BIFFF 2013review

Kiss of the Damned

Djuna vit seule dans une grande maison au bord d’un lac. Un soir, elle fait la rencontre de Paolo et tombe sous son charme. Il n’est pas insensible à la belle jeune femme, mais celle-ci lui résiste, jusqu’à ce qu’elle lui avoue son secret : c’est une vampire. Il accepte sa condition. Mieux : il lui demande de la partager avec elle. Le couple aux dents longues passe de merveilleux moments, jusqu’au jour où la jeune sœur rebelle de Djuna, Mimi, les rejoint dans la grande maison.

KISS OF THE DAMNED est le premier long métrage de fiction de sa réalisatrice, Xan Cassavetes. Pour autant, celle-ci n’est pas une nouvelle venue dans le domaine du cinéma : non seulement elle a déjà réalisé un documentaire (Z CHANNEL, 2004), mais elle est aussi la fille de John Cassavetes et Gena Rowlands, deux grandes figures du cinéma américain, et la sœur de Nick et Zoe Cassavetes, travaillant aussi dans le cinéma. Elle a d’ailleurs joué pour papa dès le début des années 70.

Xan a choisi de s’éloigner le plus possible du cinéma de son père. Lui qui laissait s’exprimer ses acteurs, allant jusqu’à l’improvisation, devant une caméra mobile et au service des personnages, ne se serait pas retrouvé dans ces cadres fixes à la composition soignée. Mais cela donne un aspect visuel très travaillé qui offre une touche artistique au film.
L’influence des 70’s se sent dans le thème musical qui n’est pas sans rappeler les morceaux de Francis Lai pour BILITIS (1976) ou EMMANUELLE (1975). Ces films viennent aussi à l’esprit quand on regarde le flashback pendant le générique de fin : la photo pâle, les jeunes filles en fleur, le léger flou… Le tout souligné par une police d’écriture délicieusement rétro.

Surfant sur la vague des films de vampires qui sont légion en ce moment, Cassavetes refuse les images de suceurs de sang phosphorescents (TWILIGHT, 2008 pour le premier film) ou de morts-vivants cartoonesques (DARK SHADOWS, 2012) et revient aux racines du genre. Ses vampires sont des créatures qui craignent le soleil et aiment le sang, terriblement séduisantes afin d’attirer leurs proies facilement, qui guérissent vite et sont dotées d’une force surhumaine. Seule règle à laquelle la réalisatrice-scénariste déroge : ses vampires ont un reflet. Et ce n’est pas anecdotique, car tout le film repose sur l’idée de l’image que l’on se donne, celle que l’on reçoit, et la dualité de chacun de ses protagonistes – et de ses thèmes.
Xan Cassavetes fait s’affronter le classicisme et le modernisme à travers les deux sœurs Djuna (de la Baume) et Mimi (Mesquida). Toujours tirée à quatre épingles, arborant des tenues au charme suranné et regardant des vieux films en noir et blanc, Djuna est la quintessence du classicisme. Quant à sa sœur, elle évolue dans les boîtes de nuit en sous-sol et n’est pas à une provocation près.
Ces deux personnages diamétralement opposés permettent aussi de mettre en lumière les bienfaits des règles et des lois face à une liberté totale. À travers le discours de Xenia (Mouglagis) qui souhaite organiser une civilisation des vampires, on comprend à quel point l’établissement de lois, essentiellement morales, permet d’en cimenter les fondements. La première règle, bien sûr, étant de ne pas se nourrir d’humains. Et de ce point de vue là, Djuna respecte les règles, tentant de maîtriser sa nature de monstre assoiffé de sang. Jusqu’à s’enchaîner littéralement à son lit pour éviter d’agresser Paolo. Et ne s’est-elle pas elle-même enfermée dans cette grande maison isolée ? Mimi, au contraire, refuse ces règles et tient à sa complète liberté. Qui a raison ? Celui qui embrasse ses pulsions vampiriques ou celui qui les restreint pour devenir meilleur ? Le film se chargera de donner une réponse en demi-teinte.
On le voit, le personnage de Mimi a fait un choix, celui de Djuna un autre. Mais KISS OF THE DAMNED confronte l’idée du choix avec celui de la fatalité. L’intense attraction que Djuna et Paolo éprouvent l’un pour l’autre, les conséquences de leurs actes, et de nombreuses paroles de Djuna – sur le fait qu’elle savait qu’elle devait transformer Paolo, par exemple – montrent à quel point nous ne sommes pas toujours maîtres de nos choix. C’est encore plus le cas quand l’instinct s’ajoute à l’équation. Quelle valeur à une décision si elle est portée par des pulsions qui nous dépassent ? La condition de vampire est ainsi vue comme une condamnation.
Collant à l’image du vampire traditionnel, Cassavetes explore enfin les liens entre douleur et plaisir, et entre amour et mort. Dans le film, on parle souvent de maladie, et le vampirisme devient une métaphore pour les MST – comme il avait pu l’être dans LES PRÉDATEURS (1983). Désir de sexe, désir de sang, les créatures de KISS OF THE DAMNED évoluent entre les deux dans un érotisme troublant que la lenteur du métrage ne fait qu’exacerber. Avec en toile de fond, une question en suspens : l’amour n’est-il qu’une illusion ?

Par le biais du mythe de Jeckyll et Hyde, cité pendant une discussion sur la nature du vampire pendant le film, la réalisatrice nous donne la clé du film : Djuna et Mimi sont les deux facettes d’une même créature. On le voit bien quand Djuna ressent dans sa chair les exactions de sa sœur. De la même façon, un parallèle visuel est créé quand sont montées côte à côte des scènes intimes entre Paolo et Djuna, et Mimi et un inconnu.
Le miroir et le reflet sont des indices visuels de cette dualité. Les deux sœurs ne sont peut-être pas si différentes l’une de l’autre qu’on pourrait le croire. Si Mimi est l’image de la tentation et de la corruption, c’est pourtant Djuna la seule à transformer son compagnon humain en vampire.

KISS OF THE DAMNED est un film dans lequel on plonge avec délice, pour la plastique de ses actrices – et de son acteur, Milo Ventimiglia, connu surtout pour son rôle dans la série HEROES –, pour ses images soignées, pour ses personnages mélancoliques, pour sa vision des vampires.On se laisse porter par son rythme nonchalant. On se laisse charmer par son romantisme délicat. Bref, on y plante les crocs et on s’en repaît avec plaisir. Jusqu’à plus soif.

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