rupture avec l’ordre établi, à la recherche d’une d’identité, et haï par les élites biens pensantes, dont les textes provocants, véritables défouloirs immoraux garnis d’obscénités, sont réputés inadaptables au cinéma pour cause d’absence de linéarité. Avec pour objectif de réaliser une ode aux écrits de Brusselmans, Mortier démarre, en février 2006, le tournage de son film à Ostende, avec une équipe réduite dont la motivation et l’implication vont permettre de surmonter les problèmes découlant d’un budget microscopique pour cause de frilosité des investisseurs face au scénario.
L’objet filmique résultant de cette énergie créatrice rend parfaitement hommage à son matériel de base. Durant 100 min, vont se succéder violence et méchanceté gratuite envers les handicapés, les femmes, les homosexuels, les personnes âgées… bref, pas de quartier. Les protagonistes sont tous plus minables et pathétiques les uns que les autres, à commencer par les trois musiciens. Le premier, sourd et toxicomane, vit avec sa femme et son bébé dans un taudis rempli d’immondices. Le second, homosexuel avec un bras raide depuis qu’il s’est fait surprendre par sa mère en pleine séance de masturbation, vit toujours avec cette dernière qui est devenue chauve, et son père enchaîné sur un matelas pour cause d’Alzheimer. Le troisième ne peut s’empêcher de frapper les femmes, sauf la mère du second avec laquelle il couche régulièrement. Le seul personnage qui aurait du sortir du lot, à savoir l’écrivain, est en fait le plus abject. En acceptant la proposition du trio, il s’offre une promenade dans les bas-fonds, sachant qu’il a la possibilité, à tous moments, de reprendre sa vie tranquille et confortable auprès de sa charmante compagne. A l’image de son appartement luxueux qui surplombe et domine la ville, son intelligence et sa culture lui donne un avantage indéniable sur ses partenaires musicaux. Oubliant toute morale, il se comporte d’une façon odieuse et, comme un scientifique expérimentant sur des souris de laboratoire, il va s’amuser à bouleverser les vies, déjà misérables, de ses nouveaux compagnons.
Malgré la férocité extrême du récit, le film se laisse suivre sans ennui jusqu’au fameux concert où se produisent les différents groupes. Après ce moment là, alors qu’il reste encore plus d’une demi-heure au compteur, la crainte que toute cette histoire ne mène finalement nulle part va hélas se confirmer durant le dernier acte. Quant à la barbarie finale, découlant des manipulations de Dries, elle est d’une violence crue et totalement gratuite, presque exagérée. La provocation reprend ses droits, quitte à gâcher une cohérence difficilement établie. En dépit de cette baisse de régime à la fin, le cynisme ambiant procure un plaisir coupable. De plus, plusieurs effets de montage et de mise en scène accrochent l’œil et parviennent à nous captiver, renforçant même le caractère de quelques personnages. Ainsi, superbe trouvaille visuelle parmi d’autres, le chanteur du groupe qui vit littéralement à l’envers dans son appartement, marchant aux plafonds comme une chauve-souris, incapable de se remettre dans le droit chemin. Ou encore la visite guidée d’un vagin défoncé par le bien nommé Big Dick, le générique d’ouverture défilant sur des images projetées en mode marche arrière… Lors du concert, Mortier orchestre mieux que jamais le chaos visuel de son découpage et parvient à livrer une séquence hystérique d’une étonnante lisibilité.
Au niveau musical, les indépendants Millionaire et Flip Kowlier assurent une bande son en parfaite adéquation avec le tourbillon d’images dans lequel nous sommes entraînés. A noter également la participation du chanteur Arno qui, en guest star, a composé et interprété un morceau en ostendais à l’attention du film.
Au final, EX DRUMMER que l’on va irrémédiablement rapprocher de TRAINSPOTTING, manque un peu de fond dans sa superbe forme, notamment lors de sa conclusion, pour laisser un souvenir enthousiasmant à long terme. Si Koen Mortier à frôlé le chef d’œuvre intégral, il livre tout de même un film puissant qui réussit le plus important : faire parler de lui en bien ou en mal.

Retrouvez nos chroniques de l’Etrange Festival 2011.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Éric Peretti

- Ses films préférés :


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link