Jusqu’en enfer

Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A. - 2009 - Sam Raimi
Titres alternatifs : Drag me to hell
Interprètes : Alison Lohman, Justin Long, Jessica Lucas

Aussi prestigieuse qu’inattendue, la carrière de Sam Raimi s’étend à présent sur un bon quart de siècle et compte quelques illustres exemples de ce que le cinéma populaire américain a apporté de plus novateur aux films de genre. C’est bien sûr pour son premier essai, EVIL DEAD (1981) et sa suite/remake EVIL DEAD 2 (1987) que Sam Raimi est entré au panthéon des « maîtres de l’horreur » : personne avant lui n’avait su mélanger de manière aussi inventive et énergique le film d’horreur et un esprit burlesque proche des cartoons. Ami des frères Coen avec lesquels il a collaboré plusieurs fois, Sam Raimi réalise aussi un film plus sombre en 1990 : DARKMAN, remarquable variation « comic-book » autour du Fantôme de l’Opéra ; après un EVIL DEAD 3 exempt de gore et un pastiche de western italien (MORT OU VIF, 1995) il oriente alors sa carrière vers des horizons à priori plus « auteurisants ». En effet, parallèlement à ses activités de producteur télé (Xena, Hercule,…) il signe un polar sous influence « Coen » (UN PLAN SIMPLE, 1998) et un film fantastique psychologique (INTUITIONS, 2000) dans lesquels le réalisateur s’intéresse surtout à la caractérisation des personnages et à une mise en scène « classique », à mille lieux des débordements visuels et de l’aspect régressif de ses premiers films. Des budgets pharaoniques lui sont alors confiés pour la réalisation de SPIDERMAN (2002) et de ses deux suites ; Sam Raimi y opèrera en quelque sorte la synthèse de ses derniers films plus matures (personnages fouillés, dialogues bien écrits, dimension allégorique des thèmes…) et des ses premiers opus (influence des cartoons, des EC comics, énergie visuelle…). JUSQU’EN ENFER marque le véritable retour du réalisateur au genre qui a fait sa gloire : l’épouvante teintée de grotesque.
Christine Brown (Alison Lohman, BIG FISH de Tim Burton, 2004) une jeune banquière carriériste, refuse afin de se faire bien voir de son patron, d’accorder une prolongation de crédit immobilier à une vieille dame. Cette dernière, une Gitane, lui jette un terrible sort : la « malédiction du Lamia » ; Christine se retrouve harcelée par un esprit diabolique qui doit la poursuivre trois jours de suite avant de la faire périr dans les flammes de l’Enfer !
Retour au film d’horreur et au petit budget pour Sam Raimi qui signe avec JUSQU’EN ENFER un film hybride mélangeant épouvante et comédie à la façon de EVIL DEAD 2 (la trame est similaire qui détaille la persécution du personnage principal par un esprit maléfique) ; la forme a cependant bien changé : le délire visuel et le chaos narratif à l’œuvre il y a plus de vingt ans ont cédé la place à une réalisation plus posée, à une mise en avant des personnages et le film accorde une réelle importance à la réalité sociale. C’est en effet dans le contexte récent de la crise immobilière américaine que se développe l’intrigue qui voit l’héroïne torturée par un Mal qu’elle a elle-même provoqué en se montrant purement égoïste et opportuniste, insensible à la détresse de la vieille Gitane aux abois. Difficile alors de ne pas voir dans les apparitions et les hallucinations morbides qui assaillent Christine jusqu’à l’aliénation, une matérialisation tourmentée de son sentiment de culpabilité. JUSQU’EN ENFER est donc une plongée dans un univers mental où l’organique, sous ses formes les plus répugnantes, domine puis envahit le cadre : la malheureuse Christine manque d’étouffer, la bouche pleine de vers de terre, vomit ou a la gorge remplie de liquide d’embaumement recraché par le cadavre de la Gitane ! Tel le personnage de Ash dans les EVIL DEAD, la jeune fille se fait arracher les cheveux, griffer, projeter, écraser et manque de mourir ensevelie dans la boue : elle devra passer par toutes les souffrances corporelles imaginables pour espérer (peut-être) triompher des forces maléfiques. La grande dynamique du film tient au parfait équilibre que Sam Raimi parvient à instaurer dans les scènes horrifiques entre la terreur pure et le grotesque, à l’instar de cette séquence remarquable où la Gitane attaque Christine dans sa voiture : brutale, étouffante, la scène finit par montrer la sorcière happant la moitié du visage de Christine, image tellement irréelle et absurde qu’elle en devient drôle. Le film utilise très peu d’effets spéciaux numériques ce qui accentue son aspect organique où le corps est au centre de tout (les excellents SFX sont effectués par le trio de KNB, fidèles de Sam Raimi depuis EVIL DEAD 2). S’il est loin d’être une œuvre majeure, ses enjeux dramatiques restant un peu trop limités et linéaires, JUSQU’EN ENFER recèle de nombreux atouts (rythme très soutenu, construction habile, interprétation assez juste…) et s’inscrit à la perfection dans l’univers et le style du réalisateur. Le film fut sélectionné au Festival de Cannes en 2009 et présenté lors d’une « séance de minuit » ; nous sommes bien loin du temps où EVIL DEAD était projeté au Marché du Film et soulevait l’enthousiasme des seules revues spécialisées (Mad Movies, Starfix…).


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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