Judex

Un texte signé Tom Flener

France - 1963 - Georges Franju
Interprètes : Channing Pollock, Francine Bergé, Edith Scob

Le banquier Favraux est un homme sans scrupules et devenu riche sur le dos des moins fortunés. Lorsqu’il reçoit une lettre signée ‘Judex’ dans laquelle il est menacé de mort s’il ne retourne pas une partie considérable de sa fortune aux pauvres, Favraux ignore l’avertissement et tombe raide mort lors d’un bal masqué. Sa fille Jacqueline (Edith Scob), apprenant ses crimes, refuse son héritage et décide de se passer du luxe amassé par son père. En revanche, Marie (Francine Bergé), la maîtresse secrète de Favraux, qui était sur le point de l’épouser et donc d’hériter de tout, n’est pas d’accord et concocte un plan néfaste.
Georges Franju réalise ici un remake du célèbre feuilleton de Louis Feuillade de 1916. Sur un scénario travaillé avec Jacques Champreux, petit-fils de Louis Feuillade lui-même, Franju ne nie jamais ses influences. Presque cinquante ans après l’œuvre originale, il réussit même à faire avec JUDEX un testament au film muet. Des fade-out à la fin de certaines scènes aux entre-titres, le réalisateur ne nous fait jamais oublier son amour pour les films de son enfance. Mais les influences vont plus loin que JUDEX 1916 et autres feuilletons (et serials américains) avec leurs rebondissements par minute. Un premier regard sur les machines dans la cave de Judex nous rappelle forcément les machineries du Dr Mabuse de Fritz Lang, tandis que l’admirable scène du bal masqué avec les invités aux têtes d’oiseaux renvoie à l’univers onirique de Jean Cocteau. L’amour du réalisateur pour le cinéma est donc presque palpable tout au long de ce film.
Ceci n’en fait en revanche pas forcément un chef-d’œuvre. N’oublions pas que Georges Franju est longtemps resté le réalisateur d’un film, aussi bien pour le public français qu’à l’international. Si LE SANG DES BETES (1949) est connu (et apprécié) par une petite base, pour la plupart des cinéphiles, qui dit Franju, dit LES YEUX SANS VISAGES. Ce chef-d’œuvre absolu du fantastique français de 1960 n’a plus à être présenté et constitue cette sorte de film-barre auquel toute autre œuvre d’un cinéaste doit se mesurer.
Qu’en est-il donc de JUDEX ? Techniquement, le cinéaste n’a rien à se reprocher. S’il a voulu capturer l’atmosphère du cinéma d’antan, il a réussi son pari. Les prises lentes, tranquilles, maîtrisées, parfois comme dans un rêve, contrastent à merveille avec le jeu des acteurs qui essaient de suivre de leur mieux cette histoire qui les chasse d’un rebondissement à l’autre. En effet, le but de Franju n’était jamais de raconter une histoire profonde. Il voulait retrouver l’amour du cinéma d’aventure de sa jeunesse, les Fantômas, les justiciers masqués des feuilletons, et c’est ce qu’il a fait.
Il ne faut donc pas être surpris. Et si les personnages ne sont jamais travaillés, il convient de l’accepter comme faisant partie du jeu. Judex est le justicier dur, mais au fond juste et bon. Jacqueline incarne la fille en détresse. Favraux reste un salaud qui mérite son sort et Marie ne s’encombre d’aucun scrupule pour arriver à ses fins. Si les acteurs ne dépassent pas les stéréotypes du cinéma, il faut dire qu’ils tirent à merveille leur épingle du jeu, avec en tête Channing Pollock. Ce magicien de vocation avait la présence, mais aussi la distance, pour personnifier Judex. Habitué de la scène et du cabaret, il émane de lui une fierté et une assurance qui donnent à Judex assez de personnalité avec peu de gestes.
Son expérience de magicien lui a néanmoins le plus servi dans la scène de bal, qui débute avec la colombe morte qu’il porte à travers une foule dansant en silence, et finit avec la mort du banquier. Cette scène la plus célèbre de JUDEX (et pour cause) représente malheureusement également le talon d’Achille de ce film. Il se peut que Franju ne fût pas conscient de l’impact que cette scène allait avoir sur les spectateurs. Mais aucun réalisateur ne devrait mettre une scène d’une telle perfection tout au début d’un film finalement sans prétentions. Si la scène finale sur le toit arrive (quasi-silencieuse elle aussi, juste pour dire à quel point ce film aurait dû être une œuvre muette), bien qu’en peinant, à se rapprocher du sens du merveilleux qui émane de cette séquence, le reste du film s’avère bien pâle en comparaison.
JUDEX demeure finalement une œuvre qui amuse et qui peut être visionnée sans ennui. L’amour du cinéaste Franju pour un certain cinéma imprègne ce film volontairement bis, mais c’est l’artiste Franju qui reste dans la mémoire avec une scène magistrale qui en même temps élève et détruit tout ce qui suit.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Tom Flener

- Ses films préférés :

Share via
Copy link