Fondu au noir

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Etats-Unis - 1980 - Vernon Zimmerman
Titres alternatifs : Fade to black
Interprètes : Dennis Christopher, Tim Thomerson, Linda Kerridge, Eve Brent

Eric Binford, un frêle et timide jeune homme d’une vingtaine d’années, vit à Los Angeles chez sa tante, une femme paralytique qui supporte de moins en moins le caractère et le mode de vie de son neveu. Ce dernier, qui a un petit job dans une entreprise qui livre des bobines de films, est un véritable « fondu » de cinéma et passe tout son temps libre devant un écran, dans une salle obscure ou dans sa chambre. Dans un bar, il fait la connaissance d’une jeune fille qui cultive sa ressemblance avec Marilyn Monroe ; Eric tombe fou amoureux d’elle et lui propose un rendez-vous devant un cinéma pour le soir même. Malheureusement, le sosie blond arrive très en retard, son prétendant est reparti, éploré. A partir de ce moment, Eric ne pourra pas réprimer plus longtemps ses instincts meurtriers nourris par des années de frustrations et d’humiliations ; sa première victime sera sa tante Stella, précipitée sur son fauteuil roulant en bas d’un escalier…

Si FONDU AU NOIR jouit d’un petit statut de film culte outre-Atlantique, il n’en demeure pas moins très méconnu, à l’image de son très discret auteur, Vernon Zimmerman. Plus réputé comme scénariste, « script-doctor » puis enseignant en cinéma, il n’a en effet réalisé que trois longs-métrages : le « drive-in movie » THE UNHOLY ROLLERS (1972) produit par Roger Corman ; le « road-movie » DEADHEAD MILES (1973), scénarisé par Terence Malick et FONDU AU NOIR, un « slasher-movie » qui constitue donc son dernier titre pour le cinéma à ce jour…

Le film débute un peu à la manière d’un « teen movie » classique, nous présentant un personnage archétypal du genre : mal dans sa peau, introverti, en conflit avec l’adulte, pas (encore) socialement intégré…Une suite de petites scènes au déroulement familier nous incite clairement à ressentir de l’empathie pour ce gentil « loser » qu’est Eric, houspillé par une tante acariâtre, humilié par un patron sanguin, méprisé par ses collègues (dont un Mickey Rourke débutant) et ignoré par la gent féminine. Dans cet océan de mal être et de solitude ne surnage qu’une chose, une bouée de sauvetage qui permet à Eric de ne pas sombrer : sa passion dévorante pour le septième art. « Dévorante » semble un terme bien approprié puisque progressivement, notre antihéros se repliera totalement sur lui-même, se coupera de tout lien avec la réalité et reproduira, jusqu’à la folie meurtrière, des scènes issues de ses films fétiches tout en imitant l’un de ses modèles, Cody Jarrett (le personnage de gangster sociopathe qu’interprète James Cagney dans L’ENFER EST A LUI de Raoul Walsh, 1949).
FONDU AU NOIR glisse alors vers le portrait d’un cas pathologique de dédoublement de la personnalité à partir de la glaçante et remarquable séquence qui voit Eric assassiner sa tante handicapée. Lorsque cette dernière est précipitée du haut d’un escalier, quelques images extraites du film LE CARREFOUR DE LA MORT (Henry Hathaway, 1947) et matérialisées par l’esprit d’Eric mettent en parallèle celui-ci avec le personnage de psychopathe meurtrier génialement incarné par Richard Widmark auquel le jeune homme s’identifie alors, jusqu’à la reprise de son ricanement sadique. Si l’imitation et la copie deviennent ensuite les modus operandi de l’apprenti criminel, on peut également noter que Vernon Zimmerman nourrit son film de nombreuses citations ou références, notamment aux œuvres matricielles que sont PSYCHOSE (Alfred Hitchcock, 1960) et LE VOYEUR (Michael Powell, idem) sans bien sûr atteindre la noirceur, la profondeur ou le génie formel de ces deux titres. FONDU AU NOIR délaisse en effet assez rapidement la complexité de l’étude psychanalytique ou la réflexion sur l’éventuel pouvoir délétère des images pour se transformer en un fragile et atypique « slasher ». La réussite relative du métrage tient tout d’abord au fait que le spectateur (et cinéphile) épouse le point de vue du tueur, suive les méandres de ses pensées morbides pour finalement s’identifier pleinement à lui et certainement pas aux victimes ! Ce principe d’identification, qui est le moteur narratif du film, se fait par le recours à une focalisation interne qui était aussi à l’œuvre dans un long métrage au développement similaire et sorti la même année que FONDU AU NOIR : le culte et extrême MANIAC de William Lustig. Si le personnage interprété par Joe Spinell représentait une menace brutale et jouissait d’un capital sympathie ambigu, Eric en revanche nous séduit car il parvient à transposer, à mettre en scène ses meurtres, à faire prendre corps à son fantasme ultime qui est de faire disparaître le réel (dans un fondu au noir ?) pour le remplacer par son simulacre, l’univers cinématographique.
Après s’être grimé en Dracula lugosien lors d’une belle séquence muette figurant habilement la schizophrénie du personnage, celui-ci va alors commettre son second crime en le ponctuant de rituels issus de la mythologie vampirique et poursuivra sa vengeance sous l’aspect de héros ou de créatures emblématiques du cinéma de genre américain des années 30-60. Si les scènes de meurtres manquent dans l’ensemble d’audace visuelle et graphique (nous sommes très loin par exemple des excès baroques du Brian de Palma de cette période !), elles s’inscrivent néanmoins dans un dispositif assez original dans lequel figurent une forme de mise en abyme (Eric personnage de film qui joue le rôle d’autres héros de fiction) et un jeu récurrent de rimes visuelles lorsqu’une séquence est montée en parallèle avec celle dont elle est la réplique.
Sans parvenir tout à fait à atteindre une dimension métafilmique (un film contenant son propre commentaire sur son fond ou sur sa forme), FONDU AU NOIR gagne en intensité dans sa dernière partie, détachée qu’elle est des codes trop étroits du « slasher » et son finale situé au sommet d’un immense cinéma d’Hollywood Boulevard est une belle réussite. Nous passerons donc rapidement sur les défauts visibles de cette oeuvre (les nombreuses invraisemblances du scénario, la sous intrigue mettant en scène le psychologue…) pour saluer sa particularité thématique ainsi que l’interprétation fiévreuse de Dennis Christopher (DJANGO de Quentin Tarantino, 2012). A redécouvrir.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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