Il gatto dal viso d’uomo

Un texte signé Alexandre Lecouffe

France - 2009 - Marc Dray
Interprètes : Christophe Lafargue, Clémentine Decremps, Frédéric Aubry, François Remigi

La cinéphilie « bis » en France a toujours accordé une place d’honneur au cinéma de genre italien des années 60 et 70 et plus particulièrement au sous-genre du thriller transalpin plus connu sous le terme de « giallo ». Le paysage cinématographique français traditionnel ignorant jusqu’à l’existence de Mario Bava, il faut chercher dans les « marges » (film amateur ou d’exploitation…) des exemples de bandes rendant hommage aux gants de cuir, aux meurtres sanglants et à l’ambiance proche du fantastique des giallos (ou « gialli » pour les puristes). On peut alors citer le premier court-métrage de Christophe Gans, SILVER SLIME (1982), le très kitsch LE COUTEAU SOUS LA GORGE de Claude Mulot (1986), la première partie de BROCELIANDE (2002) de Doug Headline, certains plans de A L’INTERIEUR (2006) de Julien Maury et Alexandre Bustillo. Mais ces dernières années, notre pays semble touché par un fiévreux « revival » du genre, toujours marginal en terme de diffusion, certes, mais marqué par un effort qualitatif : BLACKARIA (de François Gaillard et Christophe Robin, 2009) et surtout le surprenant AMER (de Hélène Cattet et Bruno Forzani, 2010) sont des œuvres intenses et personnelles bien que sous forte influence « giallesque ».
IL GATTO DAL VISO D’UOMO (« le chat à visage d’homme ») est la seconde réalisation de Marc Dray ; il s’agit d’un moyen-métrage de 42 minutes, auto-produit et filmé en numérique qui revendique haut et fort sa filiation avec les films de Dario Argento et plus particulièrement avec ceux de sa « trilogie animalière ».

Alors qu’il roule de nuit, Octavien s’arrête pour prendre une jeune auto-stoppeuse avec qui il sympathise puis passe la nuit. Dans le même temps, non loin de là, un tueur de femmes surnommé « le chat » continue de sévir tandis qu’Octavien semble avoir du mal à faire la distinction entre ses rêves et la réalité…

Le premier écueil que parvient à éviter le film de Marc Dray est de ne pas tomber dans le simple exercice de style ou pire, le pastiche maladroit qui en ferait une simple transposition de l’univers et des topos du giallo dans une ville de province française des années 2000 ! Si les scènes de meurtres (de jolies femmes au physique volontairement 70’s) sont autant de citations directes de L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL (1970) ou de PROFONDO ROSSO (1975) de Dario Argento (notamment l’excellente scène d’agression se déroulant derrière une baie vitrée filmée en contre-plongée) et si l’esthétique générale des séquences où intervient l’assassin reprend celle immortalisée par Mario Bava dans SIX FEMMES POUR L’ASSASSIN (1964), mélange de fétichisme et de sadisme, IL GATTO DAL VISO D’UOMO sait aussi prendre ses distances avec les thèmes et motifs ultra-codifiés du thriller à l’italienne. Exit par exemple ce qui fait parfois la faiblesse du genre (l’intrigue policière souvent bavarde), exit certains clichés (le trauma infantile) et exit son aspect racoleur (la nudité souvent gratuite mais ô combien prisée des amateurs !). Le réalisateur choisit de ne garder que ce qui fait la beauté formelle du giallo : sa musique inquiétante et omniprésente (inspirée ici du travail des « Goblins » chez Argento), ses meurtres violents et stylisés (ils sont particulièrement graphiques dans le film, accomplis à l’arme blanche et servis par de bons effets de maquillage), son tueur ganté et masqué (très bien mis en valeur ici, écoutant l’air du « Génie du froid » de Purcell dans son antre ou caressant délicatement une souris) et ses teintes irréelles (le film se distingue par un beau travail sur les éclairages et couleurs primaires :voir la première apparition de l’assassin, silhouette noire se découpant sur un feuillage d’un vert éclatant). Techniquement, IL GATTO DAL VISO D’UOMO fait donc preuve d’une réelle maîtrise que l’on retrouve également dans la direction d’acteurs, tous excellents, en particulier Christophe Lafargue (Octavien) dont le physique et le jeu parviennent à retranscrire l’ambiguïté de son personnage. Car sans trop en dévoiler, précisons que le moyen-métrage bifurque rapidement vers un univers « mental » fait de possible dissociation, de confusion entre rêve et réalité où l’inconscient semble le véritable moteur d’un récit éclaté…En s’aventurant sur les terres de David Lynch ou de Philippe Grandrieux (y aurait-il des réminiscences de l’hypnotique SOMBRE, 1999 ?), le réalisateur prend le risque de perdre son spectateur mais démontre aussi l’étendue de son ambition.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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