Je Suis Un Criminel

Un texte signé Jérôme Pottier

USA - 1939 - Busby Berkeley
Titres alternatifs : They Made Me A Criminal
Interprètes : John Garfield, Claude Rains, la troupe des Dead End Kids, Gloria Dickson, Ann Sheridan

C’est dans les années 30 que débute la carrière de chorégraphe du célèbre Busby Berkeley, il enchaîne les succès et devient un réalisateur spécialiste de la comédie musicale dès 1933 avec SHE HAD TO SAY YES. EN AVANT LA MUSIQUE (1940) et, surtout, LES DANSEUSES DES FOLIES ZIEGFELD (1941), contribuent à former sa légende. Néanmoins, peu de cinéphiles connaissent son film préféré, THEY MADE ME A CRIMINAL, qu’il réalise en 1939, à tel point qu’avant sa découverte par François Guérif en 1983 qui le cite dans son ouvrage LE FILM NOIR AMERICAIN (réédité depuis chez Denoël) la pelloche semble être une arlésienne. La vidéo rectifie cet oubli et, désormais, tous les passionnés de cinéma peuvent enfin admirer ce film noir dont le titre français est : JE SUIS UN CRIMINEL.
Johnnie Bradfield est un boxeur à la patte gauche impitoyable. Arrivé au sommet de sa carrière, il voit l’image qu’il s’est fabriqué (il prétend prendre soin d’une mère qui n’existe pas, ne pas boire une goutte d’alcool ni s’intéresser aux femmes) s’écrouler au détour d’un fait divers sordide. En effet, son manager tue accidentellement un journaliste qui allait révéler la vérité. Johnnie est ivre et ne se souvient de rien lorsqu’à son réveil son coach a disparu avec Goldie (sa chère et tendre) et sa montre en or. Un détail qui a toute son importance puisque les deux fuyards meurent carbonisés alors qu’ils sont poursuivis par la maréchaussée, la trotteuse identifiant Johnnie comme mort. Ce dernier, bien vivant, entame une cavale. Il se fait appeler Jack Dorney et, avec 250 dollars en poche, part écumer les USA en se jurant de ne plus jamais boxer afin de n’être point reconnu. Au hasard de son errance il débarque, en plein désert, dans une palmeraie qui sert de chantier de réinsertion à des adolescents délinquants et orphelins ; ce qu’il ne sait pas c’est qu’un flic honni par sa hiérarchie nommé Phelan continue de le traquer…
Bien évidemment, JE SUIS UN CRIMINEL, comme de nombreux films noirs, est une ode à la rédemption. Là où Busby Berkeley fait fort c’est que ce métrage montre une double rédemption, celle d’un ultra-capitaliste pur produit de l’ « american dream » qui s’humanise au contact d’une bande de petits voyous et celle du détective qui le poursuit. En effet, ce dernier a effectué une erreur impardonnable au début de sa carrière en envoyant un innocent à la chaise électrique, depuis il est la risée de son commissariat, c’est pourquoi il voudrait bien terminer sur un coup d’éclat. Le long métrage fait d’ailleurs preuve d’une grande subtilité dans bien des domaines. Johnnie se clochardise et va de train en train (il est même poursuivi par un chauffeur dans une scène qui évoque un chef d’œuvre à venir du grand Robert Aldrich, L’EMPEREUR DU NORD, réalisé en 1973), malgré tout, son expérience ne l’a pas transformé. Lorsqu’il arrive dans la palmeraie il fait preuve de la même morgue qu’auparavant. Il manipule les enfants en les poussant au vol, essaye de prendre de force la belle blonde de service, il est égal au salaud qu’il était. De plus, les enfants restent des voyous tout au long de cette bobine au même titre que Phelan demeure un looser. Là n’est pas l’essentiel pour Berkeley dont on sait depuis ses CHERCHEUSES D’OR (1935) qu’il rêve de réaliser un film avec un arrière-fond social puissant. Il y parvient en développant une intrigue qui, même si elle est naïve, s’appuie sur des personnages dont la part d’ambigüité est prégnante. Des caractères forts bien campés par un casting solide.
Les gamins sont interprétés par la troupe des Dead End Kids, spécialistes de ce type de rôle depuis leur prestation deux ans plus tôt dans DEAD END (RUE SANS ISSUE), un très bon film noir teinté de mélodrame signé William Wyler avec Humphrey Bogart. Claude Rains campe Phelan, un rôle qu’il avoua être celui qu’il appréciait le moins dans sa longue carrière car il se trouvait ridicule en flic. Un avis bien étrange pour cet immense interprète qui fut révélé dans un chef d’œuvre de James Whale adapté d’Herbert George Wells, L’HOMME INVISIBLE (1933). Cet acteur britannique élégant et racé tourna avec tous les plus grands de Michael Curtiz (CASABLANCA-1942) à Alfred Hitchcock (LES ENCHAÎNES-1946) en passant par Franck Capra (MONSIEUR SMITH AU SENAT-1939). Il donne ici la réplique à John Garfield, une des légendes d’Hollywood, un interprète d’une rudesse et d’une justesse totalement inouïe, un modèle du genre lorsqu’il s’agit de jouer avec son corps (la fameuse méthode Actor’s Studio). Ce dernier, de la trempe des Marlon Brando et autres James Dean connut une carrière fulgurante. Les amateurs de film noir le revirent en boxeur dans SANG ET OR de Robert Rossen (1947) et en amant damné dans LE FACTEUR SONNE TOUJOURS DEUX FOIS de Tay Garnett (1946). Garfield fut une des victimes du maccarthisme, écarté des studios pour ses convictions politiques, il finit ruiné et alcoolique puis meurt de désœuvrement en 1952 à seulement 39 ans. Bob Aldrich, touché par ce drame, lui rend hommage dans le sublime LE GRAND COUTEAU (1955) avec Jack Palance.
Rien que pour revoir John Garfield, alliance subtil de force physique et d’humanité aujourd’hui oublié, la vision de JE SUIS UN CRIMINEL s’impose. Pour l’anecdote, il est intéressant de noter que Busby Berkeley a choisi de passer sa retraite sur les lieux de ce tournage (Palm Desert en Californie) durant lequel la pellicule fondait dans les caméras ; un film qui est donc chaudement recommandé !!!


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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