Hallucinations collectives 2017

Un texte signé Paul Siry

- 2017 - ZoneBis, Comoedia

Après 9 éditions et des dizaines de films découverts, Hallucinations Collectives fêtait leur dixième édition avec une bonne vingtaine de longs-métrages à sortir et ressortir pour les yeux hallucinés des spectateurs, et ce sont toujours l’association ZoneBis et le cinéma Comoedia qui s’en chargent.

En amuse-bouche, le court-métrage CURVE de Tim Egan a fait forte impression. Une jeune femme blessée et coincée sur une surface incurvée au-dessus d’un vide noir d’où sonnent des échos de chutes mortelles. Aucune explication, aucune fioriture, aucun dialogue, c’est net, c’est concis, c’est anxiogène et très efficace. Puis c’est le comico-horrifique GET OUT réalisé par Jordan Peele (connu pour son humour) et produit par Jason Blum (connu pour ses productions d’horreur) qui a ouvert cette édition.
Dans les avants-premières en compétition il y avait un beau choix de genre avec entre autres de la science-fiction, du policier, du fantastique et deux films de vengeance. On retiendra un nouveau film d’homme invisible à petit budget, THE UNSEEN, réalisé par Geoff Redknap plus connu pour son travail de maquilleur. Créature très peu présente au cinéma, l’originalité de ce nouveau film est que le personnage disparaît petit à petit et couche par couche. D’abord quelques doigts dont la peau disparaissent, laissant voir la chair et l’os, puis une partie du crâne effaçant des mèches de cheveux, cette invisibilité est semblable à une longue agonie.
THE JANE DOE IDENTITY quant à lui se passe dans une morgue. Il y a bien sûr des films comme RE-ANIMATOR dont une bonne partie de l’action se passe dans une morgue, mais à part une petite poignée comme AFTERMATH de Nacho Cerda, peu de films s’y passent totalement ou quasi-totalement. Après THE TROLL HUNTER où l’imaginaire (la mythologie nordique) se liait avec le réel (filmé en found-footage), André Øvredal s’amuse ici aussi à mélanger ces deux mondes opposés. Retrouvé intact dans une maison dont les occupants sont tous morts, le corps d’une femme inconnue va être autopsié. Alors que le film commence comme un polar, les nombreux mystères autour de ce corps se révèlent inattendus, et d’autant plus inattendus par l’hybridation que propose le film. THE JANE DOE IDENTITY a gagné le Prix Petit-Bulletin remis par trois journalistes lyonnais.
Comme autre film plus policier, THE LIMEHOUSE GOLEM a été projeté en présence de son réalisateur Juan Carlos Medina. Adapté d’un roman à succès, cette production anglaise nous plonge dans le Londres de 1880 où un tueur sévit. Avec sa forte ambition visuelle, le film met bien en valeur et en abyme le monde du spectacle et de la représentation, lieu où il prend majoritairement part.
Une centaine d’années plus tard c’est dans une banlieue pavillonnaire australienne des années 1980 qu’une Vicki disparaît dans LOVE HUNTERS, kidnappée par un couple en manque d’amour. Le gros intérêt de ce premier long-métrage de Ben Young réside dans son trio de personnages, la fille séquestrée, le ravisseur cruel et sa compagne mal dans sa peau. D’une grande mélancolie, on ressent tour à tour de l’empathie pour chacun de ses personnages paumés au milieu des pavillons propres. Ceux-ci font d’ailleurs une bonne carte postale à travers deux plans très ralentis à la fois tranquilles et anxiogènes.
En science-fiction, REALIVE de Mateo Gil raconte l’histoire d’un jeune homme malade se suicidant encore intact pour être cryogéniser et peut-être revivre immortel. Il se réveille en 2084 en tant que grande première réussite d’un laboratoire. Avant d’entamer une vie sociale, il doit réapprendre longuement à se resservir de son corps, dans l’espoir de revoir son amie qui deviendra peut-être aussi immortelle. REALIVE explore beaucoup les relations sentimentales et leurs complexités. Si deux amoureux se retrouvent pour toujours, ça parait sympa dit comme ça mais le film a une approche bien plus pessimiste. Il est aussi habile dans ses sous-intrigues qui abordent les comportements sociologiques nouveau et l’éthique du docteur qui mène ses expériences comme un savant fou.
Comme films de vengeance, il y a celui comique, PREVENGE écrit, réalisé et joué par Alice Lowe où, enceinte, son bébé lui dit de tuer. Avec ce projet gardé spécialement pour une grossesse, Alice Lowe le concrétise réellement enceinte. L’idée est amusante, et la pré-actrice arrive à être un bon méchant en n’étant même pas né ! Plus classique, MESSAGE FROM THE KING commence comme une enquête dans Los Angeles puis son héros défonce à coups de chaîne de vélo. Le réalisateur Fabrice du Welz était venu au festival le présenter, il a reçu le Grand Prix Hallucinations Collectives décerné par le public !
Pour clôturer le festival, TUNNEL de Kim Seong-hun où un homme se retrouve coincé après un éboulement dans un tunnel. Cette grosse production sud-coréenne mêle tension, critique sociale et beaucoup d’humour comme ils savent si bien le faire.

Pour ses 10 ans, le festival nous ont plongé dans leur Chambre des Merveilles. Un copieux programme de 10 films qui a débuté dès le deuxième jour par GLISSEMENTS PROGRESSIFS DU PLAISIR et LITAN, les deux films français de cette rétrospective. Entre le labyrinthe d’Alain Robbe-Grillet et le cauchemar éveillé de Jean-Pierre Mocky, les novices comme les habitués du festivals ont eu un aller direct vers l’Halluciné, avec des acteurs aussi connus que Michael Lonsdale, Jean-Louis Trintignant, Jean-Pierre Mocky et aussi une brève apparition d’une toute jeune Isabelle Huppert.
Le fantastique était aussi au rendez-vous avec RÉ-INCARNATIONS de Gary Sherman et LA SENTINELLE DES MAUDITS de Michael Winner, deux séries B américaines qui parlent de morts qui reviennent à la vie, et de possessions démoniaques à l’instar de ROSEMARY’S BABY et de L’EXORCISTE. Mais là où LA SENTINELLE DES MAUDITS (avec d’ailleurs un jeune Christopher Walken) est assez attendu bien que de bonne facture, RÉ-INCARNATIONS est très angoissant et surprend tout le long du film.
Le western spaghetti était aussi au rendez-vous avec LE GRAND SILENCE de Sergio Corbucci, avec Jean-Louis Trintignant, encore lui, ce fut un grand plaisir de voir ce classique de western enneigé et ce duel où s’oppose un Trintignant muet contre un Klaus Kinski méchant comme il sait si bien le faire, mais surtout on a pu voir à la suite la vraie fin et la fin non-gardée sur grand écran.
En simili-western cette fois, c’est l’américain et pour le coup le très très solaire HITCHER de Robert Harmon qui fut projeté en 35mm. Le dernier grand rôle de Rutger Hauer, le désert et ses routes qu’il semble posséder lui-même, le mystère autour de son personnage, son inquiétante présente. Un classique, assurément.
Un jeune Lars von Trier jeune était aussi de la partie avec son faux documentaire EPIDEMIC où il se met lui-même en scène. Déjà très cynique et très drôle, le film offre aussi des instants très dramatiques dont un Udo Kier particulièrement émouvant.
On se souviendra beaucoup du film japonais de la sélection : LE LABYRINTHE DES RÊVES où l’aspect poétique et atmosphérique tend vers une immersion totale. Cette immersion se fait par une hypnotisante lenteur qui nous conduit à somnoler doucement. Une fois dans cet autre état, nous voilà totalement pris dans le film.
Mais comme d’habitude, le meilleur vient de Tchécoslovaquie. LE MARTEAU DES SORCIÈRES et MARKETA LAZAROVÁ, deux films en Scope Noir et Blanc, esthétiquement sublimes comme le cinéma tchécoslovaque savait si bien produire. Deux histoires médiévales décrivant un monde chaotique entre les procès pour sorcellerie à foison et le parcours d’une jeune fille enlevée par des chevaliers, c’étaient bien les deux plus belles Merveilles du festival.

Grand habitué du festival, Le Chat qui Fume a eu carte blanche avec deux gialli classiques, d’abord OPÉRA d’un Dario Argento qu’on ne présente plus. Jamais sorti en salle en France et présenté dans une copie adoubée par Dario lui-même lors du PIFFF, ce fut une belle séance de (re)découverte d’un Argento peu connu.
Il y a deux ans, Le Chat qui Fume présentait le dimanche soir un giallo de Lucio Fulci. Cette année, Le Chat qui Fume a présenté le dimanche soir un giallo de Lucio Fulci. Parce que Lucio a réalisé d’excellents gialli, et c’était avec une copie impeccable, c’est toujours un grand plaisir. L’honneur fut donc à LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME qui n’a ni exorcisme et se passe surtout de jour, au moins le titre français ne gâche rien sur le contenu du film, avec l’inoubliable Barbara Bouchet, Marc Porel et Feu Tomas Milian.

Trois séances spéciales de choix avec le film d’amour non simulé, CORRUPTION de Roger Watkins qui brille de par sa photographie qui sublime les corps avec des couleurs et des lumières très fortes; SOY CUBA de Mikhail Kalatozov, ses longs plans-séquences vertigineux, ses riches touristes et son peuple cubain en pleine révolte; et surtout la soirée des 10 ans.
Pour cette dernière, un montage de deux heures a compilé bandes-annonces, extraits et autres vidéos aux styles multiples qui cernent l’esprit hallucinée cher au festival. On a pu y voir de la catégorie 3, un surhomme qui doit sa puissance à un masque Garfield, un bain de minuit qui tourne mal, une tête volante poursuivie par des hélicoptères, des bouts de gialli, une chanson sur la sodomie, Udo Kier qui décapite avec sa grande paire de ciseaux, beaucoup beaucoup beaucoup de japonais et même aussi un peu de Jean Yanne. Deux heures à voir s’enchaîner de la série Z, du musical, du gore, de la comédie, de l’animation, de l’horreur, de l’absurde, passant du coq à l’âne très souvent et surprenant toujours le spectateur, ce fut un large panel de ce que l’on peut voir dans le festival tous les ans mais concentré en deux heures.

En format moins long, il y eut deux séances de courts-métrages, l’une consacrée au réalisateur Bertrand Mandico en sa présence pour un débat avec le public, et la traditionnelle compétition de courts. De l’inquiétant avec CAN’T TAKE MY EYES OFF YOU, de l’adolescent avec MARGAUX, du rigolo avec LE PLOMBIER, de l’anecdote insolite avec FISH STORY et du coloré avec THE ABSENCE OF EDDY TABLE, mais ce qui a surtout marqué furent THE SUNKEN CONVENT et THE DISAPPEARANCE OF WILLIE BINGHAM. Le premier nous montre un jour comme les autres dans le quotidien d’un danois vivant seul dans son appartement banal. Banal, tout le reste le semble aussi, mais notre personnage effectue tous les jours un petit rituel christique avec un crapaud. Dans une routine présentée dans sa trivialité, on se demande si cela va basculer ou non devant l’étrangeté de l’occupation du personnage. Mais non, sous l’œil de la voisine d’en face, tout se passe comme prévu, avec une certaine tranquillité. Ne nous révélant jamais le pourquoi du comment, le film tire son étrangeté par finalement le simple fait de filmer la vie privée d’un homme seul, ce qui ferait passer n’importe qui pour quelqu’un d’étrange.
Quant à THE DISAPPEARANCE OF WILLIE BINGHAM, c’est l’histoire d’une alternative à la peine de mort testée sur un condamné qui sera petit à petit amputé et montré dans les structures éducatives. Uniquement du point de vue de celui qui veille à ce que tout se passe pour le mieux pour Willie Bingham, le condamné en question pour le meurtre d’une petite fille, on suit ces amputations à l’image de la famille de la victime qui se décompose au fur et à mesure des opérations. Questionnant la justice via ce procédé à mi-chemin entre la peine de mort et la condamnation à vie, Willie Bingham se retrouve complètement changé comme l’indique la première réplique où le personnage principal dit avoir vu deux Willie Bingham et comme le sous-entend le titre, le Willie Bingham d’avant les mutilations disparaît. Cette même idée est d’ailleurs reprise par le condamné en question, disant qu’il n’était pas lui-même lorsqu’il a tué sa victime sous alcool et sous drogues. La question est s’il est plus juste pour changer un individu de le diminuer littéralement que de le faire évoluer. Au lieu qu’il sorte de prison et serve la société comme tout bon citoyen, ce qu’il reste de son corps est exhibé dans les écoles et autres structures pour montrer le contre-exemple, comme un véritable freak de fête foraine. Un court-métrage glaçant qui dit beaucoup en un quart d’heure, il y aurait même moyen d’en réaliser un long-métrage.

Tout cela s’est fini par le public qui, encouragé par un membre du Comoedia, a applaudi fort l’équipe de ZoneBis pour ses 10 années de travail. Une standing-ovation méritée pour des dizaines de découvertes, de rencontres et d’émotions partagées devant tant de films uniques. Au nom de Sueurs Froides, on vous dit aussi un grand MERCI !

Palmarès :
Grand Prix Hallucinations collectives longs-métrages : MESSAGE FROM THE KING de Fabrice du Welz
Prix Petit Bulletin : THE JANE DOE IDENTITY d’André Øvredal
Grand Prix Hallucinations Collectives courts-métrages : THE DISAPPEARANCE OF WILLIE BINGHAM de Matthew Richards
Prix Lycéen du court-métrage : THE ABSENCE OF EDDY TABLE de Rune Spaans


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link