La crypte du vampire

Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie-Espagne - 1964 - Camillo Mastrocinque
Titres alternatifs : La cripta e l'incubo
Interprètes : Christopher Lee, Adriana Ambesi, Ursula Davis, José Campos

C’est après avoir passé la soixantaine et au crépuscule d’une carrière riche d’une cinquantaine de films majoritairement comiques que le réalisateur italien Camillo Mastrocinque va s’éprendre du genre fantastique et lui offrir deux opus non négligeables : LA CRYPTE DU VAMPIRE et UN ANGE POUR SATAN (1966). Le second, qui est une excellente relecture de la nouvelle de Prosper Mérimée, « La Vénus d’Ille » est également éclairé par la présence de Barbara Steele dans ce qui constitue son dernier grand rôle dans un gothique italien. Le premier, celui qui nous intéresse ici, a aussi une origine littéraire puisqu’il se présente comme une libre adaptation de la célébrissime nouvelle de Sheridan Le Fanu, « Carmilla »(1872) ; autre point commun avec UN ANGE POUR SATAN, la présence au générique d’une « star » de l’épouvante : Christopher Lee. Ce dernier, lassé d’incarner le comte Dracula en Angleterre, fit une pause de quelques années en Italie où il fut notamment le cruel Kurt Meinliff dans l’un des chefs d’œuvre de Mario Bava, LE CORPS ET LE FOUET (1963).

Dans une région reculée de l’Autriche, se trouve le sinistre château du comte Karnstein (Christopher Lee) dont la fille Laura souffre de terribles cauchemars et insomnies. Son état semble provenir du fait qu’elle se croit possédée par l’esprit maléfique et vengeur de son ancêtre Sheena Karnstein qui fut brûlée pour sorcellerie par sa propre famille plusieurs siècles auparavant. Inquiet pour sa fille, le comte se décide à faire venir le jeune Friedrich Klauss, un spécialiste de la restauration d’œuvres anciennes afin qu’il puisse mettre à jour un portrait de Sheena et découvrir si Laura est bien la réincarnation de cette dernière. Au même moment, les Karnstein proposent à la jeune Ljuba, qui a eu un accident devant le château, de l’héberger quelques temps. La jeune fille ne tarde pas à avoir une relation très affectueuse avec Laura dont les cauchemars et les visions macabres semblent encore s’amplifier.

LA CRYPTE DU VAMPIRE est un des premiers longs métrages à adapter (de façon non officielle) ce qui est considéré depuis longtemps comme la source littéraire du thème du vampirisme, « Carmilla ». La nouvelle doit une grande part de sa postérité au fait qu’elle abordait aussi, de manière assez audacieuse, un sous-texte ouvertement saphique qui sera à l’honneur dans les remarquables transpositions cinématographiques que sont ET MOURIR DE PLAISIR (Roger Vadim, 1960), THE VAMPIRE LOVERS (Roy Ward Baker, 1970) et LA MARIEE SANGLANTE (Vicente Aranda, 1972). Le film de Camillo Mastrocinque se révèle, disons le d’emblée, extrêmement prude concernant l’évocation d’un amour lesbien : les séquences mettant en scène la relation « privilégiée » entre Laura et Ljuba ne proposent guère plus que des jeux de regards ambigus, des plans sur une nuisette décolletée et quelques gestes timidement caressants. Le réalisateur se montrera nettement plus hardi deux ans plus tard avec UN ANGE POUR SATAN dans lequel Barbara Steele déploiera des trésors de perversité sexuelle ! LA CRYPTE DU VAMPIRE est également assez évasif en ce qui concerne le traitement narratif et formel du vampirisme : une morsure au cou dont est victime l’une des héroïnes sera l’unique motif visuel faisant clairement référence au thème. Pas de canines protubérantes, pas de cercueil, pas de crucifix, de peur du jour ou de besoin de sang : le film choisit de suggérer la présence du vampirisme et de l’assimiler à un état mental, à la sombre mélancolie dont souffre Laura et dont Ljuba semble elle-même progressivement atteinte. Ainsi, LA CRYPTE DU VAMPIRE s’éloigne résolument de l’esprit et des modèles efficaces et colorés de la Hammer en développant une ambiance et un cadre purement mortifères dans un écrin noir et blanc mettant en valeur les tourments intérieurs de ses personnages et la magnificence du château de Balsorano (haut lieu du gothique italien) dans lequel ils évoluent. Un peu à la manière de l’insurpassable LE MASQUE DU DEMON de Mario Bava (1960) auquel le film de Camillo Mastrocinque rend hommage en décalquant une de ses scènes fétiches (le supplice de la sorcière), LA CRYPTE DU VAMPIRE hybride plusieurs thématiques fantastiques (sorcellerie, malédiction ancestrale, vampirisme, réincarnation…) sans que celles-ci soient malheureusement toujours suffisamment exploitées. A titre d’exemple, le thème de la magie noire aurait pu nourrir davantage l’intrigue et créer ainsi un intéressant climat de peur et de mystère que le long métrage ne fait qu’effleurer. Plusieurs séquences mettant en scène des rituels occultes ou satanistes sont néanmoins à signaler, à la fois pour la rareté du sujet traité et pour la réussite stylistique qu’elles apportent. L’une d’elles nous montre Rowena (la nourrice et gouvernante de Laura) invoquer le Diable pour protéger sa maîtresse ; cette dernière est allongée nue sur un sol en marbre recouvert d’un immense pentagramme. Dans une autre scène, Rowena utilisera la main fraîchement sectionnée d’un pendu comme une « main de gloire » sensée la conduire à la découverte du/de la responsable des meurtres qui ensanglantent le château et ses environs. On peut raisonnablement penser que le grand Christopher Lee, féru de sciences occultes, a pu souffler aux scénaristes l’ajout d’ingrédients ayant trait à la magie noire ; toujours est-il qu’il contribuera amplement à la conception du film de la Hammer traitant de satanisme quelques années plus tard, l’excellent LES VIERGES DE SATAN de Terence Fisher (1968).

De façon moins anecdotique, LA CRYPTE DU VAMPIRE met en exergue tout un réseau d’idées, d’images et de motifs faisant circuler le sentiment que plusieurs univers à priori antinomiques se mêlent puis se confondent. C’est le cas entre le monde réel et celui du rêve (plusieurs séquences laissent planer un doute : réalité ? cauchemar ? hallucination ?) mais surtout entre ce qui appartient au passé et ce qui relève du présent. Le premier, avec son cortège de légendes et de mythes, finit par chevaucher le second et cette idée de frontière poreuse entre les deux temporalités est merveilleusement illustrée par ce portrait d’un Karnstein qui, véritable palimpseste, révèlera un portrait plus ancien : celui de la sorcière.
LA CRYPTE DU VAMPIRE fait indéniablement partie des réussites du fantastique-gothique italien et en dépit de quelques maladresses (une interprétation peu mémorable, quelques séquences trop bavardes, un finale un peu expédié…), le film saura trouver sa place dans le cœur des amateurs, quelque part entre LA SORCIERE SANGLANTE (Antonio Margheriti, 1964) et UN ANGE POUR SATAN.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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