Hallucinations collectives 2016

Un texte signé Paul Siry

Depuis 2008, l’association ZoneBis et l’équipe du Comœdia permettent pendant une semaine annuelle d’aller explorer un horizon cinématographique plus rare et singulier que celui proposé quotidiennement. Des rétrospectives de films peu connus, des avant-premières de films peu médiatisés et pas forcément distribués, des copies rares, des invités, tous se sont retrouvés face au public des Hallucinations collectives. Cette année, les spectateurs ont pu découvrir entre autres des cœurs brisés au milieu de porcs découpés, un fantasme de race parfaite, une danse avec des hommes en pâte, une éducation redneck peu laxiste, du sado-masochisme sous l’œil de Christopher Lee, les notes d’un pasteur raciste, un centre de redressement abandonné, un bar de skinheads au milieu des bois, de la pop allemande, des cigarettes à la marijuana, un cimetière de fourmis, un bébé que deux amies se donnent, une licorne, la peur de futures explosions atomiques aux USA, des explosions atomiques passées en URSS, une torture à base de gelée verte, des courses de moto-cross, une thérapie défouloir, un portail vers l’enfer dans un sous-sol, Soledad Miranda vengeresse, et on put y apprendre qu’il est dangereux de jouer avec une araignée en plastique dans une voiture.

En thématique principale cette année, l’honneur fut aux Singulières, ces personnages principaux féminins qui se suffisent à elles-mêmes, indépendamment de tout mâle. Ce fut l’occasion de découvrir ou redécouvrir, comme ce fut le cas de nombreux films italiens l’année précédente, le tout premier giallo de l’Histoire : LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP de Mario Bava. DER FAN d’Eckhart Schmidt, BLACK MOON de Louis Malle et CRÉATURES CÉLESTES de Peter Jackson complètent la sélection pour leurs Singulières adolescentes amoureuses ou obsessionnelle et leurs aventurières à Rome ou dans la campagne française.

Singulières aussi étaient les héroïnes des films de Jess Franco. Disparu il y a trois ans, le réalisateur espagnol était à l’honneur pour la deuxième thématique. LES INASSOUVIES, LE CABARET DES FILLES PERVERSES et CRIMES DANS L’EXTASE furent présentés par le spécialiste Alain Petit qui a également fait des dédicaces pour son livre JESS FRANCO, LES PROSPERITES DU BIS. Tous des années 70, les trois films montrent trois facettes de la vaste filmographie du prolifique Jess, figure unique du cinéma d’exploitation et maître de l’inachevé.

Singulière Fientje, l’héroïne séduisante et ambitieuse jouée par Renée Soutendijk dans SPETTERS de Paul Verhoeven. Le film qui éclabousse du Hollandais Violent fut, avec APPEL D’URGENCE de Steve de Jarnatt et SONNY BOY de Robert Martin Caroll, présenté dans le cadre du cabinet de curiosités. On put aussi y voir INNOCENCE, présenté par sa réalisatrice Lucile Hadzihalilovic, qui décrit un pensionnat isolé de jeunes filles éduquées exclusivement par des femmes, toutes Singulières évidemment.

Singulière Tina, jouée par Carolyn Genzkow dans DER NACHTMAHR projeté en avant-première, troublée l’apparition d’une créature naissante. Cette créature est d’ailleurs crée en animatronique, rappelant de nombreux effets spéciaux dont les pères sont mis en avant dans le documentaire projeté cette année : LE COMPLEXE DE FRANKENSTEIN. Alexandre Poncet, journaliste à Mad Movies, et Gilles Penso, journaliste à L’écran fantastique, racontent avec les créateurs d’effets spéciaux leur passion pour l’art de la maquette, du latex et autres techniques, des débuts à aujourd’hui.

Singulière réalisatrice que Lucile Hadzihalilovic accueillie pour la carte blanche annuelle. Elle a présenté trois films d’origines différentes : de la science-fiction soviétique avec LETTRES D’UN HOMME MORT de Konstantin Loupouchansky, du surréalisme tchécoslovaque avec L’INCINERATEUR DE CADAVRES de Juraj Herz et un film espagnol traitant du fascisme, PRISON DE CRISTAL d’Augusti Villaronga. Suite à Nicolas Boukhrief, Pascal Laugier et Christophe Gans, Lucile nous a fait part de ses goûts pointus et des raretés qui ne seront pas oubliées de suite.

Nouveauté de cette année, un jury lycéen a remis un prix à un court-métrage. Ils ont choisi MANOMAN de Simon Cartwright, où Glen, humain moyen frustré en pleine thérapie, voit surgir un être primitif qui se défoule sur tout ce qui passe. Cris, courses, faire peur aux passants, tout est bon pour se faire plaisir sans penser aux conséquences. Manoman joue même avec la technique du film des marionnettes, comme s’il animait lui-même les personnages.

Le Grand Prix du court-métrage revient quant à lui à THE PRIDE OF STRATHMOOR d’Einar Baldvin. Le film relate les extraits de juin et juillet 1927 du journal intime de John Deitman, un pasteur raciste enthousiaste à l’idée de la victoire d’un blanc sur un noir à propos d’un combat de boxe. Ayant comme seuls dialogues une voix-off reprenant les notes du journal, l’ambiance est lourde, d’autant plus que l’atmosphère prend forme sous un soleil noir et des vols de corbeaux.

En compétition courts-métrages, il y eut également le retour de Calvin Reeder dont le premier long-métrage THE OREGONIAN avait été présenté en 2012 dans le cadre des Nouvelles Visions. Son dernier né THE PROCEDURE montre un simple homme partant au travail le matin et se retrouvant malgré lui au centre d’on ne sait quoi. Un rituel ? Une expérience ? Un supplice ? Autre chose ? D’une situation cauchemardesque, le film tient de l’inquiétude mais surtout de l’humour et Calvin Reeder a l’art de la chute et de la concision. Absolument inoubliable ! Le réalisateur américain a sûrement manqué au public des Hallucinations collectives lors de sa découverte. Après 4 ans et en 4 minutes, l’attente en valait largement la peine.

Pour la deuxième année de son existence, le Prix Petit Bulletin est cette année décerné à GREEN ROOM, le film d’assaut opposant des punks et des skinheads par Jeremy Saulnier. Le Grand Prix Hallucinations collectives remis par le public est remis à MEN & CHICKEN, la comédie d’Anders Thomas Jensen qui nous plonge dans un Danemark profond.

Pour conclure le festival fut présenté HIGH RISE de Ben Wheatley dont le second film KILL LIST avait gagné le Grand Prix Hallucinations collectives en 2012. HIGH RISE décrit la vie dans un espace fermé où deux milliers d’habitants jouissent et se confrontent, bouleversant le semblant d’ordre établi et ré-organisant un nouvel ordre social. Un aperçu des Hallucinations Collectives 2032 ?

Photos de François Henry.

Un grand merci aux équipes de ZoneBis et du Comœdia.


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- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance

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