Hallucinations Collectives 2012

Un texte signé Éric Peretti

- 2012

C’est du 4 au 9 avril 2012, avec l’indéfectible soutien du cinéma Comœdia, que les membres de l’association Zonebis ont plongé pour la cinquième année consécutive la ville de Lyon dans une série d’Hallucinations Collectives. Bénévoles dans les faits, mais professionnels aguerris à l’organisation de manifestations culturelles, les responsables du festival, en véritables cinéphiles, se sont jurés de respecter autant le public que les œuvres proposées en s’imposant des règles de bonnes pratiques, strictes mais indispensables, qui ont fait de l’événement une réussite éclatante à tous les niveaux.
– Proposer aux spectateurs de (re)découvrir des œuvres atypiques dans les meilleures conditions techniques possibles.
– Ne pas se contenter de juste projeter des films, mais les accompagner en proposant des présentations par des spécialistes passionnés mais toujours pédagogues.
– Favoriser les rencontres entre le public et les invités en refusant de jouer la carte de l’élitisme au profit de celle du partage.

Pour la soirée d’ouverture, c’est tout simplement un feu d’artifices qui nous a été offert. Mais pas l’une de ces éphémères suites d’explosions colorées qui se dissolvent en volutes de fumées aussi vite que l’argent qu’elles ont coûté. Non, c’était bien sur l’écran de la grande salle du Comœdia, qui affichait complet, qu’ont eu lieu les réjouissances avec la projection de THE RAID : REDEMPTION, en présence de son réalisateur Gareth Evans. Il n’a pas fallu longtemps pour que la communion se fasse avec les spectateurs, et la séance fut régulièrement ponctuée d’applaudissements et autres manifestations d’une joie non simulée. Il en sera ainsi jusqu’à la fin du festival, comme si l’énergie positive dégagée par le film de Evans avait imprégné les lieux et les esprits.
Outre THE RAID, sept autres films concourraient en compétition officielle. Déjà récompensé à Gérardmer, le scandinave BABYCALL fut hélas le moins intéressant du lot tant il souffre d’un problème de rythme et d’une intrigue qui, en souhaitant ne pas être trop convenue, finie par comporter trop d’incohérences et échoue à être franchement originale. SCABBARD SAMURAI de Hitoshi Matsumoto, excellente surprise de la sélection, débute comme une comédie loufoque pour progressivement se transformer en un vrai film de samouraï. Les rires francs occasionnés par les gags visuels au début du film laissent progressivement place à l’émotion pure et le final, en dépit d’un passage chanté plutôt malvenu, est très touchant. Projeté hors compétition dans la foulée, DAI NIPPONJIN, premier film du réalisateur racontant sur un mode documentaire les déboires du défenseur du Japon face à différents monstres, a pu permettre aux spectateurs de se familiariser avec l’œuvre de cet artiste à l’univers très singulier. THE THEATRE BIZARRE, film omnibus qui réunit une belle brochette de cinéastes rares et talentueux, a alimenté de nombreuses discussions après la séance où chacun a pu exprimer son amour ou sa colère pour le segment de son choix. HELL et son monde brûlé par les rayons d’un soleil devenu trop puissant propose de belles images mais une intrigue trop anecdotique pour s’imposer comme une référence dans le genre post apocalyptique. Compagnon thématique du film précédent, THE DIVIDE, présenté dans sa version longue en présence de son réalisateur, l’adorable Xavier Gens, vaut bien mieux que la terrible réputation dont il est affublé. Même s’il n’est pas exempt de défauts, notamment une première partie trop longue, alourdie par des séquences complètement inutiles à l’image de celle du laboratoire, le film peut compter sur une interprétation solide et une mise en scène efficace qui amènent ce huis-clos nerveux vers un final très réussi. Mais les deux grosses claques de la sélection furent incontestablement RED STATE et KILL LIST. Avec le premier, Kevin Smith va surprendre ses fans mais redore son blason de réalisateur en démontrant un vrai talent de metteur en scène. RED STATE est un film d’une noirceur intense, à l’humour désespéré, qui règle ses comptes avec une Amérique religieuse ultra-conservatrice et policée. Lauréat du Grand Prix 2012, à juste titre, le britannique KILL LIST fait parti de ses œuvres polymorphes n’appartenant pas à un genre précis qui manipulent le spectateur pour l’amener et le perdre dans un univers très violent, à la lisière du fantastique, exactement de la même façon que l’obscure et inquiétante organisation du film plonge deux anciens soldats devenus tueurs à gages dans un enfer personnel.
Compléments obligatoires dans un festival, les courts métrages en compétition ont fait l’objet d’une attention toute particulière. Judicieusement sélectionnés, ils ouvrent les séances non pas comme des amuse-gueules incongrus avec le reste du menu, mais sont de véritables apéritifs annonciateurs du film suivant, que soit dans la thématique ou le style visuel. La symbiose fut d’ailleurs si parfaite que le vainqueur, le coréen A FUNCTION de Hyunsoo Lee, fut celui couplé avec KILL LIST.
Pour départager tous ces films, un jury de cinéphiles à l’attitude exemplaire, car en plus d’avoir vu les films en compétition, ils ont assisté à la quasi intégralité des autres séances, a été composé. C’est ainsi que Fausto Fasulo, rédacteur en chef de Mad Movies, Julien Bodivit, directeur d’un festival cousin underground et lausannois, Nicolas Boukhrief, réalisateur du CONVOYEUR et de GARDIENS DE L’ORDRE, et Jean-Pierre Bouyxou, éternel anarchiste amoureux de la contre culture dont il serait impossible de résumer la carrière en quelques lignes, ont squatté les salles de cinéma et sont restés disponibles pour de fructueux et agréables échanges avec le public durant ce marathon cinématographique qu’a été les Hallucinations Collectives.
Pour le plaisir de faire découvrir un cinéma autre, une quinzaine de séances supplémentaires ont donné l’occasion au public, bien conscient de sa chance puisqu’il s’est déplacé en masse, de savourer des raretés, de tester sa résistance face aux extrêmes ou encore de retomber en enfance en se rendant à la projection matinale de STRINGS, film de marionnettes intelligent, loin des mièvreries usuelles destinées à nos progénitures.
Le bien nommé cabinet des curiosités a ainsi rempli son rôle en proposant des films atypiques et fait le bonheur des privilégiés qui ont assisté à la diffusion d’une version tchèque et poétique de LA BELLE ET LA BÊTE. Avec SCHIZOPHRENIA, il fut possible de pénétrer dans l’univers intérieur torturé d’un tueur sadique tout en admirant l’incroyable travail de mise en scène déployé par une équipe de bricoleurs géniaux. Enfin, un film apéritif érotique gentiment sadomasochiste nommé THE IMAGE a pu surprendre ses spectateurs au détour de quelques plans volés sexuellement explicites.
Un regard sur une Belgique interdite mis à l’honneur le déprimant et visuellement superbe ULTRANOVA, le semi ratage génial des écrits de Bukowsky qu’est CRAZY LOVE, ou encore le charme désuet des LÈVRES ROUGES. Mais la pièce de choix au sein de cette sélection, celle capable de faire quitter la salle très rapidement à bon nombre de spectateurs, fut VASE DE NOCES, poème surréaliste et zoophile, qui a été présenté par son réalisateur Thierry Zéno, venu avec sa propre copie du film.
Figure marquante, Richard Stanley, accompagné de sa scénariste Scarlett Amaris, a honoré le festival de sa présence pour les projections de HARDWARE, qui vingt-deux ans après sa réalisation reste toujours aussi puissant, et de DUST DEVIL, présenté dans sa version remontée par Stanley lui-même, et à ses frais. Jamais exploité en France, ce nouveau montage prolonge l’expérience visuelle et confirme le talent du metteur en scène pour créer un univers emprunt de mysticisme et de folie.
Grosse déception en revanche en ce qui concerne THE INCIDENT. Laborieux dans son installation, jamais dérangeant ou même juste effrayant, ce premier film du clipper Alexandre Courtès ne suscite au final que l’ennui. Il en est autrement pour THE OREGONIAN, encore auréolé de son Grand Prix au LUFF l’année précédente, qui, avec son image brute qui gratte la rétine, aura secoué son petit monde. Film culte en devenir, dont toute tentative de rationalisation semble vouée à l’échec, la chose devrait pointer le bout de son nez lors de quelques séances de minuit peut être près de chez vous. Renseignez-vous auprès de Tanzi Distribution pour être certain de ne pas passer à côté de ce qui s’annonce comme l’un des films aptes à provoquer des débats passionnés.
Rajoutons encore à tout cela une projection de TOTAL RECALL, assortie d’une conférence, d’une lecture publique et d’une table ronde autour de Philip K. Dick. Ne se limitant pas à n’être qu’un basique festival de films, Hallucinations Collectives proposa aussi une nuit musicale, une exposition des plus belles œuvres de l’artiste Flushdelay, et accueilli le vernissage d’une nouvelle maison d’édition lyonnaise, Le Feu Sacré, qui offrit au public la possibilité de se faire dédicacer les deux premiers ouvrages de sa collection par leurs auteurs, le comédien Aurélien Lemant et le cinéaste F.J. Ossang.
Après cette immersion culturelle salvatrice, cette avalanche de bonheur cinématographique, l’équipe de Zonebis a décidé de nous en mettre une dernière fois plein les sens en clôturant les festivités avec la projection de DETENTION, au risque de provoquer une overdose fatale tant le film de Joseph Kahn agresse tous nos repères avec sa folie galopante.
Une fois encore Hallucinations Collectives s’est imposé comme un festival de qualité, à la programmation éclectique mais cohérente. Rendons hommage aux organisateurs, au cinéma Comœdia et son équipe, ainsi qu’aux bénévoles venus renforcer les effectifs. Mais la plus belle des récompenses pour eux ne réside pas dans ces quelques poncifs. Ce fut celle offerte par le public qui en se déplaçant, honora de la plus belle des manières le travail effectué. Alors, amis du cinéma, poursuivez votre travail, nous serons présents l’année prochaine, toujours plus nombreux…

Lien vers le site de Hallucinations Collectives
Merci à Luc pour ses photos.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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