La comtesse perverse

Un texte signé Philippe Chouvel

France - 1973 - Jesus Franco
Titres alternatifs : Les Croqueuses, La comtesse Zaroff, Sexy Nature
Interprètes : Alice Arno, Howard Vernon, Robert Woods, Tania Busselier, Lina Romay, Kali Hansa

Dans une vaste demeure à l’architecture étrange, située sur une petite île déserte au large de l’Espagne, vivent la comtesse Ivanna et le comte Rador Zaroff. Nobles et décadents, ils ont choisi de rester en marge de la société et trompent l’ennui en attirant des jeunes femmes dans leur repaire, grâce à l’aide de Bob et Moira. Ces derniers, ayant besoin d’argent, acceptent de jouer les rabatteurs pour les Zaroff. Les victimes de Rador et Ivanna sont généralement torturées, violées, avant d’être traquées sur l’île comme du vulgaire gibier. La mort est généralement au rendez-vous, et les cadavres finissent de surcroît dans les assiettes de leurs bourreaux, cannibales en plus d’être tortionnaires. Ces jeux pervers pourraient continuer longtemps, mais la future victime désignée, une étudiante nommée Sylvia, va poser un grave cas de conscience à Bob, dans la mesure où il s’est entiché d’elle.
Durant sa très longue carrière, Jesus Franco aura connu bien des producteurs, et parmi ceux-là Robert De Nesle, propriétaire du Comptoir Français du Film, sera l’un des plus importants. La collaboration entre ces deux personnalités atypiques aboutira, durant une période s’échelonnant entre 1971 et 1974, à un nombre important de longs métrages. Dans la seule année 1973, Franco tourne une dizaine de longs métrages, presque exclusivement des œuvres à caractère érotique. Parmi les films emblématiques de Jesus Franco produits par De Nesle durant cette période, on peut citer LE JOURNAL INTIME D’UNE NYMPHOMANE, LES DEMONS, LORNA L’EXORCISTE et bien évidemment LA COMTESSE PERVERSE.
Déjà auteur de LA COMTESSE NOIRE la même année (une production Eurociné), film dans lequel le réalisateur puisait dans la célèbre nouvelle de Sheridan Le Fanu, « Carmilla », Franco trouve cette fois sa source d’inspiration dans un autre récit, « The Most Dangerous Game » de Richard Connell. Publié en 1924, cet écrit deviendra l’une des adaptations les plus célèbres du cinéma : LA CHASSE DU COMTE ZAROFF (1932). Du film de Pichel et Shoedsack, le cinéaste espagnol ne retient que l’idée principale. Pour le reste, il exploite au mieux le peu d’argent dont il dispose en intégrant une bonne dose d’érotisme dans l’histoire, saupoudrée d’humour noir. Jesus Franco possède aussi ce talent pour dénicher des lieux insolites lors de ses tournages. Ici, en l’occurrence, il va se porter sur deux constructions présentant une architecture singulière, dues à Ricardo Bofill. Il s’agit d’El Xanadu et La Muralla Roja, situées à Calpe sur la Costa Blanca. Il est à noter que le réalisateur avait déjà utilisé El Xanadu trois ans auparavant pour CRIMES DANS L’EXTASE.
Comme souvent dans les œuvres du cinéaste, LA COMTESSE PERVERSE existe en plusieurs versions. A l’origine, le film dure soixante treize minutes, et se limite à six personnages. Mais à la demande du producteur, des scènes additionnelles furent tournées un peu plus tard, certaines à La Grande Motte, probablement lors du tournage de LORNA L’EXORCISTE. Les scènes en question modifient le début et la fin du film, et apportent de la confusion à l’œuvre originale, d’autant que Lina Romay (Sylvia) joue dans ces séquences un autre personnage (tout en gardant le même prénom). Tournées sur le mode de la comédie, elles atténuent également l’aspect dramatique du scénario. Enfin, toujours à la demande de Robert De Nesle, d’autres scènes furent encore rajoutées, présentant un érotisme plus explicite, à la limite du hard. Ce montage aboutira à la ressortie du film en 1975 sous le titre LES CROQUEUSES. Le montage le plus long du film atteint quant à lui quatre vingt dix sept minutes.
Le casting de LA COMTESSE PERVERSE comprend exclusivement des habitués du réalisateur durant cette période, parmi lesquels Lina Romay, Howard Vernon et Alice Arno, cette dernière composant une comtesse Ivanna parfaitement crédible en prédatrice ivre de sexe et de sang. Le trio est secondé par les ravissantes Kali Hansa (LE JOURNAL INTIME D’UNE NYMPHOMANE, LES AMAZONES DE LA LUXURE) et Tania Busselier (PLAISIR A TROIS, LA ROMANCIERE LUBRIQUE), sans oublier le playboy de service, interprété par Robert Woods, que l’on put voir dans pas mal de westerns spaghetti avant que l’acteur ne rejoigne Jesus Franco dans des films comme LE MIROIR OBSCENE ou MACISTE ET LES GLOUTONNES.
La sexualité déviante des deux couples dépeints dans LA COMTESSE PERVERSE évoque l’œuvre du Marquis de Sade, qui influença Jesus Franco en plusieurs occasions (LES INASSOUVIES, EUGENIE DE SADE, PLAISIR A TROIS). Le couple Zaroff est cruel, pervers et criminel, avec une Ivanna recherchant les amours saphiques et un Rador presque réduit à un rôle de voyeur. Le duo Bob/Moira est en apparence ouvert au libertinage, mais l’un comme l’autre ne trouvent pas l’épanouissement dans cette pseudo-liberté. De plus, leur appartenance à une classe sociale « inférieure » leur apporte de la frustration, si bien qu’ils ne sont complices des Zaroff que pour des motifs bassement matériels.
Presque vingt cinq ans plus tard, le cinéaste reprendra à nouveau le thème de LA CHASSE DU COMTE ZAROFF avec TENDER FLESH (1997). Aujourd’hui, lorsque l’on se penche sur l’impressionnante filmographie de Jesus Franco, on peut dire que LA COMTESSE PERVERSE compte parmi ses belles réussites. Qui plus est, le film est accompagné d’une excellente musique due à Jean-Bernard Raiteux et Olivier Bernard. Mélange de rock progressif nerveux et de pop psychédélique, la bande son dynamise le métrage comme c’était déjà le cas dans LES DEMONS (certains passages musicaux de celui-ci ont d’ailleurs été recyclés dans LA COMTESSE PERVERSE). A nouveau visible dans un superbe master restauré, LA COMTESSE PERVERSE permet de redécouvrir l’œuvre de Jesus Franco sous un nouveau jour. Et à en juger par l’intérêt porté par plusieurs éditeurs en cette année 2012, aussi bien en France qu’en Allemagne ou aux Etats-Unis, on n’a pas fini de parler de ce réalisateur unique en son genre.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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