Hallucinations Collectives 2013

Un texte signé Éric Peretti

- 2013

Que l’on soit un néophyte aventurier ou un cinéphile averti, se plonger corps et âme dans la programmation d’un festival de cinéma afin de se laisser porter par les films le composant est souvent une expérience des plus plaisantes. Le cinéma Comœdia, en réitérant pour la sixième année sa confiance aux membres de l’association Zonebis, a permis à ses spectateurs de tutoyer une certaine forme de bonheur lors de la troisième édition du festival Hallucinations Collectives qui s’est déroulée du 22 mars au 1er avril à Lyon.
Pourtant, cet accès au bonheur n’était pas forcément une chose acquise si l’on ne se focalise que sur les titres en compétition. Tributaire des aléas de la production et de la disponibilité des films, la sélection officielle s’est révélée être le maillon faible de la programmation, bien que la grande majorité des œuvres projetées étaient de qualité. L’incongru à ne pas congratuler fut THE COLLECTION de Marcus Dunstan, séquelle de son pourtant sympathique THE COLLECTOR (2009), qui, en-dehors de sa séquence d’ouverture d’une stupidité jouissive et incroyablement gore, s’enfonce dans une routine si prévisible qu’elle confine à l’ennui. Sans doute parfait dans le cadre d’une nuit foutraque, ce film n’avait clairement pas l’étoffe pour être en compétition. Hors contexte également, HOME SWEET HOME est un direct to DVD qui s’offrait ici une avant-première mondiale sur un écran. Remarqué avec MUTANTS (2009), David Morley signe ici un film très neutre et bien trop sage, pas vraiment honteux mais totalement dispensable, qui, en dépit de très bonnes idées, n’arrive jamais à surpasser son statut de produit de consommation. Avec une pudeur insoupçonnée de la part du réalisateur, et sa forme très académique, le superbe LAND OF HOPE de Sion Sono semblait tout aussi perdu au sein de la compétition. D’une grande justesse dans le traitement de ses personnages et très émouvant, le film n’avait cependant vraiment rien d’hallucinant. THE BODY, premier film du scénariste Oriol Paulo, est un thriller abracadabrant, mais parfaitement logique et cohérent dans sa démesure, très plaisant à suivre. Production espagnole oblige, le film est techniquement irréprochable et interprété avec talent. Il lui manque pourtant le grain d’étrangeté, le voile de folie qui aurait pu lui permettre de s’élever au-dessus de la catégorie des très bons films. Bête de festivals, présenté lors de la soirée d’ouverture en présence de son réalisateur, l’irlandais Ciaran Foy, CITADEL reste un grand moment de trouille mené tambour battant dans lequel les enfants abandonnés prennent la forme de nos peurs les plus primaires pour venir arracher un bébé des bras de son père. La bombe du festival aura été MODUS ANOMALI, perle indonésienne tournée en huit jours par Joko Anwar, dans lequel un homme amnésique se réveille en pleine jungle pour découvrir que sa famille à été brutalement attaquée… Mais mieux vaut ne rien dire sur le film pour en apprécier la découverte, si ce n’est que MODUS ANOMALI c’est comme un scénario de Park Chan-Wook mis en scène par un Apichatpong Weerasethakul sous acide ! Le film sera distribué en salles sous l’égide de Tanzi Distribution, ne le ratez surtout pas. Quant au jury, il a offert le Grand Prix à l’excellent mais hermétique BERBERIAN SOUND STUDIO de Peter Strickland, vrai film de festival qui risque de désarçonner plus d’un spectateur.
Ce même jury, composé de Frédérick Raynal, créateur du jeux vidéo Alone in the Dark, du journaliste tout terrain Christophe Lemaire, de l’aussi discret que talentueux Bruno Forzani, co-réalisateur de AMER, et du généreux réalisateur d’une bonne poignée de pornos cultes des années 70, Gérard Kikoïne, a également visionné avec attention la très bonne sélection de courts métrages qui accompagnait les films en compétition. Et c’est en toute logique que ce quatuor de cinéphiles a couronné l’énigmatique et fascinant LONELY BONES de Rosto. De notre côté, le coup de cœur s’est fait sur RECORD/PLAY de l’américain Jesse Atlas, triste mais beau voyage dans le temps à la recherche d’un amour perdu à jamais.
Mais ce qui fait la force du festival Hallucinations Collectives, c’est sa partie rétrospective qui permet au public de découvrir différents univers au fil de diverses thématiques, carte blanche et autres séances spéciales. Et non content de proposer des films rares, le festival les accompagne de brèves mais agréables présentations, donnant le plus souvent la parole à des spécialistes comme Fausto Fasulo, rédacteur en chef de Mad Movies, ou encore le Professeur Thibaut, co-programmateur du Festival toulousain Extrême Cinéma. De son côté, le cinéaste Nicolas Boukhrief s’est vu offrir un permis de diffusion avec les conséquences que l’on peut imaginer : la présentation de trois films aussi géniaux que couillus, dont le rarissime et maudit CONVOI DE LA PEUR (William Friedkin, 1977), remake impensable et époustouflant d’un classique de Clouzot. Boukhrief participa aussi à un débat avec le public lors d’une réévaluation bienvenue de ASSASSIN(S) (Mathieu Kassovitz, 1997), film qu’il avait en partie scénarisé.
La merveille de 2013 fut sans conteste la sélection Évanescente Innocence. De la très réaliste prise de conscience de la cruauté des adultes par Michele dans L’ÉTÉ OÙ J’AI GRANDI (Gabriele Salvatores, 2003) aux pulsions homicides qui agitent le jeune Seth dans L’ENFANT MIROIR (Philip Ridley, 1990), en passant par les rêves terriblement effrayants de Rosaleen dans LA COMPAGNIE DES LOUPS (Neil Jordan, 1984), le passage de l’enfance à l’âge adulte se fait dans la douleur et les larmes. Enfin, REQUIEM POUR UN MASSACRE (Elem Klimov, 1985), projeté au sein du Cabinet de curiosité, prolongeait la thématique précédente en y apportant une conclusion d’une telle noirceur qu’elle laissa les spectateur hagards et sans voix bien après la projection.
Pour mettre un terme à six jours intensifs de festival, la projection en 3D du dernier film de Tsui Hark, DRAGON GATE, LA LÉGENDE DES SABRES VOLANTS, fut l’occasion ultime de se faire retourner le cerveau et exploser les rétines. Il faut bien avouer que l’histoire perd très vite de son intérêt, même pour celui qui arrive à rester concentrer pour la suivre, et que seul reste en mémoire les expérimentations visuelles du réalisateur.
Une fois de plus, l’alchimie entre le Comœdia et Zonebis s’est révélée savoureuse et cette troisième édition d’Hallucinations Collectives a été un succès. Rappelons tout de même que la plupart des films étaient proposés dans des copies 35mm, véritable luxe à l’heure du tout numérique, et qu’il est aisément possible au public d’approcher les invités et d’échanger avec eux. Alors rendez-vous l’année prochaine pour un nouveau voyage au pays du cinéma atypique, pour une nouvelle tranche de bonheur.

Merci aux personnels du Comœdia, aux bénévoles et aux membres de l’association Zonebis.
Merci à Cyril Rouillon pour les photos.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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