Un texte signé Philippe Delvaux

URSS - 1986 - Georgy Daneliya
Interprètes : Stanislav Lyubshin, Evgeni Leonov, Yuriy Yakovlev, Levan Gabriadze

Offscreen 2011retrospective

Kin-Dza-Dza

L’ingénieur Vladimir et le musicien-kleptomane Gedevan sont accidentellement transportés sur la planète désertique Plouc (oui, oui, « Plouc ») d’où ils auront bien de la peine à trouver un moyen de revenir. Ils y rencontrent le Patsak Bee, au nez orné d’un grelot et le Chatlan Wef qui exige qu’on lui donne la révérence. Ces deux semi vaurien, vaguement musiciens itinérant, se déplace dans un aéronef qui tient plus du moulin à poivre mais à qui il manque une pièce pour voyager dans l’espace. Nos deux égarés tenteront de se procurer cette pièce tandis que Bee et Wef ne pensent qu’à leur subtiliser leurs allumettes, comme d’ailleurs tous les autres habitants de Plouc.

KIN DZA DZA s’inscrit dans le courant littéraire (et cinématographique) du voyageur découvrant un monde inconnu et ses coutumes étranges. Historiquement, le genre a, sous couvert de métaphore et d’allégorie, permis aux grands penseurs de critiquer le système social sous lequel ils vivaient et qui ne tolérait pas de remise en question trop directe. On pourra situer dans cette mouvance le Zadig de Voltaire, mais aussi et surtout les Quatre voyages de Gulliver. Dans le système liberticide du communisme russe, ce n’est que par de tels détours qu’on peut tenter de critiquer le régime en place. Et encore faut-il se dissimuler derrière le caractère cryptique de l’humour absurde, du non sens… En d’autres termes, on se rapproche plus d’un Gulliver au pays de Père Ubu.

Cinématographiquement et esthétiquement, KIN DZA-DZA pourra résonner aux amateurs du Terry Gilliam de TIME BANDITS. L’humour absurde de l’ex Monty Python s’est d’ailleurs férocement tourné contre les systèmes bureaucratiques dans son chef d’œuvre BRAZIL, quasi contemporain de KIN DZA DZA. Ici, bien que le côté absurde poussé dans ses retranchements rendre la lecture compliquée, on ne s’interdit donc pas de voir le film de Georgy Daneliya comme une critique du communisme finissant : le désert de Plouc, émaillé de ruines industrielles rouillées, peuplé d’habitants dénués de tous scrupules et obéissant à un code de lois détaché de toute logique, asservis par des dirigeants corrompus, figure assez bien l’image de leur pays par nombre de russes lassés d’un système en voie d’effondrement. Rappelons qu’en 1986, l’URSS s’engage dans le double mouvement de la Perestroïka, porteuse des réformes qui vont emporter le système, et de la Glasnost, la transparence qui va permettre l’émergence plus visible de la critique. Mais en ce milieu des années ’80, le communisme russe est déjà à l’agonie, même s’il ne le sait pas encore : le système est épuisé, la mécanique industrielle est définitivement en dehors des besoins du peuple et loin derrière l’efficacité capitaliste.

Il suffit de traduire Ecilop – le gardien de la loi et des institutions, corrompus et inefficace – par l’apparatchik ou par le membre de l’appareil d’Etat, le Chatlan par le simple communiste et le Patsak par le citoyen lambda pour obtenir la stratification sociale de l’URSS, ici férocement moquée : le Patsak doit porter un grelot dans le nez et faire la révérence à tout Chatlan, lequel doit lui-même une double dose de révérence et de déférence lorsqu’il croise un Ecilop. L’ensemble du corps social se damnerait pour une allumette, véritable fortune dans ce pays de pénurie, où les ruines d’un lointain passé industriel témoignent d’une utopie morte.

Le film est complètement absurde, souvent d’une grande drôlerie, notamment avec la coutume de la révérence et le langage qui, à l’instar de celui des Schtroumpfs, remplace de nombreux mots par l’interjection « Kou ». La direction artistique emprunte, comme on l’a dit, les voies fréquentées précédemment par Terry Gilliam, sans pour autant le copier. Bien évidemment, les effets spéciaux relèvent des années ’80, ce qui ne retranche rien au résultat, la patine conférée par certains effets datés se marie bien avec la tonalité générale de l’ensemble.

On lui reprochera juste quelques longueurs : ses péripéties étalées sur 135 minutes sont certes variées et ne faiblissent jamais, mais le propos aurait gagné à être légèrement condensé. Rien de bien grave cependant.

Cet OVNI cinématographique a été présenté dans le festival le mieux à même de l’accueillir, à savoir l’édition 2011 d’Offscreen, dans le cadre de son focus « Outer space » qui réunissait une vingtaine de métrages de science fiction répartis entre classiques et pépites inconnues issues de l’ancien bloc de l’Est. Au rang des curiosités originales, KIN DZA-DZA mérite sa place sur le podium et mériterait une seconde carrière en dvd, Blu ray ou VOD, sa sortie en salle russe s’étant soldé à l’époque par un plantage au box office local.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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