Gueule de truie

Un texte signé Angélique Boloré

France - 2012 - Niogret Justine

La Terre a été dévastée par une catastrophe dont on ne saura rien. Survivent des « Gens », plus ou moins dégénérés, plus ou moins humanisés. Ces épaves, ces survivants sont poursuivis par les terrifiants Cavales. Ces soldats de Dieu sont élevés par Les Pères de l’Eglise dans le but d’éradiquer le dernier des êtres humains et ainsi permettre l’avènement du Jugement Dernier. Dieu a déclenché l’apocalypse pour punir les hommes, les inquisiteurs finissent le boulot.
Ce récit, très sombre, met en scène un monde horrible, dévasté, rempli d’êtres humains apeurés qui ne sont que des ombres et des fanatiques religieux abjects. Rien de neuf sous le soleil. A l’instar d’autres récits qui ont pris le parti d’explorer la part funeste d’une période post-apocalyptique, nous avons droit à croyants fanatisés qui martyrisent des enfants pour assouvir leurs ambitions dégénérées. Néanmoins, même si ce n’est pas original, cela fait toujours son petit effet, surtout quand l’écriture sert le propos.
Les Pères de l’Eglise dressent donc des enfants à devenir d’impitoyables anges vengeurs en ayant recours à d’ignobles méthodes éprouvées, la torture, l’avilissement, l’endoctrinement. Mais l’auteur n’entre pas dans des détails sordides, il pose intelligemment le cadre de son action, ne fait pas de l’exploitation gratuite. Et dans ce contexte, il parvient à titiller le lecteur. En effet, quand il pose son cadre (le monde mort et les ultimes meurtriers), le contraste entre ferveur religieuse et codes du déguisement grotesque, du masque terrifiant apporte quelque chose de dérangeant. Toute cette mascarade joue sur les codes du théâtre, du costume, dépassant l’absurde pour le pathétique mortel. Quand il est prêt à œuvrer pour Dieu, Gueule de Truie hérite de son uniforme : un masque à gaz aux vis proéminentes sanglé à sa tête, aux hublots insondables et filtres protecteurs étouffant la parole.
Une fois le décor posé, Justine Niogret introduit un élément différent, éveillant la curiosité de Gueule de Truie et du lecteur : une jeune fille trimbalant une boîte en ferraille défoncée. Que contient, cache, protège la boîte ? Quelle peut bien être la quête que cette fille semble s’être donnée ? Cette intrusion, moteur des trois quarts du récit maintient le lecteur en haleine. En effet, les relations entre les deux personnages s’avèrent torturées et torturantes, moches, intéressantes, titillantes. Bon, leurs actions et interactions se révèlent parfois pour le moins confuses car les motivations de l’un et de l’autre restent souvent dans l’ombre. Quelquefois, elles sont même peu compréhensibles. La fille ne parle pas, n’explique rien. Et, en comparaison, les pensées de Gueule de Truie sont cinglantes mais tordues. Mais finalement, peu chaut au lecteur, il dévore les pages pour savoir où l’auteur veut l’emmener.
L’intérêt pour l’histoire peut différer d’un lecteur à un autre. Cependant, ce qui est certain, c’est que l’auteur a réussi son traitement d’un terrible et peu original récit post-apocalyptique rempli de pauvres hères et d’exterminateurs pathétiques. Quand on découvre Gueule de Truie, on n’est pas empli de pitié pour cet enfant meurtri. Il est affuté comme un couteau ! L’auteur fait entrer le lecteur dans le monde terrifiant de Gueule de Truie. Il parvient à lui faire accepter cette horreur comme étant normale. Il a connu l’indicible et s’y soumet, le lecteur aussi. Et puis, sa Mission est terrible, et pourtant le lecteur n’est pas révolté. Ce dernier est tellement immergé dans l’action, avec tellement de talent, qu’il la vit littéralement, la comprend, l’accepte. Là réside l’immense prouesse artistique de l’auteur, dans la transposition de Gueule de Truie comme un personnage conscient, acteur de ses actions et embarquant le naïf et bien mignon lecteur avec lui.
Pour se donner une idée, voici un extrait, au début du récit, quand Gueule de Truie œuvre à accomplir sa mission divine :
Extrait […] Gueule de Truie est déjà venu ici. Il se souvient de la jungle. Elle le fait chier d’avance, alors que pour le moment, il n’en est encore qu’à la porte de fer forgé. Les arbres touffus, les lianes, les fougères. Les anciennes cages. Ça dépasse de tous les côtés. On se prend les pieds sur des troncs couchés, des racines sorties du sol, ça n’est pas rangé ; ça a tort. Le monde est en ruines grises, rues ouvertes, bris de glace et poutrelles crevant les murs. Il est punition ; il n’a pas à être moussu. Il n’a pas à être emmerdant, puisqu’il est mort. Gueule de Truie s’y connaît en morts, et s’il y a bien une chose qu’ils ne font pas, c’est avoir des exigences.
Il y a du vert, malgré tout, parfois. Mais tu bon vert : des arbres laissés dans leur trou de terre entre deux immeubles, tordus, couverts de charpie de foulards, de tissu, d’écharpes. Les Gens font des vœux en les nouant là. Des espoirs qu’ils attachent aux branches. Gueule de Truie les aimerait presque, ces foulards, s’il en était capable ; ça veut dire que des survivants se cachent pas très loin, et qu’on peut les finir en postant un guetteur ou deux […]

Brrrr, le contexte est terrifiant… Entrer dans la tête de Gueule de Truie… le comprendre et s’identifier à lui, c’est une expérience glaçante !
En remarque complémentaire, peu élégamment amenée mais tant pis, on peut saluer le travail de Ronan Toulhoat. La couverture de l’édition sortie par Editions Critic est absolument magnifique. Elle ne laisse rien à l’imagination mais rend parfaitement la beauté répulsive de Gueule de Truie.


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- Article rédigé par : Angélique Boloré

- Ses films préférés : Autant en Emporte le Vent, Les dents de la Mer, Cannibal Holocaust, Hurlement, L’invasion des Profanateurs de Sépultures

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