retrospective

J’ai avorté, Monsieur le procureur

Sur le mode du reportage et de l’évocation, J’AI AVORTÉ, MONSIEUR LE PROCUREUR narre les mésaventures de jeunes femmes ayant recouru à une avorteuse, à l’époque où la pratique en est encore illégale.

Docu-fiction évoquant les avortements en Allemagne, J’AI AVORTÉ MONSIEUR LE PROCUREUR se rattache en partie à la grande vague des films d’éducation sexuelle qui ont trouvé leur chemin dans les salles jusqu’à la fin des années ’70, spécialement en Allemagne.

L’enfant de 13 ans qui a été violée, l’adolescente de 16 ans – fille du maire et bonne catholique – qui a cédé au pêché de chair avec son petit ami, la secrétaire d’un patron libidineux, la pauvresse chassée de son logement pour son « immoralité », toutes se retrouvent enceintes et chercheront à avorter. On y dénonce les faiseurs d’ange, les médecins complaisant, intéressés ou carrément profiteurs, les incohérences du dogme catholique (qui absout l’avortée repentante mais pas celle qui a pris la pilule) et les représentants de la justice aveuglés par la Loi dont tant la lettre que l’esprit se révèlent en décalage avec les aspirations de l’époque et le sens même de la Justice.

Réalisé en Allemagne en 1971, J’AI AVORTÉ, MONSIEUR LE PROCUREUR a connu une sortie en salles françaises en 1973. La copie d’époque programmée, en VF, à l’Etrange festival 2015, se signale d’ailleurs par l’ajout de quelques gros plans sur les titres de presse français relatifs à l’avortement et parus en 1973. Par contre, pas d’inserts caviardés pour épicer le côté érotique de la chose. Ce léger remontage français nous permet d’autant mieux de dater la copie qu’en 1973 le débat sur l’avortement traverse la société française. Le « Manifeste des 343 » en 1971, le procès de Bobigny l’année suivante, puis le « Manifeste des 331 » (qui précède de quelques mois la sortie française du film) aboutissent en 1975 à la loi Veil de dépénalisation. Cette sortie française exprime donc clairement une problématique de son époque. A contrario, on peut gager que s’il était sorti un ou deux ans plus tard, le même film, pour lequel le débat aurait été dépassé, aurait opté pour une exploitation érotique et aurait alors été corsé de séquences pornographiques additionnelles.

Vu en 2015, ce type de spectacle provoque souvent le rire. Un rire qui se gausse d’une œuvre surannée. Le spectateur contemporain ne se retrouve plus dans les attitudes et les valeurs qui prévalaient alors. Le manichéisme, le patriarchisme, la naïveté de l’ensemble, etc., ne passeraient aujourd’hui plus la rampe.

Mais le rire vient aussi de la roublardise de la production qui, sous couvert de militantisme pro choix, livre un film si pas érotique, du moins très complaisant sur la nudité.

Cette érotisation de l’image et cette marchandisation du corps féminin dénudé font perdre toute crédibilité au propos. C’était le cas à l’époque, où ce genre de production était reçu avec dédain par la critique et l’élite bien-pensante, c’est toujours le cas aujourd’hui où les rares occasions d’en revoir ne permettent plus qu’un rire de décalage.

Et pourtant, à bien y penser, ce mélange d’objectification du corps, d’érotisation et de militantisme se retrouve aujourd’hui au cœur même de la démarche Femen, laquelle est, elle, bien mieux prise au sérieux. C’est donc moins l’érotisation du militantisme qui est problématique que sa marchandisation et que l’accaparation du corps féminin par un regard masculin. Les corps de J’AI AVORTÉ MONSIEUR LE PROCUREUR sont dénudés par des producteurs mâles pour une audience majoritairement du même sexe, là où les Femen restent maitre du leur et l’utilisent au profit d’un discours féministe.

J’AI AVORTE MONSIEUR LE PROCUREUR est d’ailleurs moins un film d’éducation sexuelle qu’un film militant. On peut discourir de la portée progressiste ou au contraire conservatrice du genre même des films d’éducation sexuelle, mais le discours de J’AI AVORTÉ… se veut ouvertement et unanimement en faveur de l’abolition de l’interdiction de l’avortement. Qu’il soit ensuite complaisant, manichéen ou tricheur ne lui enlève pas cette tonalité.

Une des caractéristiques de ce type de films est qu’ils prétendent à une certaine véracité documentaire, au moins partielle, en donnant la parole à des citoyens (ici par le biais de micro trottoirs) et surtout des décideurs (tel psychologue renommé ou tel président de la corporation des gynécologues) qui tous ou presque appuient le propos. Mais l’authenticité de tels témoignages est fortement douteuse et ce sont en réalité des acteurs qui endossent le rôle des savants, médecins et autres autorités morales. En ce sens, les films d’éducation sexuelle perpétuent les mensonges qui ont rapidement décrédibilisés les mondos. Les parties d’évocation font plus classiquement appel à des actrices, dont l’analyse de la filmographie révèle que la plupart étaient spécialisées dans un cinéma tantôt sexy, tantôt crapoteux. Sybil Danning, alors à l’aube d’une belle carrière dans le cinéma populaire européen, y tient d’ailleurs un petit rôle.

Vu en 2015, J’AI AVORTÉ MONSIEUR LE PROCUREUR reste, en dépit de sa forme dépassée et de sa tonalité ambiguë, un film qu’on conseillera, ne fut-ce que parce que les avancées en matière d’avortement, qui semblaient acquises pour toujours, sont ces dernières années remises en question dans certains pays européens sous la poussée de forces réactionnaires dont on voit, et même en France, la capacité de (re)mobilisation morales. Il est à cet égard alors plus qu’intéressant de se replonger dans ce que pouvait représenter la société et sa morale avant cette libéralisation et ce qui nous attend si nous relâchons un jour notre garde.

En France, le film est sorti en salle le 7 août 1973. En Belgique où il a été distribué en 1972, il est connu sous les titres AUX INNOCENTS LES MAINS PLEINES et JEUNES FEMMES EN DÉTRESSE.

Co-crédité à la réalisation, Rob Houwer est surtout connu comme producteur néerlandais, qui fut derrière la carrière hollandaise de Paul Verhoeven, pour TURKS FRUIT, KATIE TIPPEL, SOLDIERS OF ORANGE et LE QUATRIÈME HOMME.

Eberhard Schröder, lui, après de nombreuses années comme assistant, notamment dans les films sexy, devient réalisateur en 1969 avec L’INGÉNUE PERVERSE (MADAME UND IHRE NICHTE). S’ensuit très vite le premier volet de la série allemande à succès RAPPORT SUR LA VIE SEXUELLE DE LA MÉNAGÈRE (HAUSFRAUEN-REPORT 1: UNGLAUBLICH, ABER WAHR, 1971, aussi connu en France sous le titre MARIAGE À LA SAUCE ALLEMANDE). Il en réalisera plusieurs autres chapitres et quelques autres érotiques avant de disparaitre des écrans en 1974.

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