Je dois tuer

Un texte signé Éric Peretti

USA - 1954 - Lewis Allen
Titres alternatifs : Suddenly
Interprètes : Sterling Hayden, Frank Sinatra, James Gleason, Nancy Gates, Kim Charney, Willis Bouchey, Paul Frees, Christopher Dark, James O’Hara, Kem Dibbs

Fortement dénigré par Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, le cinéaste d’origine britannique Lewis Allen, et son film JE DOIS TUER, méritent pourtant mieux que les quelques lignes lapidaires dont ils font l’objet au sein de l’ouvrage 50 ans de cinéma américain. Sans crier au chef d’œuvre, il faut rendre justice à cette petite Série B qui, plus d’un demi-siècle après sa réalisation, permet de passer un bon moment, ce qui est plutôt rare.
L’action se déroule dans une petite ville bien tranquille des États-Unis, paradoxalement nommée Suddenly, le jour où le sheriff Tod Shaw, homme apprécié de tous et amoureux d’Ellen Benson, jeune veuve qui se refuse le droit au bonheur, apprend que le Président va arriver par le train de 17h. Sa mission est simple, il doit assurer le discret accueil du chef de l’état et organiser le transport sécurisé de ce dernier vers son lieu de villégiature. Afin de l’assister dans cette tâche imprévue, les Services Secrets dépêchent quelques hommes pour lui prêter main forte. C’est justement en se faisant passer pour des agents fédéraux qu’un dénommé John Baron et ses deux acolytes viennent investir la maison où Ellen vit avec son fils et son beau-père. Au sommet d’une colline, la demeure offre une vue imprenable sur la petite gare de Suddenly. Démasqué par Shaw lorsqu’il fera une ultime visite des alentours, John Baron avoue que son objectif est d’abattre le Président. Un huis clos infernal débute alors durant lequel chaque minute compte…
Le film débute assez mollement, et laisse même présager le pire dans ses premières minutes avec son anecdote sur le nom de la ville, et surtout la mielleuse séquence durant laquelle le gentil sheriff discute avec le fils d’Ellen. Heureusement, on rentre rapidement dans le vif du sujet et dès lors, il faut saluer la remarquable concision dont fait preuve Allen dans sa mise en scène. Pas de plan superflu, le découpage va directement à l’essentiel et le rythme sera mené tambour battant jusqu’au final, certes un peu prévisible mais qui ne vient nullement gâcher le plaisir procuré par le reste du métrage.
La majorité de l’action se déroule dans la maison des Benson, alors que Baron attend avec impatience l’arrivée du train pour remplir son contrat. Bien que réalisé à la fin de cette sinistre période que fut le maccarthysme, JE DOIS TUER se refuse à être un film politique, et les motivations de Baron ne sont officiellement que pécuniaires. En réalité, l’argent est un prétexte et le fait que la cible soit le Président presque un hasard. C’est lors du face à face verbal qui oppose le sheriff au tueur que le portrait psychologique de ce dernier est esquissé et que l’on comprend que le meurtre lui procure du plaisir, qu’importe la victime.
Entièrement bâtie sur le thème des contraires, la caractérisation des deux personnages principaux renforce les idées d’opposition, et ce à tous les points de vue. Ainsi, s’ils ont un passé commun, le fait d’avoir combattu durant la Seconde Guerre Mondiale, Shaw et Baron ont eu un vécu différent de cet événement, conditionnant leur parcours après leur démobilisation. Tod Shaw a rejoint les force de l’ordre afin de continuer à défendre une certaine idée de la justice tout en refusant autant que possible d’avoir recours à la violence. De son côté, John Baron a vu sa personnalité modifiée par les horreurs qu’il a été amené à réaliser lors du conflit, et pour lesquelles il a d’ailleurs reçu de prestigieuses décorations martiales. Il a découvert sa part d’ombre lors des affrontements et, sûrement encouragé par ses médailles, pris un plaisir naturel à tuer.
A ces oppositions psychologiques, viennent encore s’ajouter l’étonnant antagonisme physique qui détermine les deux personnages. Sterling Hayden prête sa stature de géant, au regard d’enfant, au sheriff Tod Shaw. Calme et posé, une blessure au bras l’empêche d’user de sa force, il fait preuve d’un pragmatisme et d’une logique implacable lors de son analyse de la situation. Paradoxalement, Hayden ne s’impose pas réellement dans le film et sa prestation reste bien en deçà de sa performance pour John Huston dans QUAND LA VILLE DORT quatre ans auparavant. Face à lui, Frank Sinatra, avec son gabarit poids plume, campe un John Baron nerveux et bourré de tics, dont le sang froid s’efface progressivement pour révéler son instabilité. Dans un rôle qui aurait parfaitement convenu à un jeune Richard Widmark, le crooner semble préparer le personnage de toxicomane qui fera sa gloire dans le film de Otto Preminger, L’HOMME AUX BRAS D’OR.
Tous ces éléments font de JE DOIS TUER un agréable programme à suspens, parfois surprenant dans la dureté avec laquelle il traite quelques personnages secondaires, qui offre une alternative aux films actuels qui tentent désespérément d’emballer une idée simple avec des effets inutiles, annihilant tout l’intérêt de celle-ci.


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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