Images

Un texte signé Stéphane Bex

L’édition par M6 Video au début 2015 d’IMAGES de Robert Altman, jusqu’alors indisponible, est l’occasion de se pencher sur une œuvre méconnue et mal aimée du réalisateur prolifique. Sorti en 1972, soit deux ans après le succès de MASH et encadré par le beau western qu’est JOHN McCABE (1971) et LE PRIVE (1972), une variation libre et désabusée autour de Marlowe, IMAGES s’inscrit dans un genre peu fréquenté par Altman, celui de l’horreur psychologique. Même si laissé dans l’ombre par d’autres tentatives antérieures d’exploration de l’inconscient et de la folie humaine (notamment le PERSONA de Bergman ou le REPULSION de Polanski), ou dédaigné au sein d’une filmographie que l’on a vite fait de ranger sous la satire plus ou moins caustique, IMAGES ne reste pas cependant totalement un hapax filmique puisqu’Altman réitère ce premier essai cinq ans plus tard avec l’étonnant TROIS FEMMES (1977), plongée dans la psyché féminine.

Ici, comme dans ce dernier, Altman se situe aux franges d’une conscience perturbée et adopte un point de vue féminin, de façon assez étonnante, le réalisateur parfois taxé de machisme préférant d’habitude les milieux masculins. L’héroïne, Cathryn – rôle qui valut à Susannah York un prix d’interprétation – est d’emblée présentée par le biais de sa psychose, une forme de schizophrénie qui lui fait mélanger souvenirs, phantasmes et réalité. Au centre de chacun de ces univers amenés à se superposer de façon chaotique, on trouve un homme poussant Cathryn à s’interroger sur sa possible maternité, ses désirs et sa sexualité, sinon traumatisante, du moins névrotique. A Hugh, le mari sur qui pèse des soupçons d’infidélité, se rajoutent ainsi successivement René, l’amant français puis Marcel, le meilleur ami d’Hugh avec lequel Cathryn a eu dans le passé une éphémère liaison. Objet de convoitise dans un monde réglé par la loi masculine, Cathryn répond à cette main-mise par la folie qui lui permet d’intervertir les visages, combler les vides ou renverser les rapports. Les figures masculines apparaissant puis disparaissant, à la manière de marionnettes dans un castelet, semblent alors traduire le remontage hasardeux d’une psyché éclatée.

Si certaines situations tirent vers la tradition du vaudeville – l’usage des passages et des portes dans la maison notamment -, Altman s’éloigne autant de l’humour noir de Polanski que du comique de situation, en donnant le pas à la lente imprégnation de ce chaos en progression. Sans sacrifier au psychédélisme habituel à la période ou aux effets grandguignolesques et horrifiques, le réalisateur choisit une approche plus réaliste et nuancée : le point de vue de la caméra, œil constamment ouvert tournant autour de l’héroïne, génère le malaise par un jeu constant de remise en question de l’espace et des perspectives ; à la psyché morcelée de l’héroïne répond un point de vue changeant permettant des effets de dédoublement de Cathryn. La bande sonore encore – et la musique de John Williams – , particulièrement travaillée, permet d’offrir un parallèle ou un contrepoint aux glissements identitaires : les voix se superposent autant que les visages se surimpressionnent ; les points d’écoute, variables, empêchent l’unité des discours. Seule la voice over de Susannah York lisant des passages d’un livre qu’elle est en train de rédiger (A LA RECHERCHE DES LICORNES, un ouvrage véritablement écrit par l’actrice) offre un fil rouge maintenu à travers un espace-temps qui se défait. Encore cette unité-là n’est-elle que factice, cette progression dans un monde merveilleux traduisant l’enfoncée inexorable de l’héroïne dans son univers phantasmatique. Seule porte de sortie esquissée au milieu de cette asphyxie, la jeune Susannah, doublet adolescent de Cathryn – l’effet de duplication est encore soutenu ici par l’échange des prénoms des actrices et de leurs personnages puisque Cathryn est interprétée par Susannah York et Susannah par Cathryn Harrison, un jeu onomastique que l’on retrouve également avec les interprètes masculins -, fait miroiter un moment un renversement positif des temporalités, renversement qui n’aura cependant pas lieu et ne pourra pas empêcher la fin tragique.

Bref, l’œuvre d’Altman se situe quelque part entre le trop et le pas assez et c’est sans doute ce choix modéré du réalisateur qui explique en partie le désamour dont le film est le sujet, tout comme la thématique et le symbolisme jungien dont il est pétri qui offrent moins de résonance à l’époque actuelle. A vouloir le comparer également avec les autres opus à l’aspect plus acéré d’Altman, on n’en saisirait pas entièrement la substance. Plus qu’une curiosité atypique, IMAGES est pourtant le moyen de se repencher sur l’ensemble de l’œuvre du réalisateur et l’envisager par un autre biais. Ses univers, où planent également nombre de névroses (on peut mettre ainsi en parallèle la conversation téléphonique au début de SHORT CUTS et celle que l’on trouve dans IMAGES), ne sont-ils pas également menacés tous par une forme de morcellement social ou psychologique ? Venu du cinéma indépendant, Altman conserve son goût de la frange et de la marge jusque dans ses productions les plus mainstream. IMAGES est la preuve que ce qu’un critique a nommé la « réalité subliminale » travaille ses motifs complexes dans l’ombre de productions faussement plus accessibles.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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