La cloche de l’enfer

Un texte signé Philippe Delvaux

Espagne – France - 1973 - Claudio Guerin
Titres alternatifs : Les cloches de l’enfer, The bells, The bells from hell, La campana del infierno
Interprètes : Renaud Verley, Viveca Lindfors, Alfredo Mayo, Maribel Martín, Nuria Gimeno, Christina von Blanc

Libéré après deux ans de l’hôpital psychiatrique où sa tante l’avait fait interner pour accaparer le riche héritage familial, Jean s’en revient chez lui pour régler ses comptes.
Voilà très brièvement résumée une intrigue qui nous est en réalité distillée goutte à goutte tout au long de cette CLOCHE DE L’ENFER. Et Claudio Guerin se montre talentueux derrière son alambic, plaçant l’air de rien, au détour d’un plan, d’un geste, d’une anecdote, un élément essentiel du scénario qui se rappellera à nous plus tard.
L’ensemble fourmille de personnages dont la nature exacte des rapports nous sera dévoilée petit à petit : la tante Martha est le centre gravitationnel de l’attention de Jean, astre noir autour duquel gravitent ses filles : la jeune et innocente Esther, Marie, sur le point de se marier mais qui a eu et a toujours le béguin pour Jean, et enfin Thérèse, l’ainée, qui voue par contre une haine sourde à l’encontre de son cousin. Ce dernier fréquente également une voisine, Hélène, qu’il a jadis courtisée par jeu et qui a fini par se marier avec Pierre, entrepreneur et notable local. Enfin, un étrange clochard et sa fille complètent notre galerie.
On assiste tout d’abord aux différentes étapes de la libération d’un jeune homme incarcéré (remise des effets personnel, dernière rencontre avec le directeur…). Tout porte à croire qu’il s’agit d’un délinquant, avant qu’un dernier plan sur les grilles de l’institution ne révèle qu’on sort d’un institut psychiatrique. Faisant l’économie des traditionnels fous déambulant dans les couloirs, le réalisateur nous a dès l’abord conduit sur une fausse route et nous indique par là-même que son film jouera à brouiller les pistes. Nous serons donc longtemps hésitants quant aux responsabilités de chacun dans le drame qui va se jouer. Jean est-il fou ou pervers ; manipulateur ou manipulé, monstre ou victime ?
Le raccord au titre se révèle dans le final, parfaitement pervers. Auparavant, quelques plans auront entrelardé notre intrigue, montrant l’arrivée de la cloche nouvellement acquise par la communauté et son érection au clocher de l’église. Un chant d’enfants, scandant en canon le célèbre « Frères Jacques » (de surcroît chanté en français), vient également par intermittence souligner le rôle que la cloche est appelée à jouer. Est-ce une réminiscence des chants des trois sœurs Esther, Marie et Thérèse, de l’époque de cette innocence perdue que conserve par nostalgie un Jean qui a refusé de déchirer une vieille photo ? C’est en tout cas une ritournelle prémonitoire dont les paroles verront leur sens initial être cruellement détourné.
La réalisation reste gravée dans le style gothique qui faisait florès la décennie précédente mais qui jette maintenant ses derniers feux : grande bourgeoisie perdue dans la campagne, demeure creusée de caves et bordée de lacs, protagoniste fou jouant du clavecin entouré d’oiseaux (dont évidemment un corbeau), brume semblant cacher des fantômes… n’en jetez plus, c’est sans doute la partie du métrage qui aura le plus vieilli… mais c’est aussi ce qui lui confère un charme certain pour tous ceux qui restent sensibles à cette esthétique appartenant désormais au passé du cinéma populaire.
Mais LA CLOCHE DE L’ENFER porte également les stigmates de l’autre versant du cinéma d’horreur des années ’70, celui plus tendu qui va irriguer la production indépendante : ainsi d’un passage qui met mal à l’aise le spectateur lors de l’apprentissage de Jean dans un abattoir et où l’on devine que la production a fait l’économie d’effets spéciaux. Les mises à mort d’animaux ont connu leur « heure de gloire » dans les années ’70 via les films de cannibale. Leur gratuité narrative a choqué. Aujourd’hui, ce type d’images ne serait évidemment tout simplement plus tourné dans une production occidentale de type populaire. Mais à l’époque, le bien-être animal n’est pas encore entré dans les mœurs et si le procédé rend la séquence efficace, il sera utilisé. Mais il semblerait que, même à l’époque de sa sortie vidéo, ce passage n’ait pas toujours passé le cap de la censure des éditeurs. En tout état de cause, même raccourcie de ses plans non truqués, il reste nécessaire puisqu’il nous prépare à l’enlèvement qui interviendra plus tard.
Et bien entendu, époque oblige, un autre « passage obligé » mêle l’érotisme au sadisme. Cependant, le montage espagnol de 1974 a rhabillé une séquence érotique destinée à l’exportation. Le procédé était alors courant de tourner plusieurs fois certains plans et de varier les montages en fonction de la tolérance du pays de production et de ceux d’exportation. La version éditée en dvd par Pathfinder intègre les plans dénudés et offre la scène alternative habillée dans les bonus.
Il n’est pas inintéressant de relever que, contrairement à nombre de péloches d’exploitation de l’époque, LA CLOCHE DE L’ENFER ne se termine pas sur son climax. A sa libération, Jean a un plan nous suivons sa mise sur pied en supposant que le film se termine sur sa résolution … mais quelque chose va capoter et nous entrainer dans un ultime chapitre. Le twist est finalement inattendu. Nous ne le dévoilerons bien entendu pas ici, mais on relèvera simplement qu’il offre une voie peu suivie dans lequel on ne peut pas franchement affirmer qu’un clan a gagné sur toute la ligne.
LA CLOCHE DE L’ENFER est le second et dernier métrage de Claudio Guerin dont le destin a scellé le petit mythe entourant le film : au terme de prises de vue, le réalisateur est tombé (ou se serait jeté) du haut du clocher, rejoignant donc dans la mort l’un des protagonistes de son intrigue. La postproduction a été confiée à Juan Antonio Bardem. Vu la qualité de son travail, on s’en voudrait de ne pas parler du scénariste, Santiago Moncada, déjà derrière UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL (Mario Bava, 1970) et TOUTES LES COULEURS DU VICE (aka L’ALLIANCE INVISIBLE, Sergio Martino, 1972). On a croisé l’interprète de Jean, Renaud Verley, chez Luchino Visconti (LES DAMNES, 1969), André Cayatte (LES CHEMINS DE KATMANDOU, 1969) ou … Kon Ichikawa (POURQUOI, 1971). Et la cousine Maria est incarnée par Christina Von Blanc, célèbre pour CHRISTINA, PRINCESSE DE L’EROTISME (Jess Franco, 1974).
A propos du titre français, une affiche d’époque témoigne bien de la graphie au singulier, mais on trouve également mentionné un pluriel, en l’occurrence assez incongru (LES CLOCHES DE L’ENFER), peut-être pour l’exploitation vidéo.
Par chez nous, LA CLOCHE DE L’ENFER a sonné matines en août 1974, pour une sortie qui semble avoir été limitée au Sud de la France. Plus récemment, elle a à nouveau résonné lors de l’édition 2011 de l’Etrange Festival.

Retrouvez nos chroniques de l’Etrange Festival 2011.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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