Himizu

Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 2011 - Sono Sion (Sono Shion)
Interprètes : Shôta Sometani, Fumi Nikaidô, Tetsu Watanabe

Dans le Japon de l’après-Tsunami, le jeune Sumida vit avec sa mère dans un baraquement de location de barque, près d’un lac. Le père ne se montre que sporadiquement pour voler de l’argent et tabasser son fils à qui il reproche d’être né. Sumida offre asile à quelques sans-abri rescapés de Fukushima dans le terrain jouxtant sa maison. Il n’a ni rêves ni avenir et professe ne désirer qu’une petite vie tranquille de loueur de bateau. Sa condisciple Keiko Chazawa a, elle, un projet bien ancré : vivre avec Sumida, dont elle est follement éprise. Mais Sumida est très loin d’éprouver les mêmes sentiments en retour. Il méprise Keiko et voudrait en être débarrassé. Pourtant, Keiko se rapproche d’autant plus de Sumida qu’elle aussi est brimée : sa mère la pousse au suicide pour pouvoir refaire sa vie et construit même une potence à cet effet. De son côté, la mère de Sumida l’abandonne finalement sans regret et après son départ, ce dernier doit faire face à des yakuzas qui exigent de lui qu’il rembourse la dette contractée par son père. Face aux coups successifs, Sumida s’enfonce, se coupe du reste de la société, en dépit des efforts de Keiko.

Sono Sion est dans une passe créative, enchainant LOVE EXPOSURE, COLD FISH, GUILTY OF ROMANCE – programmé à l’Etrange festival et chroniqué sur Sueurs Froides – et HIMIZU. Ce dernier a été présenté au trentième Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF). HIMIZU est un film relativement long – un peu plus de deux heures – mais dont le scénario développe de nombreuses péripéties venant en soutenir la thèse. On ne sent dès lors aucune longueur. On y retrouve la patte de l’auteur de GUILTY OF ROMANCE. Le jury du 7e parallèle du BIFFF ne s’y est pas trompé en attribuant son prix à HIMIZU. On ne peut que lui donner raison et vous conseiller de le découvrir au plus vite.

Sono Sion creuse une fois de plus son thème favori et récurrent de la famille dysfonctionnelle : que ce soit pour Sumida ou Keiko, les parents ont définitivement renoncé, ont quitté le navire ou pire, tentent de détruire leur progéniture. Ils ne sont plus des passeurs qui élèvent et éduquent mais se posent au contraire en danger, voire en ennemis de leur enfants.

La société japonaise est malade nous dit film après film le réalisateur. Dans HIMIZU, on ne la voit qu’à travers quelques fragments : l’école avec un professeur idéaliste mais déconnecté et incapable d’aider Sumida et d’autre part les yakuzas, violents et préoccupés de leurs seuls intérêts financiers.

HIMIZU a été tourné peu avant la catastrophe de Fukushima mais Sono Sion en a modifié ensuite le montage pour insérer de nouvelles séquences intégrant le champ de ruines de la ville dévastée par le tsunami.

Il renforce dès lors son message en conférant à ces ruines un statut métaphorique : la société a implosée et la structure familiale est dorénavant inopérante. Société et famille broient aveuglément les individus, à l’instar de la vague gigantesque.

Et la jeunesse, sans repères, perd pied. Sono Sion filme d’ailleurs à plusieurs reprises des jeunes déboussolés, emplis de rage, poignardant au hasard quiconque se trouve sur leur chemin. Sumida emprunte à son tour cette voie nihiliste, en dépit des efforts de Keiko et des sans-abri. Ceux-là incarnent désormais les dernières bribes d’espoir : si la société et la famille ont démissionné, il reste l’amour et l’amitié. Mais même cette lueur vacille car elle nécessite que Sumida s’ouvre à elle et comment un être à ce point aliéné le pourrait-il encore ?

A propos de l’impossibilité pour un individu de trouver sa place dans quelque institution que ce soit, familiale, scolaire, sociale…, le réalisateur confiait d’ailleurs en interview : « On peut être libre dans une institution mais il faut se libérer de ces institutions et de sa propre institution. Pour citer le poète français Paul Eluard, quand on est adulte, il faut institutionnaliser les individus, on peut trouver une institution dans chaque individu et vice versa. L’idéal est d’être libre et de s’affranchir au sein même de l’institution.
(…)
Avec LOVE EXPOSURE, ma carapace a explosé et je n’ai plus d’amour. Je n’ai ni amour ni espoir ni dieu, c’est fini. Il me reste la tristesse, le désespoir, l’obscurité et l’univers [dont est] absent [la] lumière. » (propos recueillis en 2010 par le site Tomblands)

HIMIZU, c’est en effet une taupe, un être qui se cache du soleil. Au fil de l’intrigue, Sumida se retire de plus en plus, se coupe de la société et de Keiko, comme s’il se terrait, comme si la solitude absolue dans les ténèbres était son dernier refuge.

On le sait, Sono Sion est tout autant poète que réalisateur. Si GUILTY OF ROMANCE référait à Kafka, HIMIZU emprunte lui à François Villon avec la « Ballade des menus propos » où ce dernier professe : « Je connais tout fors que moi-même ». Et c’est sans doute là la dernière clé du film, qui pose que le pire ennemi de Sumida reste Sumida lui-même, incapable de sortir de son aliénation en dépit des efforts de ses amis.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.

Retrouvez notre critique de GUILTY OF ROMANCE.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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