BIFFF 2013L'étrange Festival 2013review

Frankenstein’s army

Dans les derniers jours de la seconde guerre mondiale, aux confins d’une Allemagne bientôt dite « de l’Est » et en cours d’occupation par l’armée rouge, le caméraman russe Viktor est incorporé à une unité de reconnaissance où il doit tourner un documentaire destiné à édifier les masses populaire. Accepté de mauvaise grâce par le peloton, il filme l’avancée russe dans des landes abandonnées par les nazis lorsqu’un appel radio oblige son peloton à porter secours à des camarades coincés dans un petit village. Sur place, pas de russes mais bien des cadavres de nazis et de villageois. Et lorsque les communistes arrivent enfin à capturer un prisonnier, c’est un semi déserteur tellement apeuré qu’il a préféré se réfugier auprès de ses ennemis. Il y a quelque chose de louche dans ce village…

Production hollandaise avec des fonds américains et tchèques (pays de tournage), censément se passer en Allemagne de l’Est avec des protagonistes soviétiques, mais joué en anglais… par des acteurs prenant l’accent russe. Le mélange déconcerte !

FRANKENSTEIN’S ARMY était une programmation de dernière minute du 31e Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF), le film ayant ouvert peu avant à Rotterdam, avec un succès que le BIFFF espérait réitérer. Placé en séance de minuit, FRANKENSTEIN’S ARMY était annoncé comme le buzz probable du festival. Pfuuuuuuuuit, la baudruche s’est dégonflée, le film y a été correctement accueilli, mais sans déchainer les passions qu’avaient suscitées quelques éditions plus tôt un HUMAN CENTIPEDE (pour citer un autre hollandais fou) ou un LIFE AND DEATH OF A PORNO GANG (pour citer un autre pseudo documentaire situé en Europe de l’Est). Gageons cependant qu’il fera la tournée des festivals.

FRANKENSTEIN’S ARMY a les qualités et les défauts d’une œuvre d’un premier long métrage : de l’idée, de la générosité, de l’originalité d’une part, un manque d’équilibrage de l’autre. Bien que très professionnel et bien réalisé eu égard à un budget qu’on devine modeste, le travail de Richard Raaphorst a manquée d’un resserrage de l’écriture ou du montage.

L’appréciation de chacun se fera en fonction de l’importance accordée à ce genre de détails.
La forme est similaire à celle d’un found footage. Bien qu’ici on ne nous présente pas le film comme constitué d’un bout-à-bout retrouvé des années après la disparition du preneur de vue, le réalisateur conserve l’idée de nombreux plans tournés par Victor. La mise en scène classique côtoie donc le style found footage et sa caméra shaky qui donne le tournis. Il s’agit donc plus d’un point of view similaire à ceux des jeux vidéo.
Bref, sans en être, FRANKENSTEIN’S ARMY reprend tous les codes du found footage dans une démarche un peu opportuniste – le genre plait toujours -, un peu paresseuse – la caméra shaky et le montage abrupt, même professionnellement pensés, restent plus faciles qu’une mise en scène classique -, un peu « post » – le found footage nous inonde depuis quelques années, il est temps de le réinventer -, et un peu goguenarde – l’aspect comiquement outrancier introduit une moquerie du genre -.

A ce titre, on peut s’interroger sur la pertinence du found footage de nos jours. A l’époque de CANNIBAL HOLOCAUST, celui-ci fait pleinement sens, le support étant physique – le 8, le 16 ou le 35 mm – . Lorsque le BLAIR WITCH PROJECT lance le genre pour du bon, la cassette vidéo – et bientôt le dvd – règnent. Le caméscope est alors l’appareil d’enregistrement de prédilection. Le support physique témoigne de l’horreur aussi bien qu’il la produit ou la véhicule (THE RING). La légèreté toujours plus grande des caméras et leur accessibilité au grand public permettent à ce dernier d’enregistrer à son tour des images qui émargent plus souvent au réel qu’à la fiction. Avec le basculement vers le tout au numérique et l’abandon du support physique classique de stockage ou de projection, on peut s’interroger sur l’avenir scénaristique du found footage. Sans doute se réinventera-t-il sur base d’images « trouvées sur le net ». Et la généralisation des moyens de captation actuels, générant une production continue d’images par tous, notamment via les Smartphones, obligera sous peu à repenser le genre du found footage.

Cette digression nous fait donc mieux apprécier le déplacement de l’intrigue à la seconde guerre mondiale. Il est alors logique de reparler de found footage. Ces derniers présentent généralement des événements survenus à une époque indéterminée, mais finalement peu éloignée de celle de la découverte des bandes. Ce n’est pas le cas ici.

Replaçant donc le genre dans un contexte temporel éloigné peu usité, le réalisateur glisse d’ailleurs une saillie sur ce passage obligatoire de tout scénario d’horreur contemporain, celui qui doit se débarrasser des GSM. A l’absence de réseau se substitue ici le brouillage des fréquences radios de nos militaires. Bien que justifié ultérieurement par le scénario, cette scène, qui aurait pu être évité, trouve donc sa justification par le trait d’humour, la référence qu’elle induit en filigranes au casse-tête scénaristique induit par les moyens modernes de communication.

De même que le mockumentaire prend la grammaire du documentaire, supposer porter un discours de vérité, pour en déconstruire l’effet par contraste, de même peut-on cerner un mocku-found-footage. Dans sa forme classique, le found footage trouve sa force dans l’effet d’authenticité qui résulte d’images dont la grammaire nous laisse supposer qu’elles ont été captées dans un but non fictionnel. Au contraire, dans le found footage parodique, l’effet d’authenticité de la prise d’image est contrebalancé et moqué par ce que nous montrent ces mêmes images. On passe du « found footage » au « found foutage de gueule » !
FRANKENSTEIN ‘S ARMY y rejoint alors un TROLL HUNTER, lui aussi programmé au BIFFF naguère. Dans les deux cas, c’est le festival des monstres qui relance l’intérêt. A ce titre, FRANKENSTEIN ‘S ARMY tire son épingle du jeu, la conception artistique de ces derniers se révèlent de toute beauté. Les greffes de machines sur les corps des cobayes du docteur Frankenstein produisent des merveilles d’incongruité qui réjouissent alors le spectateur. L’exploration des caves et du laboratoire ramène également ce dernier à l’expérience des jeux vidéo, vers lequel lorgne forcément ce genre de projet. Le côté ludique est assumé et assuré.

Si ce n’est déjà fait, il faudra un jour qu’un ouvrage ou un site se penche sur la figure du nazi dans le cinéma d’horreur. Figure récurrente depuis bien longtemps, mais qui semble connaitre un regain d’intérêt ces dernières années, notamment dans le genre du film de zombies auquel s’apparente in fine peu ou prou les créatures du docteur Frankenstein. Contrairement à celle de son illustre ancêtre, qui n’était qu’amorale, celles-ci n’ont aucune conscience, ce sont de simples machines. Des corps torturés et exploités après leur mort ou leur décérébration.

Dans le monde merveilleux et enchanté de la production cinématographique, les idées émergent comme par enchantement souvent au même moment, ce qui nous vaut des projets similaires sortant a peu d’intervalles. Ainsi, le hollandais FRANKENSTEIN’S ARMY, ex ARMY OF FRANKENSTEIN, sera bientôt suivi – un trailer l’annonce pour l’automne 2013 – par l’américain ARMY OF FRANKENSTEINS (notez le pluriel !), réalisé par Ryan Bellgardt, situé, lui, pendant la guerre civile américaine et qui, au vu de la bande annonce, semble plus formaté. Il ne faut pas être un grand devin pour le placer dans la foulée du ABRAHAM LINCOLN, CHASSEUR DE VAMPIRES de Timur Bekmanbetov (avec d’après le synopsis, un soupçon de RETOUR VERS LE FUTUR).

Pour en revenir au film qui nous occupe ici, et pour conclure, FRANKENSTEIN’S ARMY est un spectacle inégal. Il lui manque quelque chose pour en faire le film fou qu’on attendait, mais le sujet, son traitement et la direction artistique lui confère suffisamment d’atouts pour qu’in fine on puisse le recommander aux amateurs de spectacles barrés.

Retrouvez notre couverture du 31ème Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF).

Retrouvez notre couverture de l’Etrange festival 2013.

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