Expériences de la réalité : le cinéma de David Williams

Un texte signé Éric Peretti

USA - 1982-98 - David Williams
Titres alternatifs : Shadows (1982), Dreams in the Night (1983), The Woman in the Window (1984), The last Summer (1985), Transitions (1985), Waving (1997), Nina split in two (1988), Lillian (1989-93), Thirteen (1998)
Interprètes : Lillian Folley, Wilhamenia Dickens, Steve Perez, Helen Jervey, Danita Rountree-Green, Steve Perez, Gayle Turner, Dynisha Dickens, Don Semmens

C’est dans les années 70 que le jeune David Williams envisage d’embrasser une carrière artistique. Attiré par l’image mais conscient que la réalisation est hors de ses moyens, il commence à peindre. Après quelques années, il passe naturellement à la photographie et, une fois le médium maîtrisé, se lance finalement dans la mise en scène, bricolant des courts métrages grâce à de l’argent emprunté, qu’il met toujours longtemps à rembourser, retardant systématiquement la mise en chantier de son projet suivant. Sa carrière commence à prendre forme au début des années 80, sous l’influence de la réalisatrice Joan Strommer. Cette dernière, enseignante depuis peu de temps à l’université Virginia Commonwealth de Richmond, lui fait découvrir, par l’intermédiaire de ses cours, le cinéma expérimental. David Williams prend alors conscience qu’il existe une autre façon d’aborder la narration pour raconter une histoire, loin de la routine hollywoodienne. C’est donc encouragé par son professeur, et fort de son enseignement, qu’il réalise un premier court métrage expérimental, SHADOWS (1982). Au vu du bon accueil offert à ce premier essai, il poursuit son travail dans cette voie avec DREAMS IN THE NIGHT (1983), THE WOMAN IN THE WINDOW (1984) et THE LAST SUMMER (1985). Plongeant le spectateur dans un trouble certain, ses premiers films en noir et blanc offrent plusieurs niveaux d’interprétation en éclatant la structure narrative temporelle classique. On peut se demander si l’on assiste à des rêves, des souvenirs ou des voyages dans le temps, voire vers d’autres dimensions. L’absence de dialogues, remplacés par une bande sonore très travaillée à base de bribes de conversations inaudibles ou de musiques sobrement inquiétantes, achève de nous plonger dans un autre monde. En 1985, arrive le bien nommé TRANSITIONS, tourné en couleur, qui vient à la fois enfoncer le clou expérimental du travail de son auteur dans le fond, tout en amorçant un nouveau départ vers un cinéma plus facile d’accès dans la forme. Enfin WAVING (1987) utilise les rapports entre un père et son fils pour illustrer le poème éponyme de David Smith. Le cinéma expérimental étant une affaire d’affinité, cette première partie de l’œuvre de David Williams ne pourra jamais prétendre à une diffusion massive car pour une poignée d’initiés qui se retrouvera spontanément dans les thèmes abordés, il faudra compter avec la nuée d’exclus qui ne retiendra que la vacuité des images.
NINA SPLIT IN TWO (1988) marque le début d’un nouveau cycle et l’intérêt de son auteur pour un nouveau genre qu’il développera dans ses deux films suivants. Ce moyen métrage nous présente Nina, une petite fille métisse littéralement partagée entre des parents séparés qui ne communiquent plus entre eux. L’enfant passe de l’un à l’autre, victime malgré elle de la tension régnant entre les adultes, tentant de grandir et de s’épanouir normalement. Alors que les parents de Nina sont interprétés par des acteurs, la grand-mère, Lillian, n’est pas une professionnelle, tout comme la jeune fille. Sans réel fil conducteur, le film ne raconte pas une histoire, cette fiction ressemble à un documentaire dans sa mise en forme sans pour autant en être un. Assez content du résultat, surtout du jeu naturel des non-acteurs, David Williams commence alors à réfléchir sur la façon de raconter une histoire, tout en gardant une forme expérimentale mais proche du réel. Il en arrive à se pencher sur les bases du docufiction dont le principe est de travailler avec des comédiens non professionnels, en leur demandant de jouer leur propre rôle dans un environnement familier et sur une trame préparée à l’avance. Confrontés à certaines situations crédibles, ils vont avoir la liberté de réagir à leur façon. Bien sûr, certains aspects de leur personnalité, ou juste quelques éléments de leur vie seront mis en avant par ce procédé. La spontanéité qui en découle permet d’obtenir une véracité troublante mais aussi dangereuse car elle perd le spectateur en brisant ses repères et lui donne à croire qu’il assiste à la réalité alors qu’il ne s’agit que d’une représentation d’une certaine réalité.
LILLIAN, tourné durant trois semaines en 1989 selon les principes cités plus haut, détaille la journée typique d’une courageuse grand-mère qui, dans la grande maison dont elle est locataire, accueille aussi bien des personnes âgées dépendantes dont elle s’occupe avec patience et compassion, que des enfants placés par les services sociaux à qui elle prodigue la tendresse qui leur a fait défaut. Au milieu de cette famille artificielle vivent également Maria et Nina, respectivement fille et petite-fille de Lillian. Cette journée bien remplie est rythmée entre autres par la visite de l’assureur, celle d’un agent immobilier puisque la maison va être vendue, et le goûter d’anniversaire de Nina qui fête ses six ans et doit par la même occasion subir une énième dispute de ses parents divorcés. En plus de tout cela, Lillian doit gérer la visite des services sociaux et l’aggravation de l’état de santé de l’une de ses pensionnaires… Sans véritable début ni fin, le film est une ode à Lillian, le portrait orienté d’une femme formidable. Bien que tourné pour un coût dérisoire, personne ne voudra participer financièrement à la phase de postproduction et la première projection du film n’aura lieu qu’en 1993.
C’est grâce aux bons accueils critiques et festivaliers de LILLIAN que David Williams peut bénéficier de bourses pour son film suivant et en étaler le tournage sur treize mois. THIRTEEN (1997) raconte d’abord la courte fugue réflexive de Nina et son retour auprès de sa mère, Lillian. Puis, nous suivons l’adolescente dans sa quête financière qui la pousse à accepter de nombreux petits boulots afin de réaliser son rêve : s’acheter une voiture…
La vision de ces trois films à la suite est assez intéressante puisqu’elle oblige le spectateur à fournir un travail de réflexion sur les images qu’il ingurgite au quotidien. La justesse du montage, l’utilisation de la voix off de Lillian et surtout le jeu naturel des personnages renvoient au style documentaire. De plus, la mise en scène qui, sans céder à la mode de la caméra portée tremblante, parvient à capter les réactions et les émotions des personnages, et l’utilisation récurrente d’une musique très sobre ne font que renforcer l’impression de réalité. Seul le changement de statut de Nina, qui est d’abord la petite-fille puis la fille de Lillian dans les fictions, alors qu’en vérité elle fut d’abord recueillie puis adoptée par la grand-mère, offre un point d’ancrage pour réaliser qu’on se laisse gentiment mener par le bout du nez dans une réalité fictive. Et c’est là tout le talent de David Williams qui, au travers de ses expériences narratives, créé un univers parallèle totalement crédible dans lequel évoluent des êtres humains plus vrais que nature, de ceux qui forcent le respect et l’admiration.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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