Dossierretrospective

Fort Invincible

Dans les 50’s, le western américain est à l’apogée de sa période classique mise en branle par John Ford dès 1939 avec LA CHEVAUCHEE FANTASTIQUE, si bien qu’on ne compte plus les films du genre avec son lot de stars comme John Wayne (LE MASSACRE DE FORT APACHE, RIO GRANDE…) ou bien Gary Cooper (LE CAVALIER DU DESERT…).
Parmi toute la pléthore de longs métrages des 40’s / 50’s, force est de constater que le spectateur retrouve peu ou prou les mêmes histoires, les mêmes personnages et que la diversité scénaristique n’est pas toujours de mise.
C’est pourquoi le réalisateur Gordon Douglas (FORTUNES OF CAPTAIN BLOOD) va frapper un grand coup en 1951 avec FORT INVINCIBLE (ONLY THE VALIANT) en adaptant la nouvelle du même nom de Charles Marquis Warren, écrite en 1943.
Pour ce faire, le réalisateur va faire appel à un Gregory Peck alors en pleine ascension ainsi qu’à la jeune Barbara Payton (qui avait travaillé l’année d’avant avec Gordon Douglas sur KISS TOMORROW GOODBYE) et sortir le film sous la houlette de la boîte de production des frères William et James Cagney.

Le Capitaine Richard Lance est un formidable soldat doublé d’un gradé apprécié de sa hiérarchie. Zélé et particulièrement engoncé dans le respect des procédures militaires, il est aussi détesté par ses hommes qui lui reprochent son inhumanité latente. De même, sa vie amoureuse devient aléatoire à cause de son métier de soldat qui prend souvent le pas sur le couple qu’il forme avec Cathy Eversam, la fille d’un haut gradé. De ce fait, le Lieutenant Bill Holloway visiblement attirée par Cathy commence à marcher sur ses plates bandes et attise une compétition entre les deux hommes.
Plus tard, lorsque Holloway est envoyé dans une mission suicide lors de laquelle il ne s’en sortira pas vivant, tous les soldats (ainsi que Cathy) soupçonnent Richard Lance d’avoir envoyé son adversaire à une mort certaine pour se débarrasser de lui de la plus abjecte des façons. Le Capitaine Lance va alors prendre la relève de cette mission suicide en choisissant comme soldats, ceux qui le haïssent le plus afin d’empêcher une invasion apache…

FORT INVICIBLE posent donc les bases de films comme LES 7 SAMOURAÏS ou LES 12 SALOPARDS tant les personnages n’ont aucun points communs les uns avec les autres si ce n’est la haine commune qu’ils entretiennent à l’égard de leur Capitaine…
Ainsi, le danger ne viendra non pas de la mission suicide autour de la sauvagerie meurtrière des apaches, mais de l’intérieur même du fort puisque chacun veut régler son compte à Richard Lance. De con côté, le gradé ne changera jamais son fusil d’épaule et cherchera à mener sa mission à bien sans jamais se départir de sa personnalité froide et distante.
Encore une fois, Gregory Peck démontre qu’il maîtrise à merveille l’ambigüité de son personnage (comme il le fera plus tard dans MOBY DICK quand le capitaine Achab pousse ses hommes à bout pour trouver la baleine) pour qui la fin justifie les moyens (il n’hésitera pas à sacrifier le Lieutenant Winters pour aller chercher du renfort…).
Ceci étant, le Capitaine reste toujours très mystérieux quant à ses décisions et ses agissements : désire t-il vraiment accomplir sa mission ou bien se suicider après avoir été rejeté par Cathy, en amenant ses pires ennemis dans la mort ?
FORT INVICIBLE se démarque donc vite des autres westerns de l’époque grâce à sa teinte très sombre et son approche psychologique peu conventionnelle.

Malgré tout, on regrette parfois que les personnalités des protagonistes secondaires (notamment celle du soldat arabe Kebussyan) ne soient pas plus développées, voire même souvent sacrifiées un peu trop rapidement sur l’autel de l’ambigüité de la psyché du Capitaine Lance. On n’apprendra rien par exemple sur le désir de vengeance de Rutledge ou sur le jeune soldat Saxton.
Et c’est assez dommage en définitive, car FORT INVINCIBLE est un film si prenant que le spectateur s’attache à tous les personnages de cette mission suicide et aimerait en savoir plus sur les motivations réelles de chacun (pourquoi Onstot a-t-il choisi de déserter l’armée par deux fois ? D’où viennent les intentions belliqueuses du Sergent Murdock à son égard ?…).
Même si Gordon Douglas jette ici et là des petits éléments de réponses, il prendra un malin plaisir à brouiller les pistes, afin de laisser toujours planer un doute sur les agissements de chacun (le Capitaine Lance commencera même à s’expliquer sur ses propres agissements devant la tombe de Joe Harmony… avant d’être brutalement coupé dans son élan par une attaque indienne !).
Mais paradoxalement, ce sont toutes ces interrogations qui vont amener le film à dépasser le cadre de ses propres oripeaux et de dévoiler différentes facettes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que FORT INVINCIBLE sort souvent des sentiers (ra)battus du western pur et dur, pour prendre tantôt la forme d’un huis clos haletant (les soldats livrés à eux-mêmes dans le fort manigancent chacun dans leur coin dans un climat de suspicion permanent), tantôt la forme d’un film d’épouvante, notamment lors de la scène d’attente de l’attaque sanglante des apaches.
Qui plus, l’excellente gestion de la lumière (et donc du contraste noir & blanc) de Lionel Lindon est plus que remarquable et ajoute énormément de cachet à l’ensemble.
De même, la musique et les harmonies de Franz Waxman donnent un côté épique au long métrage et contrebalance habilement les ambiances de claustrophobie mise en avant par les avancées du scénario.

A l’arrivée, FORT INVICIBLE s’avère être un film fort, un film noir, un film racé qui témoigne du savoir-faire de Gordon Douglas et de toute cette pléiade d’excellents acteurs (Gregory Peck, Ward Bond et Lon Chaney Jr en tête). Et même si le long métrage n’a pas connu à sa sortie le succès escompté, il faut bien avouer que 60 ans plus tard, il garde sa sombre aura intacte et une saveur indéniable…

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