Hara-Kiri : mort d’un samouraï

Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 2011 - Takashi Miike
Titres alternatifs : Hara-Kiri 3D, Ichimei, Hara-Kiri: Death of a Samurai
Interprètes : Ebizo Ichikawa, Eita, Koji Yakusho, Hikari Mitsushima, Naoto Takenaka

Motome Chijiwa, jeune samouraï se présente au château du clan Li pour demander à pouvoir effectuer chez eux son seppuku, ne pouvant supporter de continuer à vivre dans le dénuement après que son propre clan ait été dissout. Flairant une arnaque par laquelle des aspirants au suicide apitoient les seigneurs pour que ceux-ci les dissuadent du geste fatal en leur octroyant de l’argent, Omodaka Hikakuro, le meilleur sabreur du clan pousse l’intendant Kageyu Saeto à accepter la demande. Motome comptait en effet soutirer 3 ryo au clan Li et est donc forcé de s’exécuter, de bien vilaine et cruelle façon, sous l’œil impassible et dénué de compassion du clan tout entier. L’intendant espère par ce suicide forcé faire un exemple auprès des aspirants à l’extorsion. Un peu plus tard cependant, le samouraï Hanshiro se présente à son tour au clan Li avec une requête similaire à celle de Motome. Même après que, pour le dissuader, l’intendant lui ait confié le calvaire enduré par Motome, Hanshiro maintient sa résolution. Kageyu se résout donc à autoriser en ses murs ce second Hara-Kiri. Mais les choses commencent à déraper lorsque Hanshiro demande l’assistance au suicide d’Omodaka car ce dernier est introuvable. En attendant, Kageyu raconte son histoire…

Takashi Miike est un des réalisateurs contemporains incontournable du cinéma japonais de genre. Depuis 1991, il a livré un nombre impressionnant de métrages : 20 ans après ses débuts, HARA-KIRI était rien moins que son quatre-vingt-troisième film ! Excusez du peu. Débutant dans le V-cinéma, il a été repéré en occident via les festivals. Ainsi, le Festival du film fantastique de Bruxelles l’a très souvent programmé depuis BIRD PEOPLE OF CHINA en 1998. Quelques-uns de ses films sont ensuite sortis en salles : AUDITION (1999), VISITOR Q, la trilogie DEAD OR ALIVE, GOZU, LA MORT EN LIGNE. Depuis 2004 cependant, ses films n’ont plus vraiment trouvé le chemin des grands écrans… mais bien ceux des éditeurs dvd qui le suivent avec constance : SUKYAKI WESTERN DJANGO (avant donc la réexploitation par Tarantino en 2013 de nom iconique de « Django »), CROWS ZERO, ZEBRAMAN parmi d’autres. En 2006, son segment INPRINT pour la saison 1 des MASTERS OF HORROR fait parler de lui en se faisant déprogrammer à la télévision… trop extrême.

Le cas Takashi Miike divise : son cinéma, régulièrement foutraque, souvent inabouti, parfois empêtré de langueurs est simultanément régulièrement secoué de fulgurances et d’idées over-the-top. Le bonhomme touche en outre à des genres parfois radicalement opposé : des petits films de mafieux, des chroniques sociales, des adaptations de manga, de l’horreur, des comédies musicales, du film d’action… Depuis quelques années, il réalise en outre un grand écart qui le voit passer avec aisance de réalisations en plastique, au toc assumé et revendiqué, avec les ZEBRAMAN, les CROW ZERO, et tout récemment ACE ATTORNEY, aux œuvres plus maitrisées qui retiennent l’attention des festivals prestigieux avec 13 ASSASSINS (Lion d’or à Venise 2010) et HARA-KIRI (sélection officielle à Cannes 2011). Resté inédit en salles françaises, 13 ASSASSINS a par contre connu une sortie belge en juillet 2011. HARA KIRI est, quant à lui, sorti en salle en France le 30 novembre 2011.

Et c’est justice que de sortir cette partie de sa filmographie, les deux œuvres précitées témoignant d’un outil cinéma enfin pleinement maitrisé.

Il est piquant de constater que dans ces deux cas, il s’agit de remakes de deux classiques des années ’60, parfaitement réinterprétés dans une optique tout à la fois respectueuse et contemporaine. 13 ASSASSINS se livre en nouvel avatar du classique réalisé en 1963 par Eiichi Kudo réédité en dvd par Wild Side sous le titre Les 13 TUEURS. HARA-KIRI remake l’homonyme de Masaki Kobayashi qui était sorti en France en 1963, après avoir glané le prix du jury à Cannes. Si elle a aussi été sélectionnée sur la Croisette, la version de Miike sera par contre repartie bredouille.

Tourné en 3D, HARA KIRI s’inscrit donc dans l’air du temps. « S’inscrit » et non « sacrifie », la 3D étant ici bien intégrée, nous épargnant les projections pour travailler la profondeur du champ. Une retenue bienvenue donc, entièrement au service du résultat.

Deuxième point fort, la photographie, de toute beauté, et qui entre en résonnance avec la direction artistique. Cette dernière use – avec parcimonie – des couleurs symboliques : l’armure carmin du clan Li dans une pièce tendue de rouge, opposée à l’intérieur vert de la famille Motome. La cruauté d’un côté, la maladie et la disette de l’autre. Pour le reste, l’intrigue se débarrasse des artifices mais structure la narration autour d’un grand flashback central. L’explication de Hanshiro se place tant dans une opposition à la culture traditionnelle du non dit, que dans la résolution de son conflit : il renvoie le clan Li à son inutile cruauté. En confrontant les notions d’honneur au prisme du clan Li et de la famille d’Hanshiro, HARA-KIRI fait ressortir toute l’inhumanité des codes traditionnels.

HARA KIRI avance par petites touches, la décrépitude financière de la famille de samouraï s’observe ainsi en voyant leur intérieur de plus en plus dénudé, la pile de livres qui rapetisse et dont les ultimes pages servent à boucher les fenêtres trouées.

Hanshiro est le protagoniste d’une tragédie. Recueillant le fils de son ami, laissant sa fille se marier par inclinaison, vivant en honnête homme et cherchant à protéger les siens… puis les venger – il se heurte aux dictats d’une société oppressive : son clan a été démantibulé par manœuvre politique, le clan Li fige l’honneur en dehors de toute considération morale. A ce titre, la séquence finale, si elle ouvre à multiple angle de lecture (le clan est-il souillé ou s’en sera-t-il remis), reste très noire.

Le suicide rituel traverse tout le film, nombre de protagonistes finiront par s’ouvrir le ventre… de là à dire que ceci leur sauvera la face…

HARA-KIRI : MORT D’UN SAMOURAÏ est une vraie réussite, qui tient bien moins du film de sabre que du drame. L’interprétation juste des acteurs alliée à la mise en scène maitrisée de Takashi Miike emporte l’adhésion et classe le film parmi les meilleurs de son réalisateur.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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