Un texte signé Clément X. Da Gama

Japon - 1968 - Kazui Nihonmatsu
Titres alternatifs : War of the insects
Interprètes : Keisuke Sonoi,Yusuke Kawazu,Kathy Horan

Dossierretrospective

Genocide

Un bombardier américain transportant une ogive nucléaire est attaqué par une nuée d’insectes avant de se crasher sur une petite île du sud du Japon. L’armée états-unienne et des espions communistes se battent pour mettre la main sur la bombe, sans se soucier d’un danger encore plus grand : les insectes ont déclaré la guerre à l’humanité et veulent nous exterminer.

Le cinéma japonais nous a offert un grand nombre de films abordant, de manière frontale, les désastres engendrés par l’arme atomique. Seul pays à avoir souffert du feu nucléaire dans la chair de ses habitants, le Japon ne s’est jamais voilé la face quant à ce passé, et le cinéma national a autant exorcisé l’horreur d’Hiroshima et de Nagasaki qu’il a milité contre l’utilisation future de ce type d’armement. Si quelques auteurs réputés ont participé à cette tendance (Imamura avec PLUIE NOIRE, Kurosawa avec RHAPSODIE EN AOUT), ce sont avant tout des œuvres destinées à un large public qui dénoncent l’ignominie de l’holocauste atomique, des œuvres animées (AKIRA, KEN LE SURVIVANT) et filmées (GODZILLA, MATANGO). GENOCIDE fait partie de cette tradition nippone où le spectacle populaire se double d’une réflexion politique, souvent féroce et nihiliste.

GENOCIDE est d’abord un film de science-fiction, comme le souligne le second titre WAR OF THE INSECTS : parce que l’être humain menace à tout instant de détruire la Terre à grands coups de bombes nucléaires, les insectes se sont mis en tête (ou en mandibules) de nous faire la peau. Nous avons alors droit à des scènes d’attaques où des nuées de saloperies volantes (guêpes, sauterelles et autres bestioles peu ragoutantes) s’en prennent à des individus isolés, voire à des avions ! Ces séquences, sympathiques au demeurant, souffrent d’effets spéciaux vraiment datés si bien que le spectateur, plutôt que de ressentir l’effroi d’être à la merci de ces mignonnes petites bêtes, s’amuse à deviner les procédés optiques employés afin de représenter les différentes attaques. Les amoureux d’abeilles belliqueuses et d’effets spéciaux old school y trouveront leur compte, les autres rigoleront bien devant ces insectes écolos qui, tels des activistes Greenpeace avant l’heure, tentent par tous les moyens de stopper la course à l’armement nucléaire.

Heureusement, GENOCIDE n’est pas toujours aussi naïf (ou ridicule) dans son discours politique, loin s’en faut. Les conséquences désastreuses d’une explosion nucléaire sont régulièrement énoncées par les personnages (morts/souffrances de milliers d’innocents, retombées radioactives qui pourriront le Japon) mais, tandis que de nombreux films ont la fâcheuse tendance à annoncer une catastrophe qui ne survient jamais, GENOCIDE lui met en scène de manière concrète et brutale la réalité du cataclysme nucléaire. Le film s’ouvre sauvagement sur une explosion atomique qui vient nous bruler la rétine de toute sa déflagration : réminiscence des apocalypses d’Hiroshima et de Nagasaki, cette explosion sera suivie d’une autre qui, elle, conclura le récit et décimera l’ensemble ou presque des personnages. En encadrant le récit par deux champignons radioactifs, deux colonnes de fumée qui renvoient autant à la destruction passée d’une partie du Japon qu’à celle, en devenir, de la planète toute entière, le réalisateur de GENOCIDE ne fait pas que formuler une liste des risques inhérents à ce type d’armes ; il rend sensible et imminent les irréparables conséquences de son utilisation.

Cette thématique anti-nucléaire n’est en rien étonnante de la part d’un film japonais ; ce qui est plus surprenant, c’est que GENOCIDE s’intéresse à des sujets typiquement états-uniens et/ou européens, avec en premier lieu la guerre froide. Déterminante dans certains genres du cinéma hollywoodien de l’époque (la science-fiction paranoïaque notamment), la guerre froide s’invite ici avec intelligence et réussite. Les Américains et les Soviétiques sont à la recherche de l’arme atomique perdue et, sans jamais prendre parti pour l’un ou l’autre, GENOCIDE choisit de renvoyer les super puissances dos-à-dos : capitalistes et communistes se rendent coupables de mensonges, de trahisons, de tortures et d’autres joyeusetés à tel point que les héros japonais finissent par combattre indistinctement les représentants des deux blocs. En un sens, le Japon est dans GENOCIDE victime d’un conflit qui lui est extérieur, et il n’est pas interdit de voir dans cet affrontement Américains/Soviétiques « en terre étrangère » une allégorie du Vietnam, théâtre contemporain d’une guerre qui n’était pas si froide que ça…

Autre corollaire de l’opposition capitalistes/communistes, GENOCIDE met en scène une galerie de personnages « faux », qui passent leur temps à cacher leur jeu : entre les agents secrets à la solde du Kremlin habillés de chemises hawaïennes et les officiers yankees qui dissimulent leurs véritables intentions derrière une droiture toute martiale, le film marche dans les traces de certains films américains des années 1950-1960, tel L’INVASION DES PROFANATEURS DE SEPULTURES, où la guerre froide est synonyme d’une paranoïa du réel, où les visages bienveillants et les paroles anodines sont peut-être les masques de noirs desseins. On le voit, GENOCIDE est influencé dans son scénario par tout un pan du cinéma hollywoodien de l’époque mais aussi par les évènements qui se déroulent alors entre les blocs est/ouest. Et, comme si cela ne suffisait pas, le film soulève d’autres thèmes ô combien plus délicats.

Avant l’explosion atomique finale, deux personnages secondaires représentent, chacun à leur manière, l’atrocité de la guerre. Il y a d’abord Charlie, soldat noir américain devenu accro à la morphine après avoir passé trop de temps sur le front vietnamien. Seul survivant du crash de l’avion, il est torturé psychologiquement par les officiers américains, puis physiquement par les Soviétiques, afin qu’il révèle l’endroit où se trouve l’ogive nucléaire. Rendu cinglé par tant de violences, il s’arme d’un pistolet, tire sur les passants et finit par être abattu par ses frères d’armes. Charlie incarne les irrémédiables conséquences de la guerre pour les troufions de base : contraint à recourir aux stupéfiants pour supporter l’horreur du conflit, il est autant victime des Américains que des communistes, un « homme simple » poussé par l’inhumanité du monde dans les méandres de la folie. Le cinéma états-unien de l’époque n’osera pas aborder aussi frontalement ces thèmes, et il faudra attendre les années 1970 (TAXI DRIVER) et surtout les années 1990 (L’ECHELLE DE JACOB, GENERATION SACRIFIEE) pour que l’Amérique regarde en face le désastre humain qu’a constitué, dans ses rangs, le conflit vietnamien (consommation de drogues dures, sur-présence des minorités en première ligne, folie engendrée par les crimes perpétrés, incapacité à réintégrer la société civile).

Annabelle est l’autre personnage fort du film. Plantureuse blonde tendance femme fatale, elle révèle à la moitié du film ses véritables intentions : Annabelle est une rescapée des camps nazis et nourrit, depuis sa libération, une rancœur et une haine inextinguible qui la pousse à vouloir annihiler l’humanité grâce aux insectes qu’elle a génétiquement modifiés ; ayant elle-même souffert de tortures, elle n’hésitera pourtant pas à supplicier Charlie. Annabelle est un personnage particulièrement signifiant, allégorique du mal fait aux civils durant la guerre : déportée et vouée à une disparition certaine du fait de sa religion, elle est sortie des camps (du conflit mondial) totalement ravagée, vouant son existence entière à un projet d’extermination proche de celui auquel elle a échappé. GENOCIDE soulève ainsi la douloureuse question de « la vie après les camps » pour les civils (question à laquelle Primo Levi semble avoir répondu par son suicide), et plus généralement de « la vie après la guerre » pour les innocents qui l’ont subie. Enfin, et peut-être involontairement, GENOCIDE préfigure l’assertion de Jean-Luc Godard selon laquelle « les victimes d’hier sont les bourreaux d’aujourd’hui » : en faisant d’une juive rescapée de l’Holocauste la planificatrice d’un génocide mondial, le film entretient avec la sulfureuse réflexion de Godard une parenté troublante…

GENOCIDE est un film surprenant à plus d’un titre tant il est rare (et presque impensable) de trouver dans une œuvre japonaise des références explicites à la guerre du Vietnam et aux camps nazis. Quelque peu plombé par cette histoire d’insectes tueurs et par des acteurs qui se sont passés le mot pour ne pas être crédibles, GENOCIDE gagne à être découvert par celles et ceux pour qui le cinéma populaire, loin d’être un spectacle de lavage de cerveau, constitue le meilleur vecteur de discours politiques.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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