Iron Sky

Un texte signé Philippe Delvaux

Finlande - 2012 - Timo Vuorensola
Interprètes : Julia Dietze, Udo Kier, Peta Sergeant, Kym Jackson, Stephanie Paul, Götz Otto, Christopher Kirby

Pour pousser sa réélection, la Présidente des USA de 2018 envoie une nouvelle mission spatiale en exploration sur la face cachée de la lune. Pas de chance, les astronautes tombent sur une base du 3e Reich. En 1945, les nazis ont donc réussi à implanter une antenne lunaire et s’y cachent depuis, sous la conduite d’un nouveau Führer. L’astronaute James Washington est capturé par les nazis qui découvrent que la puissance des ordinateurs de poche contemporains surpasse de loin leur propre technologie. Ces ordinateurs permettraient de faire décoller leur super-vaisseau et d’initier enfin leur reconquête de notre planète. Ils envoient donc une mission sur terre, pour récupérer d’autres ordinateurs et pour bluffer la Présidente quant à leurs intentions.

Avec IRON SKY, le trentième Brussels International Fantastic Film Festival (BIFFF) a trouvé son succès de foule : précédé d’un buzz favorable, le film s’est rapidement retrouvé sold out – rappelons que le BIFFF à une capacité de plus de 1200 places – au grand plaisir de son réalisateur, venu en personne présenter son bébé avec beaucoup d’allant. In fine, IRON SKY est un des grands gagnants du festival, récoltant le doublé du Méliès d’Argent du meilleur film européen et le Pégase, soit le très couru prix du public. Ce qui l’aura fait remarquer de l’Etrange Festival qui l’a heureusement à son tour programmé.

Les comédies prenant pour cadre la deuxième guerre mondiale ainsi que celles ridiculisant les nazis se sont épanouies de longues années durant. La France a ainsi souvent aimé rire de sa douloureuse confrontation au régime hitlérien : LA GRANDE VADROUILLE, L’AS DES AS, OPERATION LADY MARLENE, les pitreries de LA 7e COMPAGNIE ou d’autres comiques littéralement troupiers. Dans les années ’80, on retiendra surtout les INDIANA JONES de Steven Spileberg. Auparavant, le réalisateur avait déjà traité la seconde guerre mondiale sous un angle comique avec 1941, qui voyait un sous-marin japonais égaré près des côtes américaines mettre sens dessus dessous une petite ville. Plus récemment, la deuxième parodie d’OSS par Michel Hazanavicius (OSS 117 : RIO NE REPOND PLUS, 2009) a retrouvé les SS exilés en Amérique du Sud, précédant de peu la relecture de l’occupation de la France par le INGLORIOUS BASTERDS de Quentin Tarantino. Et à peine IRON SKY rencontre-il ses premiers spectateurs que d’Australie nous est annoncé ce qui ressemble fort à une copie avec THE 25th REICH, prévu pour le 25 mai 2012. Là aussi, un mélange de SF, de films d’aventures et de nazis… qui partage même avec IRON SKY l’acteur Jim Knobeloch.

Le mélange des genres, ici le film de guerre, la SF et la comédie, est donc une méthode éprouvée de l’industrie cinématographique. Les producteurs espèrent toujours trouver l’alliance qui attirera les fans de l’un et l’autre des genres ainsi mixés. Le mélange de SF et de film de guerre n’est pas inédit bien entendu, nombre de productions de science-fiction prenant l’espace et les formes de vie qu’il est susceptibles d’abriter quasi exclusivement comme une menace qu’il faut éradiquer. Le même BIFFF programmait d’ailleurs THE ARRIVAL OF WANG, où des services secrets tentaient de percer les raisons réelles de l’irruption sur notre planète d’un alien à l’air affable. Sinon, Steven Spielberg, encore lui, nous livrait il y a quelques années sa version de LA GUERRE DES MONDES, autre classique du mélange SF et film de guerre. On ne s’égarera pas à tout citer, la liste serait interminable. Mais s’il ne faut en retenir qu’un, c’est bien entendu STAR WARS, dont l’imagerie renvoie à la Rome impériale… période de référence du national-socialisme. STAR WARS et son étoile noire sont d’ailleurs directement cités dans l’attaque du vaisseau nazi par la flotte terrienne. Cette scène séminale n’en finit d’ailleurs plus d’être recyclée, elle faisait l’objet d’un quasi remake dans la dernière production Luc Besson, le très creux mais très drôle LOCK OUT… lui aussi programmé au BIFFF. Enfin, pour évoquer les filiations d’IRON SKY, on s’en voudrait de ne pas évoquer MARS ATTACK qui partage avec le premier un certain sens de la dérision doublé d’un discours critique. Si l’opus de Tim Burton voit la terre attaquée non par de nazis mais par nos plus traditionnels martiens, rappelons que les films qu’il parodiait cachaient souvent derrière ces belliqueux extra-terrestres une métaphore du danger communiste. En d’autres termes, IRON SKY est-il à l’extrême droite ce que MARS ATTACK fut à l’extrême gauche ? Non bien entendu, le premier se moque bien des nazis mais fait surtout rire par l’énormité de son concept là où le second ironisait autant sur un genre cinématographique qu’il se gaussait de la stupidité de ses protagonistes.

Et pour faire bonne mesure, IRON SKY donne un coup à droite (les nazis, Sarah Pallin), un coup à gauche : la très communiste Corée du Nord est également tournée en dérision lorsque son représentant aux Nations-Unies revendique la paternité de l’invasion, dont le vaisseau amiral « a été construit par notre Grand leader lui-même ». Coïncidence, au moment où IRON SKY était projeté, la tentative de mise sur orbite d’un satellite par la Corée du Nord se soldait par un cuisant échec.

L’autre pendant du « film avec des nazis » – outre bien entendu les films de guerre purs -, ce sont les productions trashs des ’70, les nazisploitations et autres swastika-porns. Disons-le tout de suite, IRON SKY n’a rien à voir avec eux, l’humour ici évitant tout débordement de mauvais goût. Assez significativement, le film n’évoque jamais les juifs ou ne s’attarde trop sur l’idéologie brune. La seule allusion au racisme joue de la volonté des nazis de blanchir l’astronaute afro-américain incarné par Christopher Kirby.

On reste donc bien dans une comédie dont le calibrage lui permet d’atteindre le grand public et d’espérer une sortie en salle dans un réseau commercial. Tourné en Allemagne, mais en anglais, le film développe clairement des ambitions internationales que souligne encore sa tonalité très américaine. Celle-ci ressort du héros noir, des Etats-Unis comme localisation principale de l’action, mais également de sa Présidente, avatar évident de Sarah Pallin en ambitieuse dénuée de scrupules. Finalement, l’origine finlandaise du projet ne se trahit que par petites touches, notamment par ces traits d’humour qui voient le représentant finlandais des Nations-Unies se retrouver le seul à n’avoir pas violé le traité interdisant d’armer ses satellites.

Notons que le casting a retenu l’icône du film de genre Udo Kier qui s’est illustré dans DE LA CHAIR POUR FRANKENSTEIN et DU SANG POUR DRACULA, HISTOIRE D’O ou pour référer à la période nazie, dans LE CREPUSCULE DES FAUX DIEUX (Duccio Tessari, 1978) et plus récemment dans le faux trailer de Rob Zombie WEREWOLF WOMEN OF THE S.S. accompagnant le doublé GRINDHOUSE de Tarantino et Rodriguez.

Cinéphile, le réalisateur Timo Vuorensola cite deux œuvres phares : d’une part LA CHUTE (Oliver Hirschbiegel, 2004), dont il détourne la célèbre colère d’Hitler, laquelle a déjà été parodiée à de multiples reprises sur le net. En la recalant non plus sur le führer, mais sur la maison blanche, il décoche une pique à l’encontre d’une certaine frange politique américaine. D’autre part, LE DICTATEUR (Charles Chaplin, 1940) dont il cite pertinemment la fameuse séquence du ballon… qu’une institutrice sélénite montre à ses petits aryens pour leur inculquer la « beauté » du projet national-socialiste. Ce faisant, Timo Vuorensola illustre l’importance du montage dans la signification d’un message. Coupez une œuvre, et vous pouvez obtenir un résultat radicalement opposé à l’intention première. C’est toute la question du contexte, question importante dans le cadre d’une comédie se riant de ce qui reste l’une des plus abjectes idéologies du 20e siècle.

IRON SKY a été tourné aux Etats-Unis, en Australie et en Allemagne. Pour l’anecdote, les douanes allemandes ont rechigné à laisser entrer sur leur territoire les costumes nazis nécessaires au tournage. Il a été financé avec à peine 7,5 millions d’euro, dont un million a été levé auprès de souscripteurs via internet. Ce financement par les fans, que l’on trouve déjà dans la bande dessinée ou dans la musique et qui se développe pour le cinéma, est donc porteur d’espoirs. A l’heure de rédiger cette critique, une autre nazicomédie se monte via une levée de fonds auprès de fans : GO GO GIRLS VS. THE NAZIS (qui sera dirigée par Ron Purtee si la levée aboutit). S’il ne suffit pas toujours à lui seul à monter un projet, le procédé permet à tout le moins de prouver à d’autres financeurs que des fans attendent telle œuvre.

Et le résultat de ce qui reste comme un petit budget à l’échelle des productions hollywoodienne ne démérite pas. Bien sûr, certains effets trahissent un manque de moyens. Toujours est-il que l’ensemble donne l’impression d’une production bien plus cossue, enrichie en outre d’une jolie direction artistique. Gageons qu’avec IRON SKY, Timo Vuorensola a gagné son ticket pour Hollywood.

Retrouvez nos chroniques du BIFFF 2012.

Retrouvez notre couverture de l’Etrange Festival 2012.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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