La brigade des maléfices

Un texte signé Patrick Barras

Reléguée sous les combles du Quai des Orfèvres, la brigade des maléfices, dont l’existence même est occultée aux yeux du public, n’est uniquement composée que de l’inspecteur Guillaume-Martin Paumier, vieux spécialiste ès phénomènes paranormaux, et de son assistant Albert. Elle n’entre en action que lorsque la police judiciaire peine à apporter une solution rationnelle à des enquêtes où le mystère et le surnaturel viennent bousculer la quiétude et le train-train de la France du début des années soixante dix. Interventions diaboliques ou féériques, meurtres ou disparitions inexplicables constituent alors, entre autres, leur champ d’investigations…

En 1971, Claude Guillemot et Claude-Jean Philippe (présentateur passionné et passionnant du Ciné-club d’Antenne 2 / France 2, de 1971 à 1996) imaginent LA BRIGADE DES MALÉFICES, série de 6 épisodes qui sera diffusée durant l’été de la même année sur la deuxième chaîne de l’ORTF (où le fantastique n’a que rarement sa place à cette époque) et à laquelle il ne sera pas donné de suite.
Ainsi donc, un peu plus de 20 ans avant Fox Mulder et Dana Scully (La série X files), Paumier et Albert s’attellent à démêler une série d’affaires où les figures traditionnelles du fantastique et du merveilleux : Fées, extraterrestre Vénusienne, vampire, fantôme et même le diable en personne refont surface dans une société encore en proie aux mutations engendrées par la période des « trente glorieuses » et ses divers corollaires : Urbanisme forcené, inféodation aux biens de consommation et mercantilisme, entre autres.
Au fil des 6 épisodes, on se rend alors compte que chacune de ces figures se trouve de fait reléguée dans une enclave que semble encore lui concéder, pour un temps, l’avancée de ce monde qui se déclare moderne et se veut rationnel : Dans LES DISPARUS DE RAMBOUILLET, des fées bénéficient encore d’un peu de quiétude aux abords d’une mare de la forêt de Rambouillet, en passe de devenir un lieux de loisirs et de détente pour les familles, les promeneurs et les curieux, et où seul un vieux braconnier cueilleur de champignons a connaissance de leur existence. VOIR VENUS ET MOURIR nous présente une charmante Vénusienne mandatée sur terre pour contrecarrer un projet mercantile et frauduleux de tourisme sur Vénus, alors mise au goût du jour par la conquête spatiale et la télévision. Le comte Alexis De Sangbleu, dans LES DENTS D’ALEXIS, vampire quasi prisonnier de son somptueux appartement Parisien, se trouve contraint de s’approvisionner en sang frais auprès de gangsters qui pillent pour son compte des banques du sang. Seules les salles de cinéma et leurs séances tardives semblent être sa bouffée d’air, et il ne rêve que d’annuler la malédiction qui pèse sur lui en trouvant l’amour et en se mariant. Pour LE FANTÔME DU HLM, le Marquis Anatole de Palaiseau, homme du siècle des Lumières féru de technologie et enthousiaste face au progrès, est las de hanter le pavillon de banlieue de son descendant qu’il tente de pousser à la vente auprès d’un promoteur immobilier, afin de pouvoir hanter un lieu qu’il pense plus en accord avec ses aspirations. Ce n’est que confronté à la réalité de la vie dans un immeuble moderne qu’il déchantera et effectuera le voyage retour en acceptant, à l’instigation de Paumier, de hanter le pavillon d’une vieille dame qui consent à l’accueillir. Enfin dans LA SEPTIÈME CHAÎNE et LA CRÉATURE, le diable (Diablevert / Diablegris) quant à lui, toujours aussi commerçant et démarcheur, est le seul qui semble trouver son compte à la tournure que prend la société. Reconverti en propriétaire de boutiques d’électroménager, il exploite l’appétit de ses contemporains pour la « haute technologie » et la consommation. Appétit qu’il rentabilise grâce à la télévision ou à des créatures de chair présentées et louées comme des androïdes domestiques, qui pousseront ses victimes mi-consentantes au désespoir, en vue de les inciter à commettre l’irréparable, meurtre ou suicide.

Alors que le fantastique s’attache généralement à dépeindre le glissement du quotidien et de la banalité vers le surnaturel et l’irrationnel par lesquels ils seront influencés, perturbés ou remodelés, LA BRIGADE DES MALÉFICES se propose de plutôt mettre en scène l’inverse.
En effet, chaque personnage du « bestiaire » traditionnel fantastique se trouve confronté à la question qui est de savoir s’il doit lutter, s’adapter ou disparaître face à un monde de moins en moins enclin à reconnaître et accepter leur présence ou leur existence même. Dans tous les cas, ils se retrouvent le plus souvent face au fait de devoir tenter de préserver un espace vital, tant géographique qu’en terme de place occupée dans notre imaginaire, sans cesse remis en question par le matérialisme et le rationalisme ambiants (à l’image d’Anatole de Palaiseau qui assiste assis sur un muret à la destruction par des bulldozers de pavillons ceinturés par des barres d’immeubles flambant neuves, à la fin du dernier épisode de la série. Image qui prend alors une dimension emblématique) .
On ne peut, par moments, s’empêcher de penser à une approche du genre à la Jacques Tati (en se rappelant des films comme MON ONCLE ou encore PLAYTIME) tant les auteurs s’ingénient à mettre en lumière la cohabitation de plus en plus remise en question de deux mondes : Le monde d’avant et celui qui est « en marche ». Le prosaïque, désormais dominé par la technique et le « progrès », et le merveilleux, où l’on s’autorise encore à croire ou simplement à douter et à se questionner. Tout ceci sans forcément butter sur l’écueil du « c’était mieux avant », car le propos est avant tout distillé grâce à l’humour et à de nombreuses touches de douce et tranquille ironie qui baignent chaque épisode.
C’est sur ce ton que repose encore l’intérêt et le charme de la série. Ton parfaitement symbolisé par le personnage central de Guillaume-Martin Paumier, érudit anachronique et décalé en diable. À l’image du bureau-salon-appartement (?) où il a établi ses quartiers, véritable croisement entre le laboratoire du savant fou et le cabinet de curiosités surréaliste. L’inspecteur, tout empreint de bonhommie et de flegme malicieux, officie et reçoit ses invités en robe de chambre chamarrée ou en djellaba tel un « Sherlock Holmes de la féérie » (comme le qualifie la voix off du générique d’ouverture de chacun des épisode). Toujours le sourire aux lèvres et ne ménageant pas les oeillades complices, Paumier ne lutte jamais de manière véhémente contre les phénomènes et personnages auxquels il se trouve confronté (sauf peut être en ce qui concerne les agissement du diable), contrairement au commissaire Muselier, personnage au scepticisme railleur, un tantinet arriviste et suffisant qui met fréquemment en doute ses compétences, voire sa légitimité au sein du Quai des Orfèvres. Le vieux brise quart de l’étrange préfère laisser gentiment pérorer son jeune confrère et se pose plutôt en intermédiaire bienveillant qui met de l’huile sur les charnières entre les deux mondes et, pourquoi pas, œuvre à sa manière à la préservation de notre capital-imaginaire et de notre faculté à nous émerveiller.

Malgré une ambiance et un rythme qui pourraient apparaître désuets pour les plus jeunes, de même qu’une vision du genre qui pourrait sembler naïve à l’heure actuelle, un manque de moyens et l’absence d’effets spéciaux spectaculaires (néanmoins sources d’ingéniosité dans l’écriture cinématographique : Tout se joue souvent dans un simple mouvement de caméra, un reflet dans un miroir ou encore une apparition fugace sur une photo ou un film super-8…), LA BRIGADE DES MALÉFICES reste une série qui offre une approche originale du genre. Elle est à découvrir ou à redécouvrir en se plongeant ou se replongeant dans le contexte de l’époque, afin peut être de mieux l’appréhender en mesurant son ancrage dans la France de cette période.


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse

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