Festival des Maudits Films 2012

Un texte signé Alexandre Thevenot

La quatrième édition du festival des Maudits Films s’est déroulée du 17 au 21 janvier. Ce festival qui a évolué au fil des ans nous a offert cette année, plus de séances ce qui a fait commencer les véritables temps forts dès la fin de l’après midi. D’une autre manière, la salle Juliet Berto avait changé de décoration pour prendre les couleurs des Maudits films avec l’exposition de photographies et d’affiches plus en phase avec les goûts du festival : GOTHIC, LA FIANCÉE DE DRACULA, DIRECTION PLANÈTE HYDRA, BLOODY MAMA, LE RETOUR DE FLESH GORDON…un univers qui sent bon le cinéma de genre !

Mardi 17 janvier
La première soirée dédiée à Jean Rollin fut riche en émotions. Le documentaire JEAN ROLLIN LE RÊVEUR EGARE a donné une bonne introduction à l’œuvre du cinéaste en décrivant sa carrière de manière approfondie et chronologique. Le débat à la fin du film animé par Simone Rollin, Jannette Kronegger, Damien Dupont et Yvan Pierre-Kaiser a permis d’avoir quelques anecdotes de plus sur la reconnaissance tardive de son œuvre en France, sur les rencontres de Marguerite Duras ou Maurice Lemaître, ou encore sur l’importance de ce film inachevé (L’ITINERAIRE MARIN) ; ce film perdu, qui une fois terminé, aurait pu donner une carrière complètement différente au réalisateur. Les quelques mots de conclusion de Simone Rollin furent consacrés à Jean Rollin et son public. Que tous gardent Jean Rollin dans leur cœur et leur pensée pour que lui et son œuvre perdurent. Un très bel hommage !
Nous n’allons pas bouder le plaisir de voir un long-métrage de Jean Rollin sur grand écran, ce qui était un moment en soi, mais il est difficile de dire que le film LES DEMONIAQUES est parmi les meilleurs pour découvrir le cinéaste. Le film est assez long, certains passages assez risibles tant ils ne fonctionnent pas. Les séquences érotiques longues et surjouées sont peu intéressantes. Il reste néanmoins quelques fulgurances évocatrices de l’univers si particulier à Jean Rollin qui parsèment le film sans véritablement le relever : des filles en robes diaphanes qui marchent ou courent apeurées dans la nuit, un clown au milieu de ruines gigantesques, un viol sur une carcasse de navire alors que la marée monte tandis que les mouettes piaillent dans un décor de bord de mer (plage, récif, cimetière marin, naufrageurs).

Mercredi 18 janvier
Le lendemain après une séance de courts maudits et une rencontre avec Eric Dufour pour son dernier ouvrage LE CINEMA DE SCIENCE-FICTION, ce fut l’occasion pour le festival d’inaugurer un nouveau type de séances consacrées à un éditeur dvd. Cette année, nous avons eu le Chat qui fume avec la projection de trois films du catalogue. Le premier présenté était LA BRUNE ET MOI, l’un des seuls films punk français. Si l’originalité de l’histoire et la qualité cinématographique ne sont pas vraiment au rendez-vous, le film est très bien pour sa valeur documentaire, le ton désinvolte qui l’imprègne du début à la fin et les nombreux extraits musicaux représentatifs de la scène parisienne de l’époque.
La séance de 20h00 du Ciné-club a permis de voir sur grand écran L’HOMME LEOPARD de Jacques Tourneur. Troisième œuvre de sa trilogie fantastique (après LA FELINE et VAUDOU) pour la RKO, le plaisir est toujours le même devant le talent du cinéaste qui joue avec l’ombre et la lumière, pour donner corps à l’inquiétude par la simple suggestion. Si l’histoire est assez simple (une sorte de serial killer agresse des jeunes femmes et fait porter les soupçons sur un léopard en liberté), les scènes de meurtre sont particulièrement réussies parce qu’elles sont à la fois tétanisantes et tout en retenues.

Jeudi 19 janvier
Pour la deuxième séance du Chat qui fume, l’éditeur tenait à nous présenter deux films qu’il a produits et qui ne sont pas encore sortis en dvd. Il s’agissait de DIE DIE MY DARLING de François Gaillard et LAST CARESS de François Gaillard et Christophe Robin. Les deux films étaient une bouffée d’air frais dans le festival grâce à leur ambiance déjantée et les multiples références au cinéma bis qu’ils contenaient. François Gaillard et Stéphane Bouyer présentaient ces œuvres comme des objets divertissants avec des femmes nues, des combats et du sang… De ce côté là, on n’a pas été déçu.
En partenariat avec la cinémathèque de Grenoble, les deux films du soir provenant de son fond avaient été choisis pour leur rapport au thème du savant fou. LA MOUCHE NOIRE de Kurt Neumann est un film extrêmement efficace qui n’a pas trop vieilli. Son sujet, certaines scènes inoubliables (relation du couple une fois que le savant est transformé en mouche, folie et lucidité des personnages) et l’ironie souvent latente, garantissent le spectacle encore aujourd’hui.
Nous avons eu ensuite LE RAYON INVISIBLE de Lambert Hillyer, film de science fiction de la Universal qui voit se confronter deux acteurs emblématiques : Bela Lugosi et Boris Karloff. Plutôt réussi, le film permet de passer un moment savoureux. Au plaisir de voir les acteurs se faire face s’ajoute la touche exotique du film : une partie de l’intrigue se situe dans l’Afrique coloniale et relève l’intérêt d’une histoire qui semble consciente de ses limites.

Vendredi 20 janvier
La journée s’ouvrait sur la troisième et dernière séance du Chat qui fume. Stéphane Bouyer nous a présenté FORBIDDEN ZONE de Richard Elfman. Selon ses mots, il s’agit du film qui correspond le mieux à l’esprit du Chat qui fume. Depuis ses débuts, l’éditeur a aimé mettre sur un même pied d’égalité Richard Kern, Jean Mary Pallardy ou Brian De Palma (pour ne citer qu’eux). Il a recherché des films étranges, bizarres et pas encore édités. Il définit ainsi une ligne éditoriale cohérente et hors norme. FORBIDDEN ZONE syncrétise en un sens la passion du Chat qui fume. Le film déjanté de bout en bout mélange noir et blanc, une photographie très soignée, animations, décors en carton, morceaux musicaux…c’est un ovni cinématographique sous acide. On y retrouve Danny Elfman (frère du réalisateur) et toute la clique de Oingo Boingo. L’esthétique du film préfigure certains aspects de l’univers de Tim Burton qui peu de temps après sa réalisation, a su nouer une longue collaboration avec le musicien.
Pour commencer la soirée « Le bis de b à z », nous avons pu découvrir LE MOULIN DES SUPPLICES de Giorgio Ferroni. L’histoire se passe en Hollande et tourne autour d’une femme malade mystérieusement gardée par un sculpteur de génie. Le long métrage comme souvent dans les films gothiques italiens possède quelques longueurs mais le final est grandiose. Tension omniprésente, ambiances colorées très travaillées et poésie macabre sont au rendez vous. La copie était en bon état et permettait d’apprécier la superbe photographie du film qui au final, n’a pas grand chose à envier à un Mario Bava.
Suivait à cela, une incursion dans le cinéma japonais, avec une autre histoire de sculpteur : LA BÊTE AVEUGLE de Yasuzo Masumura. Dans ce huis-clos intimiste où les personnages d’abord opposés vont développer un autre rapport au monde, l’esthétique japonaise et l’intrigue extrêmement torturée offrent au public un spectacle hors norme. La photographie sublime, la folie de l’aveugle et son étrange mère, le décor de l’atelier quasi-expérimental, la mise en images de l’ero-guro, l’usage du scope, tout concourt à créer une ambiance intemporelle et malsaine, propice à la dégradation progressive de la chair. Seul point faible : les dialogues trop explicatifs qui empêchent le film d’être plus troublant.
Pour finir la soirée en beauté, à la séance de minuit était diffusé LE RETOUR DE FLESH GORDON, film canadien de Howard Ziehm. Dans cette suite de FLESH GORDON, le super héros doit se battre pour protéger la terre d’un rayon d’impuissance. Parodie des super héros et de science fiction, qui accumule l’humour sexuel et scatologique ainsi que quelques longueurs, le film a fait rire la salle à de nombreuses reprises. Il faut avouer qu’il est difficile de rester insensible devant cette avalanche d’idées farfelues mises en scène avec inventivité (le champ de mamelon, le peuple étron, le bite-ball, et d’autres choses encore).

Samedi 21 janvier
Dernière journée du festival : Nous avons pu voir les courts maudits, des courts métrages qui ne demandent qu’à être plus diffusés.
DANS LE ROUGE de John Hahaha est un film techniquement très bien réalisé mais qui laisse perplexe par sa finalité humoristique un peu vaine.
POUPEE REFRACTAIRE de Yannick Gallepie est très peu réussi tant par l’exploration de son sujet que par le style graphique de l’animation.
RED de Maude Michaux est une nouvelle tentative d’exploration du snuff movie par la réalisatrice. Si le court métrage présente une scène intéressante de superposition de l’image cinématographique sur la réalité, la réflexion est vite laissée de côté pour faire survenir la chute, vampirique et pas très originale.
LE CHANT DU CYGNE de Maxime Martin est très bien réalisé et son scénario bien ficelé. Cependant si le film est efficace, l’ensemble manque d’un réel souffle d’originalité.
REC TOM de Jef Grenier est une bande annonce insipide comme il s’en fait tant en ce moment, reposant en plus sur un jeu de mots assez lourd.
CTIN ! De Cyrille Drevon était assurément le film le plus ambitieux de la sélection avec son univers assez personnel. Inspiré d’esthétiques à la Terry Gilliam, Tim Burton ou Veit Helmer, sans aucune parole compréhensible, doté d’une belle photographie et d’une inventivité visuelle (système de mécanismes, intemporalité du lieu et jeu sur les temporalités,etc), le film implique le spectateur dans une histoire troublante où la rationalité se délite.
L’ATTAQUE DU MONSTRE GEANT SUCEUR DE CERVEAUX DE L’ESPACE de Guillaume Rieu mélange comédie musicale, film de science-fiction et film d’horreur. Bien réalisé, ce film déçoit cependant par son aspect trop calibré (budget conséquent, parties chantées, aspects parodiques,etc.) qui en fait un court métrage à récompense. Récompense obtenue d’ailleurs, car il a remporté quasi-unanimement la faveur du public.
Transition entre les courts métrages et la soirée « grindhouse », le festival proposait une séance spéciale Charlots. Comme pour la soirée Jean Rollin, un documentaire de Régis Brochier (Nanarland) LES CHARLOTS AU BOUT DU PHIL présentait de façon très intéressante mais un peu courte le phénomène des Charlots, avant que l’on puisse voir le groupe en action dans LES CHARLOTS CONTRE DRACULA de Jean Pierre Desagnat. La présence des deux réalisateurs a permis de se replonger dans cette époque pas si lointaine tout en étant conscient des limites de ces films à succès. Jean Pierre Desagnat était en particulier extrêmement prudent sur la qualité de son travail et sur le résultat final : un bon Charlots, dit-il, mais un film très moyen et très loin des premiers Charlots. Ces limites ont globalement partagé la salle en deux, certains appréciant beaucoup l’humour de la bande, d’autres ne pouvant le supporter.
L’habituelle soirée « grindhouse » qui termine le festival nous proposait deux films sur le thème de la femme qui a du caractère. BLOODY MAMA avec Shelley Winters était une très bonne entrée en matière puisque, prenant la forme d’un film de gangster dans la plus pure tradition du genre (chronique de gangster comme BONNY AND CLYDE ou BERTHA BOXCAR…), il raconte la folle aventure de Ma’ Barker et ses fils dans une Amérique en crise. La fusillade finale assez marquante finit de montrer que Roger Corman avait un sacré talent de metteur en scène. Suivait ensuite Pam Grier dans COFFY, seule copie existante en France, pour un moment très agréable. Jalon important de la blaxploitation, le film raconte l’histoire d’une femme qui veut mettre fin à tous les trafics de drogue existant et qui est prête à tout pour punir ceux qui y participent. Parcouru de très bonnes séquences sensuelles, explosives ou drôles, c’est le genre de film qui donne envie de revenir l’année prochaine pour une nouvelle édition.


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- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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