retrospective

Four flies on grey velvet

Troisième film de Dario Argento et dernier volet de sa trilogie « animalière » après L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL (1969) et LE CHAT A NEUF QUEUES (1970), QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS est un des films les plus méconnus et mal aimés du célèbre réalisateur transalpin. L’énorme succès de son premier film relance la mode du giallo en Italie au moins jusqu’au milieu des années 70 et pousse Dario Argento à poursuivre dans la voie du thriller sanglant. Ce troisième essai se situe à un moment charnière de la carrière du réalisateur qui tentera avec son film suivant (la comédie historique CINQ JOURS A MILAN, 1973) de donner un nouveau tournant à son œuvre, certainement lassé d’être déjà catalogué « petit maître du suspense à l’italienne ». L’échec retentissant de CINQ JOURS A MILAN mènera Dario Argento à reprendre certains éléments thématiques et formels de sa trilogie « giallesque » pour mieux les transcender dans son film suivant : PROFONDO ROSSO (aka LES FRISSONS DE L’ANGOISSE, 1975) considéré par beaucoup comme son chef d’oeuvre. QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS a, selon son auteur une nette teneur autobiographique : le film traite de la dissolution d’un couple (ce que vivait à l’époque Argento avec sa première épouse) et l’acteur principal (Michael Brandon) fut choisi par le réalisateur car il lui ressemblait physiquement !
Le jeune Roberto Tobias, batteur dans un groupe de rock, est convaincu qu’un homme l’épie et le suit depuis quelque temps ; pourchassant l’inconnu à l’intérieur d’un théâtre délabré, Roberto tue l’homme accidentellement et aperçoit une silhouette qui prend des photos du « meurtre » et disparaît. Peu après, Roberto découvre les photos chez lui et comprend qu’on veut le faire chanter; sa femme de ménage (qui pense avoir découvert l’identité du corbeau) est assassinée et son épouse Nina, lassée de leur relation, part se reposer chez des amis ! Le jeune musicien, dépassé par les événements et terrorisé par l’assassin/maître chanteur, décide d’avoir recours à un détective privé…
Avec QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS, Dario Argento a de toute évidence cherché à s’approprier et à remodeler à sa façon le genre très codé du giallo ; si ses deux premiers films respectaient un certain classicisme narratif (scénario très construit, progression logique et linéaire de l’intrigue,…), ce nouvel opus se caractérise par une volonté d’innover sur le fond et sur la forme. A ce titre, la séquence d’ouverture dans laquelle Roberto tue l’inconnu qui le suivait est éloquente : nous suivons, en caméra subjective, le jeune homme, passons à trois reprises d’épais rideaux rouges avant de nous retrouver sur la scène d’un magnifique théâtre rococo totalement vide. C’est ici que se jouera le drame, photographié par un automate caché dans un des balcons et qui disparaîtra… comme dans un rêve ! Cette plongée inaugurale dans une dimension onirique va ensuite contaminer tout le film, notamment par le biais du cauchemar récurrent du héros qui se révèlera prémonitoire ou lors de l’utilisation de « flash-forward » lorsque ce dernier se rend chez le détective privé (celui-ci, homosexuel et incompétent, est interprété par le toujours savoureux Jean-Pierre Marielle !). De même, la référence au cours du récit au fantasme pseudo-scientifique qui postule que la rétine d’un mort peut imprimer une image du meurtre (ou du meurtrier) ancre davantage le film dans un registre proche du fantastique. Mais c’est finalement en isolant ses personnages principaux, Roberto et sa femme Nina (Mimsy Farmer, DEUX HOMMES DANS LA VILLE de José Giovanni, 1976) à l’intérieur d’immenses pièces désincarnées où dans les rues étouffantes et labyrinthiques de Turin que Dario Argento parvient à conférer à son film une ampleur tout à fait irréelle. Tout en jouant avec ces éléments fantastiques à la fois narratifs et figuratifs, le cinéaste dessine les contours d’une thématique de la claustrophobie physique et mentale qui touche le couple et finit par les séparer progressivement dans une sorte d’indifférence mutuelle. Mais heureusement, nous ne sommes pas dans un film d’Antonioni et le réalisateur de TENEBRES (1982) nous gratifie de plusieurs meurtres violents et stylisés et d’une séquence remarquable au cours de laquelle une des victimes est traquée en plein jour dans un jardin d’enfants qui se transforme en lieu piégé digne d’un château gothique ! Toujours enclin aux expérimentations visuelles, Dario Argento innove avec une scène de « bullet-time » (trajectoire d’une balle filmée au ralenti, effet réutilisé dans LE SYNDROME DE STENDHAL, 1996) et un ralenti extrême, filmé avec une caméra augmentant par trois la cadence des prises de vues, pour la magnifique séquence finale. Malgré des faiblesses évidentes (les scènes comiques avec un ami de Roberto joué par un Bud Spencer encore inconnu ; le manque de présence du tueur, des meurtres qui auraient pu être plus graphiques…) QUATRE MOUCHES DE VELOURS GRIS est un film passionnant. Dario Argento en reprendra de nombreux éléments dans PROFONDO ROSSO qui marque la naissance et la quintessence de son style opératique et le point de départ de la veine fantastique et ésotérique de ses films suivants.

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