Insatiable

Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1980 - Godfrey Daniels alias Stu Segall
Interprètes : Marilyn Chambers, John Holmes, Jessie St. James, Serena, John Leslie, Robert Pennard, David Morris, Richard Pacheco

Rien ne prédestinait la jolie « girl next door » nommée Marilyn Ann Briggs à devenir une icône sexuelle. Ni son adorable bouille, qui ornait les paquets de lessive Ivory Snow (Procter & Gamble), ni ses courtes apparitions cinématographiques, aux côtés de Barbara Streisand dans THE OWL AND THE PUSSYCAT (Herbert Ross-1970) ou sous la direction de Sean S. Cunningham (futur réalisateur de VENDREDI 13-1980) dans TOGETHER (1971), ne la prédestinait à ouvrir la porte verte. Le film des frères Mitchell (DERRIERE LA PORTE VERTE) la propulse, en 1972, star mondiale du grand écran.
Premier film pornographique « officiel », avec le comique DEEP THROAT de Gerard Damiano sorti la même année, BEHIND THE GREEN DOOR est une exploration onirique du plaisir féminin. Il sacralise celle que les affiches appellent « the all-american girl » (la mademoiselle tout-le-monde), la mettant au centre d’une gigantesque partouze qui magnifie les rapports inter-raciaux (d’où la violence dont a fait preuve l’extrême droite étasunienne à l’époque contre ceux qui défendaient cette bobine). Le final jouissivement psychédélique superpose différentes visions d’une énorme éjaculation sur le visage innocent de la sépulcrale Marilyn, elle devient une icône de la libération sexuelle. Son faciès extatique longuement filmé en gros plan fait la force du métrage, dès lors, Marilyn Chambers marque sa différence avec le reste de la profession (dont Linda Lovelace, l’héroïne de GORGE PROFONDE), elle est une véritable actrice.
Ce qu’elle confirme en 1977 en interprétant le rôle principal de RAGE de David Cronenberg. Malheureusement, la critique bien pensante rejette sa composition, le chef d’œuvre noir et malsain de Cronenberg est assimilé à de la pornographie dans ce qu’elle a de plus crasse. Cette injustice porte un coup fatal à Marilyn Chambers qui s’enfonce dans la dope et la violence, prisonnière d’un ghetto nommé porno. En 1980 elle est l’interprète principale d’un film qui fera les beaux jours du Brady (le cinéma de quartier de Mister Mocky qui le programmait quasiment une fois par mois durant le début des années 90), une bobine qui marque sa rencontre avec la plus grande star masculine de l’histoire du genre, John Holmes et ses 38 centimètres de braquemard, INSATIABLE.
L’insatiable en question est Sandra Chase, mannequin vedette aux besoins sexuels énormes. Elle est en attente de tourner son premier film, révélant sa nymphomanie à sa vieille tante rigolote lors de ballades londoniennes interminables. Assaillie de fantasmes incontrôlables elle ne peut réfréner sa libido, y compris lorsqu’elle prend en auto-stop un jeune benêt qu’elle initie à l’art de la fellation.
Et c’est là que débute le show Marilyn Chambers, elle enfourne goulument le membre turgescent de son partenaire pour une gorge profonde phé-no-mé-nale ! Elle continue le festival, se faisant « fister » dans une scène saphique avec la belle Serena, bravant ainsi la loi car, à l’époque, le filmage de cette pratique était strictement interdit au pays de l’oncle Sam. Les scènes pornographiques grimpent en intensité, on est même à la limite de ce que pouvaient supporter les techniciens qui interviennent pour séparer la belle de son partenaire lors d’un rapport qu’ils jugent trop violent. Et là, stupeur, les deux tourtereaux regardent, sidérés, leurs interlocuteurs pour les sommer de filmer illico cette étreinte masochiste qu’ils apprécient. Le film atteint son point culminant lors du final onirique qui voit Marilyn se faire sodomiser par Mister Holmes et son pénis de cheval, elle lance alors un regard à la caméra qui traumatisera toute une génération de cinéphiles. Cette scène confère à INSATIABLE un statut de classique du genre qu’il ne mérite pas vraiment.
En effet, ce gros budget (plus de 300.000 dollars) est bien loin de la richesse thématique des plus grandes réussites du cinéma pornographique. La réalisation paresseuse de Stu Segall (futur producteur du REBELLE et de RICK HUNTER) qui aligne ses biftons à l’écran regorge des mêmes clichés que le cinéma porno embourgeoisé de Marc Dorcel : ah ces interminables plans séquences en hélicoptère, tout aussi inutiles que ceux où Marilyn conduit la Porsche du producteur. Le summum de l’ennui culmine lors des longues discussions entre Sandra et sa tante dans un Londres de carte postale. Seul le final tourné sur fonds noir (un hommage à BEHIND THE GREEN DOOR) et quelques trouvailles humoristiques (mais quel est donc le savon qu’utilise Sandra Chase ?) rachètent l’ensemble.
Le seul intérêt du film (mais il est de taille) réside dans la composition de Marilyn Chambers qui est de toutes les scènes, reléguant le reste du casting (y compris la grande Selena) au néant… sauf, bien sûr, John Holmes et sa trompe d’éléphant. La vision de ce freak dont tout le talent réside dans la verge reste un spectacle fascinant. Marilyn Chambers use encore, dans cette bobine, d’expressions faciales sidérantes (son visage est digne d’une toile de maître) ; son corps musculeux semble prêt à recevoir les assauts incessants et toujours plus avilissants de ses nombreux partenaires. A l’époque, Marilyn Chambers est sous l’emprise de son époux, le violent manager Chuck Traynor. Celui-ci, après avoir usé et abusé de l’autre grande du porno de l’époque, Linda Lovelace, entraîne Marilyn dans une déchéance aux doux relents d’alcool et d’héroïne avec distribution gratuite de mandales. Selon la profession, Marilyn vécut un véritable cauchemar jusqu’à son divorce en 1985. De plus, son échec dans le cinéma dit classique allait la pousser à tourner jusqu’à ses 56 ans, âge de son décès brutal en 2009 d’un arrêt cardiaque.
La drogue, la violence et les excès constituent également le quotidien de l’autre star d’INSATIABLE, John Holmes, qui meurt en 1988 à 44 ans d’un mal que l’on ne nomme pas encore SIDA. Les puritains se réjouissent de voir disparaître cet athlète du sexe qui ne cachait pas son attirance pour la gente masculine ni sa vie nocturne peuplée d’accointances avec le banditisme. Sa vie passionnante a inspiré le sublime BOOGIE NIGHTS à Paul Thomas Anderson en 1997.
INSATIABLE, bien loin de poursuivre la veine féministe de BEHIND THE GREEN DOOR, articule son sujet autour de la nymphomanie de son héroïne. Et même si le film représente ce qui s’est fait parmi de plus luxueux dans le genre il passe complètement à côté de son sujet, usant d’indigents lieux communs. Il ne fait pas de la femme un objet de désir mais une salope qui doit sans rechigner se soumettre aux fantasmes masculins les plus basiques. Toutefois la salope est ici superbe, certainement la plus grande actrice dramatique (la seule ?) qu’ait jamais connu le cinéma porno, Marilyn Chambers. Elle sauve INSATIABLE de l’anonymat et justifie, de par son talent, le visionnage de cette pelloche.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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