La bonzesse

Un texte signé Philippe Delvaux

France - 1974 - François Jouffa
Titres alternatifs : La bonzesse ou les confessions d’une enfant du siècle
Interprètes : Sylvie Meyer, Bernard Verley, Olga Valéry

Béatrice est à la recherche de sens et d’absolu. Ce qu’elle ne trouve pas dans ses études en philosophie, elle va le chercher… en se prostituant dans la maison de passe de Mme Renée, un discret appartement parisien. Elle y tombe amoureuse de Jean-François (Bernard Verley, précédemment vu chez Buñuel ou Rohmer) et s’installe bien vite avec lui. Tout irait pour le mieux… si Jean-François ne fuyait les relations sexuelles. Frustrée, elle s’en retourne chez Mme Renée, s’installe ensuite dans un ménage à trois avec son amie Martine et le mari de cette dernière, Gérard (Féodor Atkine). Au final, c’est en partant à Ceylan qu’elle trouvera la paix intérieure, renonçant à la chaire pour devenir nonne bouddhique.

Bon, on vous a moins introduit le film que donné le synopsis, mais n’y voyez pas de spoiler : les films qui ressortent à la chronique d’une époque sous le prisme des affres d’un personnage ne reposent pas tant sur le dévoilement progressif de leurs pérégrinations que sur la peinture des sentiments, des caractères, des mœurs de la société d’alors. L’enjeu se trouve au cœur de chaque scène et non tant dans l’intrigue.

LA BONZESSE suit ce schéma, additionnant des vignettes qui composent un portrait-témoignage. Le film ouvre d’ailleurs par un carton signalant que l’œuvre est inspirée de témoignages recueillis par les auteurs. François Jouffa sera d’ailleurs plus précis en interview, affirmant que derrière Béatrice, on trouve l’histoire d’une de ses amies, une certaine Isa Thiéville qui, alors en quête de sens, fit l’expérience de la prostitution avant de se tourner vers le sacré et de prendre le voile.

Sorti finalement en 1974, sans grand succès, LA BONZESSE fut ensuite éditée en vidéo en 1983… sans plus réitérer le scandale qu’il provoquait à peine dix ans plus tôt. Les temps avaient changé ! Le film est ensuite tombé dans un semi oubli. L’Etrange festival l’a cependant exhumé dans son édition 2010 où nous l’avions enfin découvert. Et en 2018, l’éditeur Montparnasse lui donne une nouvelle et plus large visibilité en l’éditant au format dvd. Et le changement d’époque est d’autant plus marqué que la jaquette ne précise même plus vraiment que le film est déconseillé aux moins de 16 ans.

En 1974, LA BONZESSE est sorti à la fois dans des salles « Art et essai » et dans des salles privilégiant les films érotiques. Dans cette période de basculement, on constate d’ailleurs que le sexe, dont l’exhibition ressortait donc à une certaine vision de l’avant-garde et de l’expérimentation, pénétra [si l’on ose dire] le marché autant par le biais du cinéma populaire [les films dits « d’exploitation »] que par celui d’art et essais. Et, à revoir le film avec le regard de 2018, on classera bien LA BONZESSE dans le cinéma d’auteur plus que dans l’érotique. Non pas que notre regard égrillard se serait émoussé au contact d’images plus hardcore, mais plutôt par le constat que le sexe est ici au service d’un propos qui n’a pas pour fonction première d’exciter le spectateur. Le sexe témoigne des préoccupations d’une époque, du cheminement mental d’une femme, de cette remise en question des normes sociales qui nécessitent de trouver d’autres valeurs de remplacement. Cette quête de sens est typique de l’époque, qui a vu nombre d’expérimentations pour une société « autre »… et que le film répercute dans les propos des protagonistes, entre les défenseurs des valeurs classiques et les discours contestataires.

A l’époque, François Jouffa souhaite faire le GORGE PROFONDE français, soit un film hardcore qui ouvrirait de nouvelles perspectives cinématographiques en France. Mais premier film, inexpérience et surtout cadenassage de la censure ne lui permettront in fine pas d’aboutir dans cette voie.

LA BONZESSE ne cadre pas l’acte sexuel pour attester son authenticité, ni pour exciter le spectateur, quoique cette dernière fonction ait peut-être été remplie à l’époque de par la nouveauté de l’exhibition de nudité et de sexe. LA BONZESSE est généreux en nudité, tant celle du très beau corps de Sylvie Meyer, que celle des (parfois nettement) moins beaux corps masculins, dont on voit d’ailleurs les sexes (mais pas en érection). LA BONZESSE est également très frontal pour montrer des pratiques sexuelles : sodomie (la pénétration n’est pas visible, mais l’acte aurait peut-être été effectué au tournage), partouzes, fellation (effectuée au tournage, mais cependant peu visible à l’image), domination et sadomasochisme (soft… sauf la couture sur téton). Mais ce qui nous étonne encore en 2018, c’est cette courte séquence, visiblement non simulée, où un client se coud des boutons sur les tétons (rappelons que nous sommes avant EXHIBITION II !). Pour le reste, on évoque ou montre assez librement les diverses pratiques et fétichismes des clients du bordel : le costume et le cannibalisme simulé (par un « crocodile » qui figure sur l’affiche), le soumis masochiste, le soupeur (qui recueille le sperme d’un autre à même le sexe de la péripatéticienne), le voyeur et tant d’autres.

Mais Jouffa a gardé le climax pour la fin : l’entrée dans les ordres de Béatrice et donc la tonte intégrale de ses cheveux. Une superbe et intense séquence réalisée au Sri Lanka lors d’une véritable cérémonie d’ordination pour Sylvie Meyer. Le rasage du crâne féminin fait partie de ces pratiques qui font florès sur le net de l’ère médias sociaux, entre affirmation de soi pour nombre de femmes … et érotisation pour nombre de spectateurs/trices. La symbolique a toujours été très forte et sans doute devait-elle marquer le spectateur de 1974 encore bien plus que celui de 2018. D’ailleurs, un an après la fin de tournage, pour le premier numéro de sa revue « Absolu », Claude-François demanda à Sylvie Meyer de se raser à nouveau le crâne pour être photographiée par JeanLoup Sieff.

Si les bordels ont officiellement été fermés après-guerre, des maisons de passe plus discrètes ont continué à officier jusqu’à un nouveau tour de vis (oserait-t-on écrire « vice » ?) répressif peu après le tournage. La tenancière, Mme Renée, évoque évidemment la célèbre Mme Claude, mais aussi, par son patronyme, le non moins connu club libertin le roi René. Ce n’est donc pas une coïncidence si Jean-François emmène Béatrice dans un tel club. Peinture des mœurs toujours ! Les clients se partagent entre bourgeois, hauts fonctionnaires, professions libérales, ecclésiastes, vieux, moches, nain.

L’amoureux de Béatrice, Jean-François (dont le prénom est donc le même que celui du réalisateur Jean-François Jouffa !) est dépeint comme un publicitaire dragueur et préoccupé de sexe… sauf avec Béatrice devant laquelle il fuit littéralement alors qu’elle cherche à construire avec lui et son couple et son équilibre.

Le film ose quelque petites touches d’humour, comme de cet évêque, client régulier qui veut porter sa soutane au bordel car cet habit ne lui est plus assez permis par Vatican II, et qui s’offre le plaisir coupable de frapper le masochiste attaché dans le salon d’attente.

Jouffa souligne par petites touches le statut de ses personnages : le serviteur de Jean-François qui affiche le poster de THE SERVANT (Joseph Losey) dans sa chambre, Béatrice qui se déguise en Ziggy Stardust ou qui porte un t-shirt affublée de la scène d’orgie de FRITZ THE CAT.

Le film a été produit par la Warner et distribué hors France par la 20th Century Fox. Imaginerait-on ça de nos jours ? Le budget très faible (un million de francs français de l’époque) aura contraint François Jouffa à une mise en scène très classique, lui qui rêvait de plus d’extravagance visuelle.

François Jouffa a précédemment participé au scénario de LA MICHETONNEUSE de son ami Francis Leroi (futur grand nom du ciné érotique français), lequel produira en retour LA BONZESSE. Les deux coréaliseront encore en 1990 le semi documentaire SEX ET PERESTROÏKA, difficile à trouver en dehors d’une cassette vidéo d’époque.

En dépit d’un passage à Cannes, LA BONZESSE fut interdit des mois durant par la censure. Il finit cependant par obtenir, après quelques légères coupes, une autorisation de sortie en 1974. Cependant, éreinté par la lutte contre la censure, s’estimant floué financièrement par les financiers, mis au ban de la société pour avoir réalisé un film scandaleux… qui ne rencontra finalement pas le succès public escompté, François Jouffa, écœuré, jeta le gant et ne réalisa (quasi) plus jamais de long métrage.

Au vu de LA BONZESSE, ce retrait est bien dommage ! Mais les amateurs de ciné frenchy coquin connaissent sans doute encore François Jouffa comme co-auteur de l’excellent livre « Entre deux censures » (très régulièrement réimprimé) qui fait l’historique du cinéma érotique en France entre 1973 et 1976.

Affirmons-le donc : LA BONZESSE est de ces films que le cinéphile se doit absolument de redécouvrir !


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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