Fires on the plain

Un texte signé Philippe Delvaux

Dans une île des Philippines de cette fin de seconde guerre mondiale, qui voie l’avancée implacable des troupes américaines, un soldat japonais, malade et affamé, tente de survivre à la déroute de son armée.

En adaptant à nouveau le roman de Shohei Ooka, déjà porté à l’écran dans le film homonyme de Kon Ichikawa (1959), Shinya Tsukamoto veut transmettre un message de mémoire aux générations à venir. La nécessité du film s’impose à lui lorsqu’il constate que les témoins directs – les protagonistes du deuxième conflit mondial – disparaissent. Il lui semble alors urgent d’ouvrir les yeux de ceux qui n’ont jamais souffert d’un conflit de l’horreur absolue de celui-ci. Son film de guerre se rapprochera donc plus d’un film d’horreur ou d’un survival que d’un actionner ou d’une glorification du courage humain ou de l’un ou l’autre des camps en présence. Tsukamoto recentre tout son film sur la déshumanisation qu’engendre une guerre, et sur la souffrance qui en résulte. C’est en cela totalement raccord avec son cinéma, et plus particulièrement avec sa période punk – de ses débuts à BULLET BALLET.

Le soldat, joué pour des raisons budgétaires par Tsukamoto lui-même, ne combattra jamais l’ennemi, pas plus d’ailleurs que ses condisciples. La bataille, et par extension la guerre, est en effet déjà perdue. Nous sommes dans un après qui voit des troupes affamées, sans espoir, laissées à elles-mêmes par un commandement absent, attendant de se faire massacrer ou tentant par quelque spasme de survie de retarder l’inéluctable.

Tsukamoto conte leur repli vers un hypothétique point de ralliement, illusoire promesse de se sortir du bourbier, qui leur permet de tenir encore, de souffrir un peu plus, de prolonger leur agonie.

Tsukamoto dépeint la misère de ces fuyards en guenilles, terrés dans la boue, grattant le sol à la recherche d’une racine à dévorer crue, volant des restes de nourritures aux derniers paysans de l’île, lesquels ont d’ailleurs pris le maquis pour se débarrasser de la soldatesque importune.

Le japonais est ici l’envahisseur, l’action se déroulant dans l’île Philippine de Leyte. Et cet envahisseur n’est pas le bienvenu pour les occupés qui ont rallié les américains pour se venger des japonais. Ici aussi, Tsukamoto rappelle que le Japon a occupé militairement d’autres pays.

A quelques rares exceptions près, les américains n’apparaitront jamais à l’écran. Ils sont présents en creux : une rafale de mitrailleuse venant de nulle part et abattant nos fuyards. Les japonais ne ripostent jamais : ils ont déjà perdu, chaque survivant ne pense plus qu’à sauver sa peau.

Et même ce dernier espoir s’estompe au fil de la dégradation de leur situation. Bientôt, nombre de soldats attendent leur mort, voire l’appellent de leurs vœux pour abréger leur souffrance. Le grotesque que convie parfois ce cinéaste de l’extrême se manifeste lorsqu’un mourant offre son corps à dévorer au soldat affamé, scène déjà présente dans le roman et chez Kon Ichikawa.

Visuellement, FIRES ON THE PLAIN démarre comme un mauvais Bruno Mattéi (un pléonasme ?), celui des vidéos tournées sans budget en jungle sud-asiatique. Peu d’acteurs ou de décors et une image au rendu vidéo aussi vériste que peu cinégénique. Mais ce dispositif premier n’est qu’une amorce, pour un développement qui va aller crescendo et nous immerger progressivement dans l’horreur que vivent ses protagonistes.

Shinya reste Tsukamoto quand il filme la violence : les membres sont arrachés, les têtes éclatent, le sang gicle. La violence est souffrance. Complètement aliénés par la situation, les hommes ne sont plus que pantins. La folie les guette. Tsukamoto importe dans le film de guerre les préoccupations développées dans ses TETSUO, BULLET BALLET, TOKYO FIST.

Ces bandes de soldats désorganisées, abandonnant leurs positions, errant hagarde, résonnent en écho aux survivants des bombes atomiques de Nagasaki et Hiroshima : Défait par un ennemi invisible et implacable, l’homme de base endure l’horreur et tente, sans guère de succès, de survivre encore un peu. La peinture est cruelle. Cette référence à la bombe atomique est d’autant moins neutre que FIRES ON THE PLAIN par sa peinture d’une situation qui se détériore à grande vitesse et détruit l’humanité de ses survivants rappelle plus souvent qu’à son tour le chef d’œuvre THREADS (Mick Jackson, 1984) déjà présenté à Offscreen 2009 (et chroniqué sur Sueurs Froides). Reste cependant ici une petite lueur d’espoir, absente dans le glacial THREADS.

Excellent cru de Tsukamoto, FIRES ON THE PLAIN a été programmé au festival Offscreen 2015. Sa projection y succédait au MATANGO d’Ishiro Honda (1963, chroniqué sur Sueurs Froides), autre superbe métaphore dans une île abandonnée de l’horreur de la guerre, plus directement référentielle à la menace atomique, mais qui prenait, elle, le chemin du film d’aventure.

Retrouvez nos chroniques d’Offscreen 2015


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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