Itoka, le monstre des galaxies

Un texte signé Clément X. Da Gama

Japon - 1967 - Kazui Nihonmatsu
Titres alternatifs : The X from Outer Space
Interprètes : Toshiya Wazaki,Peggy Neal,Eiji Okada

Des scientifiques partent en mission sur la planète Mars, mais une soucoupe volante quelque peu belliqueuse les force à rebrousser chemin. De retour sur Terre, ils réalisent qu’ils ont malencontreusement ramené de l’espace une créature surpuissante, qui ravagera tout sur son passage.

Les années 1960 constituent l’âge d’or du film de monstres japonais (Kaijû Eiga). Initié par Honda et son monumental lézard Godzilla, le Kaijû élargira son bestiaire au cours de cette décennie avec un papillon écolo tendance hippie (Mothra), une tortue volante aux dents acérées (Gamera), une créature de Frankenstein format XXL (FRANKENSTEIN VS BARAGON) et d’autres machins indescriptibles dont les noms auraient pu tout autant s’appliquer à une marque de lessive (Dogora, Atragon). Succès oblige, plusieurs compagnies cinématographiques s’essayèrent au Kaijû, et c’est ainsi que la Shochiku donna naissance au monstre Guilala dans son film THE X FROM OUTER SPACE (intelligemment rebaptisé en français ITOKA, LE MONSTRE DES GALAXIES).

THE X FROM OUTER SPACE est un métrage étonnant puisqu’il est clairement scindé en deux entités, presque autonomes. Dans sa première partie, le film décrit en détail une expédition scientifique partie du côté de Mars pour y récolter des échantillons (de quoi ? on ne sait pas trop). Les préparatifs de l’équipage, le décollage de la navette, la faible apesanteur de l’espace, la rencontre avec des astéroïdes et les problèmes de carlingue qui en découlent, l’arrivée en catastrophe sur une base lunaire : tout y passe sous le regard du cinéaste Kazui Nihonmatsu, manifestement fasciné par les particularités techniques d’une telle expédition. Mais il ne faut surtout pas considérer THE X FROM OUTER SPACE comme une sorte de pendant japonais au rigoureux 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE (sorti un an plus tard) : si Kubrick prenait son sujet très au sérieux, Nihonmatsu lui envisage le voyage dans l’espace de manière délirante et funky.

Penchons-nous un peu sur les scientifiques qui constituent l’équipage du vaisseau. Enfin, « scientifiques » est un bien grand mot : une bande de bras cassés éberlués qui oublient les règles élémentaires de l’apesanteur, ne s’émeuvent nullement de voir passer une soucoupe volante en forme de tarte aux pommes (« oh tiens, un ovni ! ») et bouchent les trous du fuselage avec leurs derrières. Quand ils ne travaillent pas d’arrache-pied à se draguer les uns les autres, ces hommes et femmes d’élite s’en vont rebondir bêtement à la surface de la Lune en se tenant la main, puis se retrouvent dans un salon cosy pour y boire du cognac et danser un petit slow. Parce que merde, le fait d’être en mission spatiale n’empêche pas de porter des tenues de soirée et de picoler un peu !

Le tout est porté par une musique jazzy en parfaite adéquation avec les pérégrinations de ces scientifiques en goguette : les tonalités sont légères, « insouciantes », donnant à cette expédition un tour particulièrement décontracté. THE X FROM OUTER SPACE est dans sa première partie une sorte de fantasme enfantin, un voyage dans l’espace tel qu’un gamin de 8 ans aurait pu l’imaginer (avec une goutte de cognac en plus). Ce parti-pris énervera les spectateurs férus d’exactitude scientifique et de relativité, les autres se délecteront de cette conquête spatiale aussi naïve que détendue du slip.

Puis, sans prévenir, le film change brutalement de ton. Alors qu’ils sont revenus sur Terre, les héros voient se dresser devant eux une bestiole de 30 mètres de haut qui s’en va détruire le Japon. Rien auparavant ne laissait présager la présence d’une créature géante dans le récit, si bien que THE X FROM OUTER SPACE évite l’écueil classique du film de monstres japonais, à savoir l’attente (bien trop longue) de l’arrivée du kaijû à l’écran. Il n’est pas rare en effet que ces films testent la patience du spectateur en retardant, plus que de raison, l’apparition du monstre : pour faire passer le temps, les scénaristes sadiques nous assomment d’interminables discussions sur l’existence (supposée ou avérée) d’un kaijû, contraignant le public à ronger son frein en attendant que le fameux monstre daigne enfin pointer le bout de son nez (ou de sa griffe). Dans THE X FROM OUTER SPACE au contraire, le monstre, tel un invité surprise malpoli, débarque devant nos yeux ébahis sans avoir été annoncé auparavant : un manque de savoir-vivre flagrant que l’on aimerait rencontrer plus souvent chez les kaijûs (que le Daimajin en prenne de la graine !), et qui ne l’empêche pas pour autant de rivaliser avec ses confrères dans sa capacité à détruire nos beaux buildings.

THE X FROM OUTER SPACE offre un festin visuel de qualité pour le public féru de monstres géants. Les effets spéciaux, bien qu’évidemment datés, sont souvent réussis, et l’on admire avec plaisir ces militaires miniatures tirer des plâtrées de munitions sur un colosse manifestement increvable tandis que les populations civiles, impuissantes et apeurées, s’enfuient par paquet de dix tout en hurlant et en pointant du doigt le monstre (au cas où quelqu’un ne l’aurait pas remarqué). Le film de Nihonmatsu remplit parfaitement le cahier des charges du genre, à une exception près : la créature est parfaitement laide. Bien sûr, on pourra toujours pester sur les monstres robotiques en forme de taupe de PRISONNIERES DES MARTIENS ou sur la larve de Mothra qui fait penser à un étron vivant, mais les créatures japonaises jouissent souvent d’un charme à la fois désuet et bien réel. Ici, la créature se nomme Guilala (ça commence mal) et peut être décrite comme le fruit des amours interdites d’une poule élevée aux hormones et d’un Bioman atteint de myxomatose. C’est moche et contre-nature.

Comme bien souvent dans les films de kaijûs, THE X FROM OUTER SPACE aborde la question du danger atomique : Guilala est ramené sur Terre grâce à une fusée carburant à l’énergie nucléaire ; l’option d’utiliser une arme atomique est envisagée afin d’éradiquer de la surface de notre belle planète cette monstruosité esthétique. Le métrage de Nihonmatsu est à ce titre assez décevant tant il ne cherche aucunement à renouveler le genre du Kaijû et préfère nous offrir, sans trop se fouler, un discours anti-atomique aussi convenu que rabâché. Par contre, le film devient passionnant dans sa représentation des différentes ethnies, et de leurs (im)possibles relations sentimentales.

THE X FROM OUTER SPACE met en scène un certain nombre de personnages non-japonais. Jusque là, rien de bien étonnant pour un film nippon des années 1960 : la présence d’acteurs occidentaux y était très fréquente puisqu’elle permettait, théoriquement, d’exporter plus facilement les métrages japonais à l’étranger (voir à ce titre GOKE ou GENOCIDE, le deuxième film de Nihonmatsu). Mais ces interprètes eurent une autre conséquence, celle de soulever indirectement la question des relations entre Japonais et non-Japonais. Déjà, le film de monstres INVASION PLANETE X abordait doublement le sujet : l’un de personnages masculins, interprété par Nick Adams, tombe tragiquement amoureux de la séduisante extra-terrestre campée par Kumi Mizuno ; en dehors des plateaux de tournage, Adams aurait vraiment été amoureux de Mizuno, et se serait suicidé en apprenant qu’elle ne désirait pas l’épouser. Que cela soit avéré ou non, le couple Adams/Mizuno (à l’écran et peut-être dans la vraie vie) est symptomatique d’une impossibilité, très représentée dans le cinéma populaire japonais, d’envisager une relation amoureuse entre Japonais et non-Japonais. THE X FROM OUTER SPACE lui emboite le pas.

Parmi les personnages occidentaux nous trouvons Lisa, l’une des branquignoles partie dans l’espace pour y boire du cognac. Blonde platine séduisante, elle tente tout au long du film d’emballer Sato, le chef de la mission spatiale. Mais ce dernier sera finalement plus sensible aux charmes asiatiques de sa collègue Michiko. A la fin du film, Lisa, éconduite par ce mufle de Sato, se retrouve aux côtés de son supérieur, un Occidental qui profite de la peine de cœur de la jeune femme pour se livrer à une approche tout en souplesse (le bras sur l’épaule, une valeur sûre !). Sato et Michiko quant à eux s’en vont ensemble, au loin, vers un avenir radieux 100% japonais. Il serait tentant de voir dans ce final « les Blancs et les Asiatiques ne se mélangent pas » l’expression d’une xénophobie rance du cinéma populaire japonais, peu enclin à porter un regard bienveillant sur les relations entre différentes ethnies. Mais, avant de se complaire dans une posture bien-pensante aussi autoritaire que paresseuse, n’oublions pas que le Japon se relevait alors douloureusement des nombreux affronts perpétrés par les Américains (bombardements atomiques, colonisation) : bafoué, blessé, l’archipel ne pouvait que difficilement prôner les bienfaits de la mixité avec le monde occidental.

THE X FROM OUTER SPACE est une étonnante réussite du Kaijû : sans être un chef d’œuvre du genre, le film de Nihonmatsu offre un spectacle très dynamique grâce à cette double-histoire qui nous fait passer d’un récit à la THE QUATERMASS XPERIMENT vers un film de monstres japonais certes classique, mais non dénué de charmes. Bien entendu, le métrage laissera de marbre celles et ceux qui ne jubilent pas à la perspective de voir un gugusse, déguisé en monstre de latex, saccager gratuitement des maquettes sur fond de mont Fuji ; pour les autres, il constitue un film beaucoup plus appréciable que ne le laisse penser sa relative confidentialité. Notons pour conclure l’étonnante présence dans ce film de l’acteur Eiji Okada : relégué ici à un second rôle anecdotique, Okada est l’interprète principal du monumental LA FEMME DES SABLES (1964) de Teshigahara, et c’est lui qui donne la réplique à Emmanuelle Riva dans HIROSHIMA, MON AMOUR (1959). L’un des meilleurs films d’Alain Resnais qui aborde, frontalement, les douloureuses relations sentimentales entre personnes d’origines différentes…


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- Article rédigé par : Clément X. Da Gama

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