Joë Caligula

Un texte signé Alexandre Lecouffe

France - 1966 - José Benazeraf
Titres alternatifs : Du suif chez les dabes
Interprètes : Gérard Blain, Jeanne Valérie, Ginette Leclerc

Anticonformiste, provocateur, inclassable, le réalisateur José Benazeraf est un cas assez particulier du « cinéma bis » français dont la filmographie est scindée en deux parties bien distinctes. La première, qui s’étend du début des années 60 au début des années 70, compte plusieurs bandes qui mêlent polar, érotisme et politique dans un style auteurisant que l’on pourrait qualifier de « Nouvelle Vague ». Certains de ces premiers films (L’ETERNITE POUR NOUS, 1963 ; LE CONCERTO DE LA PEUR, 1964 ; L’ENFER DANS LA PEAU, 1965…), d’une grande liberté formelle et d’une audace thématique certaine, furent salués par une partie de l’intelligentsia cinéphile de l’époque (Godard et Langlois notamment). Ce ne fut plus le cas dans les années 70 où José Benazeraf passa progressivement du film érotique au film pornographique, genre qu’il servit jusqu’au milieu des années 80 (ANNA CUISSES ENTROUVERTES avec Brigitte Lahaie, 1979 ; EVA LA GRANDE SUCEUSE avec Marilyn Jess, 1982 et une quarantaine d’autres titres que Jean-Luc Godard a totalement passés sous silence !). L’aura de scandale qui entoure souvent les films de « Don José » atteint des sommets pour JOE CALIGULA puisque ce dernier se voit purement et simplement interdit par la censure (à l’instar de LA RELIGIEUSE de Jacques Rivette auquel un clin d’œil est fait au début du film) pour immoralité et complaisance dans la violence ; il ne sortira que quelques années plus tard dans une version expurgée. Le rôle principal et éponyme est confié à l’acteur (et futur réalisateur) Gérard Blain, découvert dans le premier film de Claude Chabrol (LE BEAU SERGE, 1959) et qui est à l’époque de JOE CALIGULA une personnalité emblématique de la « Nouvelle Vague », même s’il refuse ce statut et toute idée de « star-system » (il saborde une possible carrière à Hollywood après avoir joué dans HATARI de Howard Hawks, 1962). Gérard Blain partage avec José Benazeraf un goût pour un cinéma anti-bourgeois et révolté en dépit de leurs divergences politiques (le premier deviendra un proche de la Nouvelle Droite, le second s’est toujours positionné à l’extrême gauche).

Joe Silverstein alias Joë Caligula est un petit truand ultra violent qui compte, avec sa petite bande venue de Marseille, éliminer tous les gros caïds de Paris et régner en maître sur la Capitale. Il parvient à séduire la femme d’un important gangster qui deviendra de fait son « indic » mais le Milieu parisien identifie la sœur de Joë et compte se servir d’elle comme appât…
Pour essayer de cerner au mieux JOE CALIGULA on serait tenté de dire qu’il emprunte les codes et l’imagerie du film noir américain pour les passer au filtre du style « Nouvelle Vague » (Godard en tête), le tout avec un discours visant à « choquer le bourgeois ». L’intrigue et le personnage principal sont des transpositions de SCARFACE (Howard Hawks, 1932), le gangster français partageant avec Tony Camonte la même soif de pouvoir et de violence et la même attirance incestueuse envers sa sœur (d’où probablement le pseudonyme romain de Joë). La narration quant à elle privilégie une forme « post-moderne » où faux raccords volontaires, ellipses inattendues et ruptures de ton se succèdent le long d’un récit fragmenté au point de vue constamment changeant. L’effet de décalage est encore décuplé par le jeu des acteurs, mélange évident d’improvisation et de déclamation théâtrale et le refus de toute dramatisation. Volonté supplémentaire de déstabiliser son spectateur, José Benazeraf semble passer d’un discours qui prône la révolte contre l’ordre établi (les jeunes hors-la-loi qui veulent détruire la vieille bourgeoisie criminelle) à une vision purement nihiliste de la société où la jeunesse (incarnée par Joë Caligula et sa bande) se caractérise par son vide existentiel et l’aspect absurde et autodestructeur de sa révolte. Celle-ci se matérialise surtout au travers des actes de violence gratuite commis par les apprentis gangsters : mitraillage d’un bar où une cliente est froidement abattue, tabassage d’un vieux proxénète au coup de poing américain, torture d’un ennemi au fer rouge… Ces séquences qui ont affolé la censure en 1966 paraissent plutôt inoffensives aujourd’hui et même bien en dessous de certains films noirs américains de l’époque (LE POINT DE NON RETOUR de John Boorman, 1966). Il est donc plus vraisemblable de penser que ce sont les scènes érotiques qui ponctuent régulièrement le film qui choquèrent ; ici encore, en dépit de plusieurs « strip-teases » dans les boîtes de Pigalle et de quelques femmes en petite tenue, pas de quoi devenir tout rouge ! Remarquons tout de même que José Benazeraf a un vrai talent pour magnifier les corps (féminins) et un sens du cadrage assez remarquable (voir la séquence de la fuite de la bande filmée depuis l’arrière d’une voiture à l’arrêt). Original mais souffrant tout de même d’un manque de cohérence (film intello/polar/érotisme se mêlent sans jamais complètement aboutir), JOE CALIGULA reste un bon moyen de faire la connaissance avec l’univers de son insaisissable réalisateur.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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