Generation War

Un texte signé Vincent Trajan

Allemagne - 2013 - Philipp Kadelbach
Titres alternatifs : Unsere Mütter, Unsere Väter
Interprètes : Volker Bruch, Tom Schilling, Katharina Schüttler, Ludwig Trepte, Miriam Stein

Avec le film IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN ou bien des séries novatrices comme BAND OF BROTHERS et THE PACIFIC qui plaçaient l’Homme au cœur de la Seconde Guerre mondiale, le public a pu appréhender cette sombre période de l’histoire via un regard moins manichéen qu’à l’accoutumée.
En effet, en mettant en avant la peur, les doutes et la conscience du soldat face à l’atrocité de la guerre, les productions récentes ont opté pour une lecture réaliste du conflit en laissant entrevoir l’ambivalence des sentiments de tous acteurs de la guerre.
Malgré tout, rien n’avait jamais été fait pour exposer le point de vue allemand, si bien que le sujet a souvent été boudé au cœur du septième art depuis 1945, au point d’en devenir presque tabou.

Autant dire que le tandem STEFAN KOLDITZ (scénario) / PHILIPP KADELBACH (réalisation) marchaient sur des œufs quand il a décidé de mettre sur pied une mini-série de trois épisodes sur la ZDF, GENERATION WAR (UNSERE MÜTTER, UNSERE VÄTER) qui raconte l’histoire de cinq jeunes Allemands durant la Seconde Guerre mondiale : Wilhelm et Friedhelm Winter sont deux frères engagés sur le front de l’Est au sein de l’armée de la Wehrmacht. Charlotte a décidé de servir sa patrie en tant qu’infirmière tandis que Greta rêve de devenir la nouvelle Marlene Dietrich. Viktor, quant à lui, est le fils d’un tailleur juif et commence à comprendre que l’Allemagne qui l’a vu naître le rejette un peu plus chaque jour…
Acclamée par la critique, comme “une œuvre sans compromis” qui ouvre “une nouvelle ère” sur les stigmates de tout un pays, la mini-série a réuni une audience en Allemagne de plus de sept millions de téléspectateurs, avant d’être diffusée aux Etats-Unis et en Europe.
Entre reconstitutions historiques, images d’archives et scènes plus personnelles, GENERATION WAR nous entraîne au cœur de ces années noires qui ont profondément marqué l’Europe et le monde. En adoptant le point de vue de l’individu plutôt que celui, plus froid, de l’Histoire, la mini-série se veut un miroir de la complexité des hommes aux prises avec leurs doutes, leurs ambitions et leurs craintes, en se plaçant dans la droite lignée de BAND OF BROTHERS.
Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’important travail de reconstitution dans les décors et les costumes pour nous faire découvrir l’Allemagne des années 1940 au travers des cinq jeunes amis ainsi que les différentes campagnes de la Wehrmacht en Europe de l’Est. GENERATION WAR pose donc de solides bases au travers d’un univers visuel fort remarquable (les scènes de combats) et plutôt soigné.
De plus, la mise en avant des cinq personnages principaux va permettre de mettre en place une approche différente de la guerre, en ce sens qu’il y a cinq regards différents.
Ainsi, l’état d’esprit des deux frères Wilhelm et Friedhelm Winter envoyés sur le front de l’Est va vite changer au fur et à mesure qu’avance la guerre et effacer toutes leurs certitudes (le valeureux Lieutenant Wilhelm songe à quitter le combat tandis que le pacifiste Friedhelm devient une véritable machine à tuer). Au fil du temps, leur volonté de se battre pour le Reich s’étiole et laisse la place à une lutte désespérée pour leur survie au jour le jour. Loin du cliché du soldat sadique et froid, le combattant lambda de la Wehrmacht prend alors la forme de ce qu’il est vraiment : un jeune allemand pris en étau dans un conflit qu’il ne comprend pas vraiment…
De même, la jeune infirmière Charlotte, galvanisée par son désir de servir sa patrie, verra de près les ravages de la guerre dans un hôpital de fortune en confrontant ses propres convictions politiques et la réalité de la souffrance humaine. La jeune femme comprend rapidement l’ineptie de l’idéologie raciale dont elle s’abreuvait au fil des choix qui s’imposent à elle (doit-elle dénoncer une infirmière juive ? Doit-elle soigner un soldat russe à l’agonie ?).
A l’inverse, la belle Greta prête à tout pour sauver son fiancé juif Viktor va se complaire dans les hautes sphères du Régime afin de mener sa carrière du music-hall, tandis que son ex compagnon devra lutter pour sa survie en s’échappant d’un train de déporté…

Malgré ses qualités indéniables, GENERATION WAR pêche souvent dans la trame narrative du destin croisé des cinq personnages principaux.
Ainsi, si on comprend parfaitement la lente déshumanisation des deux frères soldats dans un conflit qui s’enlise, la prise de conscience de Charlotte, la fuite de Viktor et la quête de gloire de Greta pour gravir les échelons du succès, on a souvent du mal à appréhender leurs réelles motivations, car au final ne sait pas grand-chose sur leur passé… Certes, GENERATION WAR se propose de faire vivre la petite histoire au travers de petits bouts de vie dans la grande Histoire, mais force est de constater que certains personnages manquent un peu d’épaisseur, ce qui donne des passages souvent en dents de scie (initialement fiancée à Viktor, on ne connaîtra Greta qu’à travers sa relation houleuse avec un haut dignitaire SS…).
De plus, à force de trop vouloir faire s’entrecroiser les liens entre les différentes aventures des protagonistes, on note ci et là des retournements de situations assez invraisemblables, cristallisés par des cliffhangers “too much” à chaque fin d’épisode qui tendent parfois à décrédibiliser l’ensemble, jusqu’à lui faire prendre la forme d’un soap (Friedhelm à l’article de la mort est miraculeusement sauvé par Charlotte, Greta Müller donne un concert sur le front russe à l’endroit même où sont les frères Winter et Charlotte etc.).
Mais là où le bât blesse, c’est que STEFAN KOLDITZ survole un peu trop rapidement l’antisémitisme étatique du IIIe Reich dont est abreuvé le peuple allemand et la violence envers les juifs (la nuit de cristal, les dépossessions…). On aurait aimé un peu plus de prise de risques de la part d’une “œuvre sans compromis”
Pire encore, la mini-série renverra ce racisme primaire et violent quasi exclusivement en Pologne (les partisans sont tous antisémites et cruels à l’égard des juifs), ce qui a eu pour conséquence de créer une véritable vague d’indignation dans le pays, dans la presse et même jusqu’au sommet de l’Etat !

Ceci étant, GENERATION WAR apporte un précieux témoignage sur cette époque-là en présentant la jeunesse d’alors sous un angle très réaliste : malgré les exactions des nazis, la plupart des soldats ne sont pas froids et diaboliques comme on a pu le voir dans de nombreux films, mais seulement des hommes pris, bien malgré eux, dans une guerre qu’il n’ont pas voulue (“au début, galvanisé, on se bat pour son pays, plus tard on se bat pour ses frères d’armes et enfin pour sa propre survie. Il n’y a pas de soldat courageux. Un bon soldat n’est qu’un lâche qui espère qu’il ne sera pas touché et qui aura résisté à la tentation de rester humain…”).
On regrette que la mini-série de STEFAN KOLDITZ n’ait pas opté comme ses aînées BAND OF BROTHERS et THE PACIFIC de donner la parole aux vrais soldats en fin d’épisode afin de mieux appréhender cette période charnière de l’histoire moderne, via le prisme de vision des vaincus, car comme chacun le sait, l’histoire est souvent écrite par les vainqueurs.
En définitive, malgré une lecture de certains évènements majeurs parfois un peu trop rapidement éludée (la bataille de Stalingrad, notamment) et quelques soubresauts scénaristiques tirés par les cheveux, GENERATION WAR reste une série prenante et savamment travaillée qui, au-delà de ses nombreuses qualités techniques, visuelles et narratives, propose un regard sérieux sur la vie – et la mort – de toute une génération, sacrifiée sur l’autel de la barbarie via une idéologie imposée.
Plus qu’une simple série télévisuelle, GENERATION WAR est un vibrant hommage de la nouvelle génération à tous ceux qui ont subi la guerre.
“Les vrais gagnants de la guerre sont les mouches, car elles se nourrissent de la chair des humains…” – Wilhelm Winter


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- Article rédigé par : Vincent Trajan

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