La Chambre Noire

Un texte signé Jérôme Pottier

Japon - 1983 - Kirio Urayama
Titres alternatifs : Anshitsu
Interprètes : Kôji Shimizu, Rie Kimura, Yoshimi Ashikawa, Eimei Esumi, Jun Hamamura, Kotoe Hatsui, Yuki Kazamatsuri

Le terme de roman porno est une trouvaille marketing de la société de production Nikkatsu, tout près de la faillite à la fin des sixties, c’est sous cette appellation qu’elle désigne les nombreux films érotiques qu’elle va produire à partir de 1971. Les pornophiles occidentaux amateurs de chair désincarnée seront déçus par l’érotisme soft du genre imposé par une censure très présente, par contre les cinéphiles sauront apprécier une grande qualité plastique doublée d’une réflexion passionnante sur la condition féminine japonaise. La grande force du roman porno vient du fait que les films produits par la Nikkatsu font appel à des équipes techniques chevronnées, des réalisateurs de talents et bénéficient de moyens plutôt considérables pour du cinéma érotique. A l’exemple de Kirio Urayama, réalisateur considéré comme “auteurisant”, à qui l’on confie en 1983 un budget important pour réaliser un roman porno classieux destiné à fêter les 70 ans de la firme, cela donne LA CHAMBRE NOIRE…
Nakada est un écrivain tourmenté par la mort accidentelle (?) de sa femme. Il multiplie désormais les aventures sexuelles qu’il consigne dans un cahier dont le titre est LA CHAMBRE NOIRE. Ce livre est un essai porteur de toutes les obsessions de son auteur, et plus particulièrement du refus de la procréation…
Adapté d’un roman de Junnosuke Yoshikushi, qui fut récompensé en 1969 du Prix Tanizaki aussi prestigieux au Japon que notre Goncourt national, ANSHITSU s’avère être un long pensum très rigoureux dans sa forme et plutôt ennuyeux. Confier au metteur en scène de CUPORA (un film adulé par François Truffaut qui faillit décrocher La Palme D’Or Cannoise en 1962) la réalisation d’un roman porno était un choix audacieux de la part de la Nikkatsu, malheureusement, cela ne s’avère pas payant. Bien que le travail de Kirio Urayama soit loin d’être indigne, spécifiquement à travers les thématiques soulevées, plus particulièrement concernant le refus de la filiation de l’écrivain qui contraste avec le désir de maternité d’un couple de lesbiennes, LA CHAMBRE NOIRE s’éloigne par trop des contingences liées au genre pour être considéré comme un roman porno.
En effet, le format habituel tourne autour des quatre-vingt-dix minutes avec une scène érotique toutes les vingt minutes, ANSHITSU ne respecte pas ce contrat. C’est un film de deux heures durant lequel les scènes de sexe sont vite expédiées, il apparaît évident que le réalisateur n’est pas très à l’aise avec l’aspect charnel de son script. Seule une scène surnage, une conversation téléphonique entre Nakada et une de ses maîtresses qui voit un bouquet de fleurs faner au fur et à mesure qu’elle grimpe vers l’orgasme en se caressant. Pour le reste, à part cette belle idée de mise en scène qui consiste à plonger dans un puits sans fonds qui représente une métaphore des états d’âme de l’écrivain, LA CHAMBRE NOIRE s’avère plutôt faible visuellement. Beaucoup de plans sont statiques et longs avec une photographie assez terne. Très loin du baroque qui sied habituellement au roman porno, ce long métrage didactique s’avère peu attractif dans sa forme, et donc, comble du désespoir pour tout cinéphile amateur de déviance nippone, « pas excitant pour un rond » ! L’un des dialogues du film symbolise bien cet état de fait : « la banalité a vaincu la tragédie », et, en effet, c’est le cas pour ANSHITSU.
Le principal intérêt de cette bobine est de pouvoir admirer la belle Rie Kimura dont c’est l’une des rares apparitions à l’écran (elle n’a tourné que dans deux films). A noter, l’auteur est sobrement joué par Kôji Shimizu qui interprétait Katsusuke Atobe trois ans auparavant dans le classique d’Akira Kurosawa intitulé KAGEMUSHA L’OMBRE DU GUERRIER. Ce qui démontre que, contrairement à l’Occident, dans la culture japonaise on ne considère pas l’érotisme comme un sous-genre. Même si LA CHAMBRE NOIRE, au final, est plus une réflexion soporifique sur le désir qu’un véritable brûlot libertaire et jouissif, contrairement à la plupart des romans pornos. Loin de condamner l’intellectualisation du genre, c’est plutôt l’affadissement de la chair étalée à l’écran qui déroute l’amateur. Ainsi, le puits sans fonds utilisé par Urayama pour matérialiser à la fois le surmoi de son personnage principal et la mise en abyme du roman porno, s’avère être une belle métaphore de sa propre panne créatrice !!!


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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