retrospective

Forced entry

Un vétéran du Vietnam retourne à la vie civile comme employé de station-service. Si la guerre ne l’a pas handicapé physiquement, elle l’a plus que perturbé mentalement : sérieusement dérangé, en proie à des visions atroces ramenées des champs de bataille, il perd de plus en plus la raison et s’en va agresser des femmes chez elles, les viole et enfin les tue.

Le film s’ouvre sur un carton dénonçant l’état psychologique des vétérans du Vietnam. Transition sur un corps sans vie, probable suicide par balle. Focus sur le cerveau, mis à nu par l’impact. Le cerveau, l’impact psychologique… le thème nous est rendu explicite dès l’introduction.

FORCED ENTRY est une date dans l’histoire du porno. Tout d’abord parce qu’il s’agit du premier long métrage de son réalisateur, Shaun Costello (qui le signe du pseudonyme d’Helmuth Richler), lequel tournera ensuite une cinquantaine d’autres bandes en une dizaine d’années. Ensuite parce que le film, par son ambiance, marque ses spectateurs. Le côté glauque évince sans conteste l’aspect excitant qu’on attend habituellement d’un porno. En ce sens, on peut le rapprocher d’une partie de la production « pink » japonaise la plus underground, celle qui mêle pornographie et commentaire social acerbe.

Ici, les victimes ne sont pas particulièrement belles, doux euphémisme : ventrues, aux seins lourds et tombant, marquées de cellulite, etc., elles correspondent fort peu aux canons actuels de la pornographie lambda. Mais finalement, ces corps empesés, qui doivent moins à la plastique d’un Rembrand qu’à la volonté de monstration du porno débutant, se trouvent – sans doute involontairement – raccord avec leur sujet : le montage alterné nous emmène en effet par va-et-vient incessant des charniers vietnamiens à ces corps féminins déchus. Un inquiétant Harry Reems y livre une prestation sans plus aucune mesure avec les pitreries de son personnage de DEEP THROAT.

Le seul autre nom connu du très court casting (5 acteurs pour tout le film), est Laura Cannon, vue notamment chez Joe Sarno (THE YOUNG, EROTIC FANNY HILL) et dans plusieurs autres Costello.

Au regard des standards actuels, le nombre de scènes explicites est également très faible : le film se divise en trois chapitres pour autant de viol ou tentative. La structure en boucle classique du cinéma pornographique est respectée : des scènes globalement identiques mais développant chacune ses variations propres. Notre pompiste suit donc des femmes jusque chez elles, les épie par la fenêtre (voyeurisme classique), pénètre par effraction (ce symbolisme de l’effraction, augmenté du fait qu’elle se réalise par le forçage des serrure au moyen d’un couteau, objet phallique, préfigure le viol physique à venir), terrorise sa victime, la violente, la viole, se déclare insatisfait de l’acte et massacre la femme.

Du premier viol, il se fait prodiguer une fellation suivie par une pénétration. Par gradation, sa deuxième victime subira fellation et sodomie mais le troisième acte retourne la situation en confrontant notre dégénéré à une situation sur laquelle ses menaces auront peu de prises : la confrontation d’un couple de hippies droguées et lesbiennes.

Ce troisième acte permet de clore le film de façon sensée, c’est à dire en accord avec l’intention discursive égrenée jusque là. Si le désastre du bourbier vietnamien englue la société américaine dans un élan morbide, l’issue viendra peut-être de la contre-culture, ici symbolisée par la caractérisation « hippie », lesbienne, droguée et définitivement pacifiste des protagonistes. Ceux-ci exerçant de surcroît la profession de sex-danseuses (elles font l’amour sur scènes pour un public voyeur), Costello promeut finalement la paix sociale que peut apporter au monde le porno. On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même !

Pour bien insister sur le fait que les personnages sont allégoriques, aucun d’eux n’est nommé. Les deux premières victimes sont à peines esquissées, des femmes de la classe moyenne, donc des victimes de la politique américaine. Elles restent anonymes et n’existent que par leur statut de victime. La paire de lesbiennes est un peu mieux située. Normal puisque c’est d’elles que viendra la solution, selon Costello. Quant au violeur, lui non plus n’est pas nommé. Il est par contre caractérisé par sa casquette, arborant le drapeau américain et dont il ne se dépare pas de tout le film, par son métier (pompiste, il pénètre les voitures et « éjacule » l’essence contre de l’argent) et par ses armes (révolver et couteau, qu’il caresse à plusieurs reprises) en guise de substitut phallique. En fait c’est moins de substitut que de complément phallique dont il s’agit : l’homme est doublement, triplement, quadruplement (pénis, couteau, révolver et pistolet à essence) phallique. Il n’est QUE sexe et celui-ci n’est en rien un instrument de plaisir ou de plénitude, ni pour ses victimes (logique), ni même pour lui (au final, ses viols le laissent insatisfaits). Son sexe n’est qu’une arme destinée à broyer de l’humain. Le film est donc truffé de stock-shot de vues de la guerre du Vietnam; images qui occupent tout l’espace mental de l’homme.

Les meurtres ou suicide sont eux aussi signifiants. Nous avions déjà signalé le cerveau dénudé par l’impact d’une balle. Mais on peut aussi souligner le premier meurtre. Au terme de la fellation, notre bourgeoise finit égorgée. La gorge est donc l’enjeu. C’est d’elle que sort le langage, c’est elle qui est enfoncée, obturée par le sexe-arme et qui est tranchée par le couteau.

On s’en voudrait de ne pas évoquer le son, qui participe pleinement du résultat. Parfois capté en son direct (d’ailleurs pas toujours audible), la matière sonore est étonnement travaillée pour un produit pornographique. Le son est aussi transposition de l’état mental. Il répercute donc les battements du cœur ou évoque des réminiscences de guerres pendant les viols. A ce titre, l’invitation dans le champs du micro du perchman (à la 21e minute) fait presque figure d’accident heureux en rendant visible au spectateur cet objet, une fois de plus phallique, qui s’en vient capter les bruits chuintants de la pénétration. Ce n’est d’ailleurs pas le seul moment où le dispositif filmique devient présent, un autre accident de production en devient signifiant : au terme du viol, l’éjaculation – en dehors du corps, comme le veut la règle du porno – s’écrase sur la lentille de la caméra au lieu du visage de l’actrice, brouillant en partie pour le spectateur la vision de la fin de la séquence. A vouloir voir au plus près l’acte, celui-ci en devient donc trouble et le système pornographique est rattrapé par ses propres règles. Le spectateur est confronté à ses propres attentes. L’éjaculation lui est aussi – agressivement – destinée.

Pour revenir au son, on mentionne aussi la musique qui de composition asiatiques à des pièces classiques, contrepoint à la violence sexuelle ou soulignement satyrique d’une flûte lors d’une fellation.

FORCED ENTRY a marqué les esprits à tel point qu’il fut plagié dès 1975 par un métrage dû à Jim Sortos… et également intitulé FORCED ENTRY. Cette version copiée est sortie en VHS française sous le titre VIOL SANS ISSUE.

Ce n’est finalement qu’un juste retour des choses : le film de Shaun Costello se posant lui-même en déclinaisons XXX du TAXI DRIVER de Martin Scorcese, influence qui perdurera d’ailleurs sur le réalisateur et qui rejaillira dans une variante de FORCED ENTRY : WATER POWER, déjà chroniqué sur Sueurs Froides.

Cliquez ici pour lire l’article sur WATER POWER

Share via
Copy link