Grave

Un texte signé Philippe Delvaux

Justine entre à la faculté de vétérinaire et y rejoint sa sœur Alexia, un peu plus âgée. Timide et en mal être, elle a du mal à s’intégrer. Mais c’est lorsque cette jeune végétarienne est forcée, lors des activités de bizutage, d’avaler un foie cru de lapin, qu’une transformation se produit. Dégoutée et fascinée, elle découvre la chair… animale d’abord, mais la voilà bientôt attirée par une carnation plus humaine.

Pour l’évacuer, on va directement poser la référence qui vient immédiatement à l’esprit à la découverte de GRAVE : TROUBLE EVERIDAY de Claire Denis. Mais l’angle diffère : ici, Justine découvre progressivement son attirance, se découvre en fait à elle-même.
Justine est une jeune adulte en devenir, qui sort seulement du cocon de l’adolescence et se retrouve, non encore parfaitement formée dans les nouvelles transformations qui accompagnent ce passage de vie, auquel correspondent d’ailleurs les rites initiatiques des baptêmes étudiants, qui scandent le film.

Il s’agit bien ici d’un film de femme : tourné par elles et dont elles sont le sujet. Les émotions sont celle d’une femme en devenir, en proie à ses angoisses. On retranscrit celles-ci via les fluides : l’urine (très drôle séquence de pipi debout, à la mec), les sécrétions, les menstrues et bien entendu, le sang.

Le passage vers l’âge adulte est aussi symbolisé par la pilosité, question qui touche toutes les femmes mais qui est la plupart du temps évacuée du discours. Ici, au contraire, ils génèrent du sens. Les poils aux aisselles sont exhibés (à l’instar de la très belle et très gratuite séquence de la comédie LE GRAND APPARTEMENT) et ceux du maillot seront douloureusement épilés lors d’une séquence apportant une bascule dans l’action. C’est de l’arrachage des poils pubiens que viendra en effet le premier drame qui conduira Justine à découvrir une fascination morbide, ce qui augmentera encore la tension avec sa sœur.

Mais bien entendu, le passage au monde adulte est aussi celui de l’abandon de sa virginité, moment essentiel de la vie si pas affective, du moins psychique. Au déchirement de l’hymen correspond ici la dégustation de la chair, la mutilation des corps.

Coupure, morsure, blessure, le corps est mis à mal au rythme des tressautements de la psyché.

Présenté au festival de Toronto, Grave aurait provoqué l’un ou l’autre évanouissement. Pain béni pour créer le buzz marketing. L’assidu de Sueurs Froides sera certainement plus serein, les images, sans éluder le côté gore, n’ont rien d’excessives. Et c’est même pour un mieux, le film gagnant en crédibilité. Il ne s’agit pas d’exhiber la bidoche pour elle-même ou pour dégouter – la fonction de base du gore – mais comme support du discours sur le mal-être, le passage de vie… Présenté à l’Etrange festival 2016, GRAVE a provoqué des applaudissements, mais aucun évanouissement.

A moins que ces derniers n’aient été provoqués par les séquences de dissections animales – nous sommes dans une faculté de vétérinaires, rappelons-le – ?

GRAVE est au cannibalisme ce que TRANSFIGURATION est au vampirisme, un support discursif et une tentative d’ancrer l’horreur dans des préoccupations humaines et psychologiques marquées. C’est ce qui en fait tout le sel. Et dieu sait que le sel sur les blessures peut faire mal !

On retrouve dans des petits rôles, coproduction belge oblige, Bouli Lanners et Laurent Lucas – habitué depuis les CALVAIRE et autre ALLELUIA de Fabrice Du Welz des projets dérangeants.

Présenté à Gérardmer en 2017, GRAVE en est reparti avec le Grand Prix et le Prix de la Critique.

GRAVE a ensuite ouvert Offscreen 2017.

Retrouvez toutes nos chroniques d’Offscreen 2017


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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