retrospective

La charge des Cosaques

Alors que le cinéma italien est submergé par la vague du néo-réalisme, un seul homme va se dresser contre cette mode cinématographique qu’il exècre : le grand Riccardo Freda. Passionné par le cinéma populaire, il débute par des films d’aventures (LE CAVALIER MYSTERIEUX, 1948 ; L’AIGLE NOIR, 1951…), relance le péplum (SPARTACUS, 1953) et lance le film d’épouvante en Europe (LES VAMPIRES, 1956) tout en signant quelques chefs d’œuvre (LE CHATEAU DES AMANTS MAUDITS, 1957 ou L’EFFROYABLE SECRET DU DOCTEUR HICHCOCK, 1962, qui consacre Barbara Steele). Il signe aussi en 1954 le premier film italien en Eastmancolor, THEODORA, IMPERATRICE DE BYZANCE, un des nombreux films qu’il réalise avec son épouse d’alors, la magnifique actrice Gianna Maria Canale. LA CHARGE DES COSAQUES, qu’il tourne entre un film de sf/épouvante (CALTIKI, LE MONSTRE IMMORTEL, 1959, co-réalisé par Mario Bava) et un péplum mythologique (LE GEANT DE THESSALIE, 1960) donne le rôle principal au culturiste Steve Reeves qui venait d’interpréter Hercule dans LES TRAVAUX D’HERCULE de Pietro Francisci.
Nous sommes au milieu du 19ème siècle, en Russie, sous le règne du tsar Nicolas Ier. Ce dernier mène une guerre contre les tribus du Caucase qui refusent de se soumettre à l’Empire russe. A la tête de cette rébellion qui aligne les victoires, le chef de guerre Hadji-Mourat que le tsar aimerait convaincre de signer un traité de paix. Pour cela, il envoie une ambassadrice de charme, la princesse Maria Vorontzova dont l’époux est à la tête du combat contre les insurgés. Dans le même temps, un chef de tribu perfide (il convoite le pouvoir et la promise de notre héros) tente de discréditer puis de faire passer Hadji-Mourat pour un traître à la solde des Russes. Victime d’un complot et d’un chantage politique (la paix contre l’assujettissement des siens), celui que l’on surnomme le « diable blanc » devra-t-il renoncer à ses idéaux d’honneur et de justice ?
Lointainement inspiré d’un roman de Léon Tolstoï (« Hadji-Mourat »), LA CHARGE DES COSAQUES prend pour cadre historique la guerre de « pacification du Caucase » qui opposa la Russie aux rebelles tchétchènes et comme figure principale le chef de clan Hadji-Mourat (le titre français est partiellement mensonger : il y a bien des charges mais de Cosaques, point !). A la croisée du film historique, du film d’aventures et du mélodrame, LA CHARGE DES COSAQUES parvient à fondre dans un tout harmonieux les éléments politiques, épiques et intimistes contenus dans ces trois genres. Le contexte historique est rappelé dès les scènes d’introduction qui voient l’assaut puis la destruction par les troupes russes d’un village caucasien ; la séquence est brève, très efficace dans son découpage, plus suggestive que démonstrative et se termine sur un lent travelling arrière cadrant le village en feu et, en amorce au premier plan, le corps d’un pendu. Si l’empathie du spectateur est aiguillée dès le départ vers les rebelles et leur héros, le film de Riccardo Freda n’est cependant pas un pamphlet dénonçant la brutalité de la Russie tsariste et glorifiant les peuples caucasiens, à la différence du roman de Léon Tolstoï. En effet, c’est davantage vers le film d’aventures que LA CHARGE DES COSAQUES se tourne et c’est donc le physique et l’action qui définissent les personnages et les enjeux dramatiques. Nous suivons donc Hadji-Mourat (auquel Steve Reeves prête ses traits de manière convaincante sans pratiquement faire usage de ses biceps !) lorsqu’il mène avec ses hommes une attaque victorieuse contre une forteresse russe, lorsqu’il se bat à l’épée seul contre cinq ou lorsqu’il s’évade et traverse les salles du palais ennemi à cheval. Exempt de scènes vraiment spectaculaires, le film est cependant très rythmé et nous gratifie de péripéties et de rebondissements dont certains, proches du mélodrame, apportent une touche de lyrisme (la fiancée du héros captive du traître et tourmentée par ce dernier ; son petit garçon prisonnier des Russes et menacé d’exécution…). Saluons comme ils se doit le magnifique travail du chef-opérateur (pas encore réalisateur) Mario Bava qui magnifie de ses éclairages lustrés plusieurs scènes du film, notamment celles se déroulant dans la chambre luxueuse et tamisée de la princesse Vorontzova. Interprétée par Scilla Gabel (l’héroïne souffrante de LE MOULIN DES SUPLICES de Giorgio Ferroni, 1960), celle-ci nous rappelle, lors d’une trop brève scène où elle apparaît en déshabillé transparent, qu’elle fut aussi la “body-double”de Sophia Loren. Alliant élégance de la mise en scène et sens du mouvement, photogénie et romanesque, le film de Riccardo Freda n’oublie pas de donner corps à ses personnages et de développer un scénario bien construit. S’il n’est pas une des œuvres majeures du « maverick » italien, LA CHARGE DES COSAQUES n’en est pas moins une bande délectable à savourer délicatement.

Share via
Copy link