I declare war
Canada - 2012 - Jason Lapeyre & Robert Wilson
Interprètes : Siam Yu, Gage Munroe, Michael Friend, Aidan Gouveia
Dans les bois, une bande de jeunes adolescents joue à la guerre. Deux clans s’affrontent et le vainqueur sera celui qui s’emparera du drapeau ennemi. Quelques règles balisent les passes d’armes : le drapeau doit rester dans la base, un « blessé » est immobilisé pendant un certain temps, un « tué » (par un ballon empli de peinture) sort du jeu et rentre chez lui. Chacun des enfants prend le jeu au sérieux, et tout spécialement les deux généraux. Les esprits s’échauffent et lorsqu’un « soldat » est capturé par l’autre camp, les méthodes pour le faire parler seront musclées. Au fil des événements, la personnalité et les motivations de chacun éclateront au grand jour.
I DECLARE WAR est une des toutes bonnes surprises du 31e Brussels International Fantastic Film Festival. Un de ces films dont on n’avait pas vraiment entendu parler, dont on n’attendait pas grand-chose, et qui au final rafle la mise.
Il s’agit d’un microbudget : un bois pour unique décor et des enfants au casting, rien de bien couteux. Vous ou moi aurions pu le produire. Et s’il ne mise ni sur le luxe de sa production, ni sur la renommée de son casting, ni sur la maestria de sa réalisation, c’est que l’excellence de l’intrigue et de sa mise en scène emporte l’adhésion. Nous faisons ici face à du cinéma dans sa forme pure : une histoire racontée sans affèterie, mais avec un vrai sens de la mesure et de l’adéquation entre moyens et objectifs. Pas besoin d’effets spéciaux, de stars, de mouvements élaborés de caméras pour raconter les affres de l’enfance et les rapports de force qui s’établissent au sein des groupes. La modestie apparente de sa réalisation fait tout le prix de I DECLARE WAR.
I DECLARE WAR traite de l’enfance et des valeurs qui y prévalent, un monde aux codes radicalement distincts de ceux des adultes. Et pourtant, l’enfant se construit, via le jeu, en reproduisant le monde adulte. L’enfance est ce temps où imaginaire et réalité, sans se confondre, bénéficient encore d’un statut égal. Où l’espace du jeu importe tout particulièrement et se révèle d’une importance perçue comme capitale. Ou l’amitié – et son corollaire l’inimitié ou le rejet – sont le moteur de bien des choix.
Tous thèmes ici traités avec pertinence par le scénario et la mise en scène. Et, gageure dans le cinéma, chacun des enfants est parfaitement dirigé et rend un jeu d’une rare justesse.
Le scénario crée une galerie de personnages bien diversifiés et crédible, dont les interactions fonctionnent parfaitement. On y trouve le leader, obsédé par la victoire, la fille amoureuse, plus mature, maligne et stratège que bien des autres, le coincé, le petit gros, la victime… La caractérisation fonctionne bien et chacun s’inscrit dans le déroulé de l’intrigue.
I DECLARE WAR nous montre l’enfance pour ce qu’elle est : loin du fantasme des petits anges, parfois cruelle, souvent amorale, non encore cadrée par une éducation encore à terminer et une maturité encore à acquérir. Un mélange d’innocence et de lucidité, de jeux de pouvoir, de jalousie, de manipulation.
Des jeux dans les bois, un révélateur de caractère, une compétition, des équipes… pour un peu, on se trouverait en pleine téléréalité à la Koh Lanta. Mais c’est son caractère pleinement fictionnel qui nous rend I DECLARE WAR autrement plus sympathique.
On se souvient qu’il y a peu, la France a lamentablement échoué dans sa double tentative de remaker LA GUERRE DES BOUTONS. Purs produits commerciaux, détachés de tout enjeu, ces deux remakes sont d’ores et déjà oubliés. I DECLARE WAR est, de ce point de vue, une tentative autrement mieux réussie de parler de l’enfance, qui plus est de manière intemporelle. Le film aurait pu être réalisé dans les années 50 qu’il n’aurait guère été différent. Gageons qu’il gardera toute sa pertinence dans 50 ans encore. Ici, le référent le plus pertinent est bien entendu SA MAJESTÉ DES MOUCHES. Selon certains ce roman aurait inspiré celui ayant donné lieu à BATTLE ROYALE, autre histoire de guerre inter-enfants, mais à l’angle radicalement différent. Pour en finir avec les références, un autre film nous vient à l’esprit, qui a su, lui aussi, merveilleusement capter les rapports entre adolescents : THE WE AND THE I, sans doute un des meilleurs Michel Gondry, qui pour l’occasion s’était débarrassé de ses bricolages visuels habituels au profit d’une captation toute en simplicité des rapports sociaux dans un bus scolaire.
Présenté au BIFFF parmi d’autres festivals de fantastiques, I DECLARE WAR n’y a pas vraiment sa place. La seule et très légère touche de fantastique provenant de la confusion lors de leurs jeux par les enfants entre réel et imaginaire. Nous voyons souvent à travers leurs yeux, lorsque le bout de bois se transforme en mitrailleuse ou le ballon d’eau en grenade. Mais qu’il soit dénué DE fantastique, nous le pardonnons aisément puisque ce film EST fantastique.
L’absence de stars, de gros studios, d’effets spéciaux, de marketing, etc., empêchera peut-être I DECLARE WAR de bénéficier de la visibilité qu’il mérite, ce qui se compensera, du moins l’espère-t-on, par le bouche-à-oreilles favorable auquel nous nous rallions par ces lignes. Outre son bon accueil au BIFFF, le film aura également obtenu le prix du public au Fantastique Festival d’Austin. Guettez son éventuel passage en festival, sa sortie dvd ou sa programmation télévisée/VOD, vous ne le regretterez pas.
Retrouvez notre couverture du 31ème Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF).
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- Article rédigé par : Philippe Delvaux
- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare