La bête tue de sang froid

Un texte signé Stéphane Bex

Hasards de la programmation ou facéties des organisateurs ? Les trains auront été à l’honneur lors de la 16ème édition du festival EXTREME CINEMA à la cinémathèque de Toulouse. Après TERREUR DANS LE SHANGAI EXPRESS dont un des titres est HORROR EXPRESS, le festivalier pouvait assister à la projection de LA BETE TUE DE SANG FROID d’Aldo Lado (rebaptisé pour sa sortie en DVD en DERNIER TRAIN DE LA NUIT aka NIGHT TRAIN MURDERS aka NEW LAST HOUSE ON THE LEFT), film de 1975 qu’il ne faut pas confondre avec le TERROR EXPRESS de Ferdinando Baldi sorti en 1979 qui en reprend les thèmes et les scènes les plus marquantes.
Rien de comparable cependant entre les deux oeuvres. LA BETE TUE DE SANG FROID s’enracine dans l’atmosphère délétère de l’Italie à la fin des années 70, gangrénée par la violence terroriste et le malaise social. Le film décrit ainsi le voyage cauchemardesque de deux jeunes étudiantes, Lisa Stradi et Margaret, la première revenant dans sa famille italienne après un séjour passé en Allemagne. La rencontre avec une femme mystérieuse amatrice de plaisirs pervers et deux jeunes voyous italiens, Blacky et Curly, embarqués dans le même train pour échapper à la police allemande, va tourner soudainement à l’horreur.
Très inspiré par LA DERNIERE MAISON SUR LA GAUCHE, LE DERNIER TRAIN DE LA NUIT s’inscrit pleinement dans le courant du RAPE AND REVENGE qui va marquer les années 70 (avec, parmi les oeuvres les plus célèbres LES CHIENS DE PAILLE ou OEIL POUR OEIL qui ferme en beauté la décennie) en déployant la mécanique dialectique de la violence. Sévices, viols, humiliations et tortures s’y exercent sur les corps des victimes devenant in fine par un renversement dramatique les bourreaux de leurs bourreaux. L’oeuvre d’Aldo Lado n’en départ pas en offrant une variation intéressante par sa convocation d’un érotisme voyeuriste, moins nihiliste mais plus dérangeant que celui que l’on trouve chez Wes Craven ou Meir Zarchi.
Ce récit d’une défloration violente de l’innocence, entouré par les variations perverses du thriller horrifique, est à lire comme la traduction symbolique du chaos qui effleure la surface de la société italienne. A travers Lisa, jeune fille sage et ingénue qui commence à s’intéresser à peine aux garçons et fait la fierté de son père, un chirurgien aux idéaux humanistes, Lado s’en prend à une bourgeoisie aveugle qui s’est retirée dans son fief en restant imperméable aux secousses qui ébranlent le pays. De cette bourgeoisie, la femme mystérieuse, incarnée par une Macha Méril séductrice et vénéneuse en diable, représente l’autre bord : en manipulant sexuellement les voyous pour obtenir de façon perverse sa jouissance, elle réaffirme son pouvoir dominateur et subvertit la lutte des classes en drame de prédation. En distinguant entre les forts et les faibles, en faisant de l’oppression une donnée autant sexuelle que sociale, Lado rejoint finalement la lecture de la JUSTINE OU LES MALHEURS DE LA VERTU de Sade. La dureté des riches légitime la mauvaise conduite des pauvres : Blacky et Lucky sont tout aussi victimes de la femme mystérieuse que Lisa et Margaret sont les leurs. La violence de l’oppression n’a de cesse de se répéter, franchissant les couches sociales et se justifiant par sa répétition même. Le père de famille finira par perdre sa fille et ses idéaux en prenant plaisir à infliger à son tour une violence qu’il a jusque là repoussée. Seule s’en sortira celle qui a su le mieux déguiser sa recherche de la jouissance sous le vernis des conventions et l’habit des convenances.
La leçon de Lado, profondément pessimiste, est délivrée sans ambiguïté mais d’une manière relativement complexe. Alors qu’un premier acte installe le malaise et resserre le groupe à l’intérieur du train dans des espaces de plus en plus confinés, faisant glisser la chronique vers l’horreur intime, le second acte montre le déchaînement meurtriers des pulsions et un troisième acte, reprenant les codes du RAPE AND REVENGE, déroule le final dans la maison parentale dans laquelle le trio criminel s’est, sans le savoir, réfugié. La photographie de Gabor Pogany, qui magnifiait déjà avec ingéniosité les espaces étroits à l’intérieur du train, permet paradoxalement dans cette dernière partie à la nature de s’exalter. La poursuite et l’exécution finale qui a lieu dans le parc jouxtant la propriété familiale de la jeune victime rappelle alors le paradis verdoyant dans lequel la jeune femme de OEIL POUR OEIL (DAY OF THE WOMAN) subit les assauts sadiques de psychopathes. La violence, nimbée de cette luxuriance végétale, n’en semble par opposition que plus sèche. En forçant le père à quitter la tranquillité de sa demeure pour exercer sa vengeance, le film délivre son constat le plus noir. Ce n’est plus dans l’obscurité des compartiments que l’homme abandonne l’humain mais sous le plein soleil d’un monde devenu absurde. L’initiation a été brutale. Ne restera de l’innocence perdue que les dépouilles et les carcasses abandonnées des victimes et des bourreaux. Comme un essorage à sec de tous les espoirs et les idéaux.


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- Article rédigé par : Stéphane Bex

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