Un texte signé Clément X. Da Gama

Japon - 1968 - Hajime Sato
Interprètes : Teruo Yoshida,Tomomi Sato,Nobuo Kaneko

Dossierretrospective

Goke, Body Snatcher From Hell

Après le crash d’un avion de ligne, les quelques survivants se retrouvent bloqués dans un lieu indéterminé, isolé et désertique : sans eau ni nourriture, les tensions ne tardent pas à éclater. Sans compter qu’une invasion extra-terrestre planétaire est en cours, et que l’un de ces envahisseurs a pris le groupe de survivants pour cible…

La compagnie japonaise Shochiku, réputée pour ses drames sociaux/réalistes, est associée à de nombreux cinéastes mondialement connus : Ozu, Mizoguchi mais aussi Oshima et Kurosawa ont travaillé pour la Shochiku, donnant à cette compagnie ses lettres de noblesse. Cependant, parce qu’elle ne produisait que des œuvres « sérieuses », la Shochiku s’est fermée pendant des décennies au cinéma populaire, une manne pourtant juteuse comme l’avaient très bien compris la Daiei (créatrice de Gamera) et la Toho (à qui l’on doit la série des GODZILLA et l’excellente trilogie vampirique de Michio Yamamoto). La Shochiku s’est rendue compte de son erreur commerciale et a produit, à la fin des années 1960, une poignée de films de science-fiction et/ou d’horreur, parmi lesquels le très réputé GOKE, BODY SNATCHER FROM HELL (nom de dieu, ça c’est du titre !).

N’y allons pas par quatre chemins : GOKE est un film globalement raté si on l’envisage pour ce qu’il est en apparence, à savoir un film de science-fiction mâtiné d’éléments horrifiques. Les raisons de cet échec sont multiples. Il y a d’abord la profonde flemmardise du cinéaste, qui semble totalement désintéressé par cette histoire d’une créature gélatineuse venue de l’espace : les cadrages et mouvements de caméra sont plats, sans ambition, si bien que les séquences « de tension » sont aussi stressantes qu’une partie de Bingo un dimanche de pluie. L’un des moments forts du film réside dans la découverte d’une soucoupe volante : les personnages humains en présence sont tétanisés, avancent lentement vers cet étrange objet venu d’ailleurs tandis que le spectateur, lui, bâille aux corneilles tant la scène est léthargique et filmée avec les pieds.

La médiocrité des effets spéciaux est également en cause dans l’échec du film. Cheaps et jamais crédibles, ces effets prêtent à sourire comme lorsque l’extra-terrestre blobesque se glisse péniblement, à la vitesse d’un escargot comateux, dans le crâne de ses victimes. Que l’on ne se trompe pas : malgré le charme suranné du film qui saura séduire les amateurs de GODZILLA, de matte paintings et de modèles réduits voués à la destruction totale (voir ce plan d’ouverture magnifique sur l’avion en plein vol, baignant dans un ciel rouge sang), GOKE ne fait pas partie de ces films « à l’ancienne » où les effets spéciaux sont à la fois dépassés, évidents mais aussi diablement poétiques (FAUST de Murnau, LE CHOC DES TITANS, LA FISSURE, etc.). Ici, les effets spéciaux sont laids et empêchent le spectateur de plonger dans l’histoire.

Mais GOKE n’est pas vraiment un film de science-fiction : sous couvert d’invasion extra-terrestre (et de vampire interstellaire !), le métrage nous parle avant tout de l’être humain et de ses travers les plus sombres. En ce sens, GOKE s’intègre dans une certaine tradition japonaise que l’on pourrait désigner comme « l’étude de la nature humaine en milieu clos et hostile ». Dans de nombreuses œuvres nippones, un groupe d’êtres humains se retrouve bloqué dans un espace limité, menaçant, hors de la civilisation, et prétexte à l’expression de nos bassesses : une île mortifère (MATANGO, BATTLE ROYALE), une école perdue dans les limbes (THE DRIFTING CLASSROOM, CORPSE PARTY) ou bien encore un train piégé (THE BULLET TRAIN) sont le théâtre d’un déchainement de violences, où la survie de chacun prime sur le collectif et la morale. En déchirant ainsi le voile de la société et du vivre-ensemble, ces œuvres soulèvent des angoisses typiquement japonaises, celle de la promiscuité, et de la bestialité humaine qui menace à chaque instant d’exploser. GOKE est, à ce titre, l’une des œuvres les plus radicales et nihilistes de cette tendance.

Quelques instants après le crash de l’avion, le « microcosme de la cruauté » se met en place. Les êtres, coupés du reste du monde, s’insultent et se disputent férocement la dernière goutte d’eau tandis que l’on cherche à punir le pilote, responsable désigné de cette situation. Plusieurs armes à feu sont présentes et chaque survivant en usera pour dominer l’autre, le soumettre à ses caprices ou le donner en pâture au vampire de l’espace. Composée de scientifiques, de responsables politiques ou de « simples citoyens », cette humanité est progressivement un loup pour elle-même, à tel point que la menace extra-terrestre devient secondaire face à l’égoïsme, la jalousie et la recherche d’un pouvoir éphémère. Tout comme dans MATANGO et CORPSE PARTY, l’ennemi « extérieur » (monstre, fantôme, envahisseur de l’espace) n’est rien d’autre qu’un déclencheur des drames ; le véritable ennemi réside en nous, dans cette fragile morale humaine qui s’effondre dès que le cadre de la civilisation disparaît. Ne reste plus alors qu’une bête infâme, muée par ses pires instincts, luttant jusqu’à la mort pour sa propre conservation.

Cette représentation misanthrope de l’être humain s’intègre dans le cadre historique des années 1960. A peine le film a-t-il commencé que l’on apprend qu’un ambassadeur américain a été tué par un sniper ; cette référence à l’assassinat de JFK est suivie d’autres références, encore plus explicites, à la guerre du Vietnam. Tout au long du métrage, des photographies de cadavres et de soldats américains sur le front vietnamien ponctuent la narration, établissant un parallèle évident (bien que trop appuyé) entre la violence fictionnelle des personnages et celle bien réelle de l’époque de production du film. La conclusion apocalyptique, pleine de corps carbonisés, convoque le souvenir et la menace de l’arme atomique, si pesants dans la mentalité japonaise.

De ce fait, la laideur des comportements humains dans GOKE prend une saveur toute politique, puisqu’elle devient une conséquence naturelle, une suite logique de l’ultra violence du monde : lorsque les politiques sacrifient des générations entières sur l’autel de la guerre, lorsque les élites scientifiques et militaires fabriquent des armes cataclysmiques, l’humain est condamné à s’avilir, à s’entre-tuer, et finalement à disparaître de la surface de la Terre…

GOKE, BODY SNATCHER FROM HELL est un film bicéphale, nul en tant qu’œuvre de science-fiction, passionnant dans sa description d’une humanité si prompte à la sauvagerie. Notons pour conclure que ce film, comme LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, prend un malin plaisir à détruire les stéréotypes « du gentil et du méchant » : dans GOKE et chez Romero, les personnages humanistes font des choix stupides tandis que les égoïstes détiennent les clés de la survie. Une ambiguïté bienvenue qui évite au film de sombrer dans un moralisme stérile et qui renforce encore un peu plus la noirceur du genre humain.


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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