Heaven And Hell

Un texte signé Jérôme Pottier

Taiwan, Hong-Kong - 1980 - Chang Cheh
Interprètes : Lee Yi Min, David Chiang, Fu Sheng, Fu Leng, Philip Kwok, Maggie Lee

Au début des années 1970, Chang Cheh subit un de ses premiers échecs avec l’insuccès de FRERES DE SANG (1973). Il quitte alors les studios hongkongais de la Shaw Brothers pour rejoindre Taiwan et fonder la Chang’s Film Company. Contrairement aux apparences, cette entreprise n’est pas indépendante mais financée par la Shaw Brothers. La firme mythique essaye, timidement, de s’implanter en terre maoïste. C’est sous la bannière de cette nouvelle société qu’il entame, en 1975, le tournage de HEAVEN AND HELL. Malgré quelques réussites artistiques, tel LE JUSTICIER DE SHANGAÏ en 1972, la Chang’s Film Company s’avère un fiasco et HEAVEN AND HELL n’est pas terminé. En 1977, la Shaw Brothers réinvestit des sommes considérables pour que le film voit le jour. Il sort en 1980, pour le plus grand plaisir des fans du réalisateur qui découvrent, assommés, l’une des oeuvres les plus barrées de l’histoire du septième art. Ces aléas de production donnent lieu à un script des plus tordus.
La première partie nous présente un couple d’amoureux menacé de torture par les dirigeants de la cour céleste. Ils sont sauvés par un gardien qui les envoie sur terre. Le gardien, coupable de trahison est alors sanctionné. Il devient chauffeur de taxi à Hong-Kong en 1977 : on ne plaisante pas au paradis ! Bien sûr, en vaillant héros défenseur de la belle brune, il commet l’erreur de trop en tuant un voyou qui s’en prend à un jeune couple. Il est alors envoyé en enfer…
Si tous les cinéphiles connaissent l’incroyable Chang Cheh pour ses débordements sanglants et son homosexualité refoulée, beaucoup ignorent cette réalisation complètement dingue que l’on croirait sorti d’un trip au LSD d’Hunter S. Thompson (l’auteur de LAS VEGAS PARANO brillamment adapté par Terry Gilliam en 1998). Reconnaissons lui l’habileté d’avoir su tirer parti des difficultés de production de HEAVEN AND HELL. En effet, en choisissant de diviser son histoire en trois segments, l’un au paradis l’autre sur terre et le dernier en enfer, il fait preuve d’une roublardise certaine. Il réussit presque à donner l’impression d’un scénario cohérent. Comprenant vite que ce n’est pas sur le fonds que son film sera extraordinaire, il décide de privilégier la forme.
Le spectateur assiste, ébahi, à une succession de sketchs mis en scène dans des décors hallucinants. Le paradis, sorte de caricature disco de toutes les composantes visuelles de la culture gay, est très kitsch (jamais ce qualificatif n’a été si bien approprié). On y voit des personnages harnachés comme dans le FLASH GORDON de Mike Hodges (1980) être complètement noyés dans une brume de coton sirupeuse.
Le second segment évoque aussi bien, à travers ses décors minimalistes empruntés au surréalisme allemand, les comédies musicales hollywoodiennes que le cinéma pop de Seijun Suzuki. On y voit des gangsters enchaîner des scènes de danse, quelques combats et de délicieux passages chantés. Chang Cheh rappelle à notre bon souvenir qu’il débuta comme chorégraphe à l’opéra.
La troisième partie constitue un sommet visuel dans la carrière du maître. Sa vision dantesque de l’enfer s’avère d’une folie incroyable. On y retrouve une influence très nette de la peinture de Jérôme Bosch associé à un amour prononcé pour l’esthétique disco d’un goût plus que douteux. Les lumières « flashy » bleues, rouges, vertes s’enchaînent au gré de tableaux qui s’attachent, avec cruauté, à dresser un inventaire exhaustif de toutes les bassesses humaines. C’est là que le cinéaste se surpasse, car chaque pêcheur est condamné à une forme de torture adaptée à ses méfaits. Les bavardes voient leur langue arrachée, les avares se font déverser de l’or en fusion sur la tête, les joueurs se font couper les doigts, etc. La liste des supplices est interminable et il est certain que Chang Cheh a pris un malin plaisir à multiplier ces scènes sadiques.
Bien que le rôle titre soit confié au fade Lee Yi Min, l’un des interprètes de l’insupportable sous Bruce Lee LE FOU DE HONG-KONG (Liu Sheng Hung-1974) qui fit la joie des cinémas de quartier hexagonaux à la mort du Petit Dragon, l’interprétation s’avère satisfaisante. En effet, on retrouve, dans les seconds rôles, les légendaires Venoms, certains spécialistes pensent même que cette pelloche est leur premier tournage. La troupe de Philip Kwok à l’œuvre, entre autre, dans LES CINQ VENINS MORTELS du même auteur en 1978, est ici accompagnée de Fu Sheng (LES 18 ARMES LEGENDAIRES DU KUNG-FU de Liu Chia-Lang-1982) et David Chiang (DEATH DUEL de Chu Yuen-1977). Ce qui garantit aux férus d’art martiaux, peu enclins à apprécier l’aspect visuel de HEAVEN AND HELL, quelques bons combats, surtout lors du final qui, comme d’habitude chez Chang Cheh, est complètement barbare.
Ce film singulier et décousu est un véritable OFNI (Objet Filmique Non Identifié) signé par un réalisateur vraiment dingue. Alors qu’on le croyait uniquement fasciné par la violence et les amitiés viriles, Chang Cheh révèle ici une autre facette de sa personnalité, celle qui admire les comédies musicales et le cinéma de Murnau. HEAVEN AND HELL est un grand moment de cinéma Bis à réserver aux fins gourmets amateurs de mauvais goût : à consommer sans modération…


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Jérôme Pottier

- Ses films préférés :

Share via
Copy link