La dernière orgie du troisième Reich

Un texte signé Philippe Chouvel

Italie - 1977 - Cesare Canevari
Titres alternatifs : Des filles pour le bourreau
Interprètes : Daniela Poggi, Adriano Micantoni, Maristella Greco, Fulvio Ricciardi, Antiniska Nemour

Durant la folle période du cinéma Bis italien, s’échelonnant en gros de la fin des années ’50 jusqu’au milieu des années ’80, nombreux furent les réalisateurs à franchir les barrières de la morale et les limites au mauvais goût. Ce fut une période riche au cours de laquelle naquirent certains courants que l’on n’aurait jamais pu imaginer voir « s’épanouir », même dans le domaine de l’exploitation. Les sous-genres en question abordèrent tantôt la sexualité des religieuses confinées dans les couvents (Nunsploitation), la condition des femmes en univers carcéral (Women In Prison) et donc, en rapport avec le film dont il va être ici question, les exactions commises par les nazis dans les camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Ce courant, le Nazisploitation, suscita l’intérêt d’une poignée de cinéastes durant une période brève mais qui ne manqua pas, pour autant, de marquer les esprits.
C’est d’autant plus étonnant que ces œuvres n’excèdent pas la dizaine et concernent exclusivement les années 1976/77. Surprenant, aussi, le fait de voir que le Nazisploitation puise son inspiration tant dans le cinéma populaire que dans le cinéma d’auteur. Une inspiration qui trouve son origine essentiellement dans deux pays, les États-Unis (LE CAMP SPECIAL N°7 de Lee Frost en 1969, et bien sûr ILSA, LA LOUVE DES SS de Don Edmonds en 1975), et sans surprise l’Italie (PORTIER DE NUIT de Liliana Cavani en 1974, SALÒ OU LES 120 JOURNEES DE SODOME de Pier Paolo Pasolini en 1976 et SALON KITTY de Tinto Brass en 1976 également).
De cette dizaine de films réalisés en l’espace de deux ans, deux sortent véritablement du lot par le soin apporté au niveau de l’intrigue, de la mise en scène et du jeu des acteurs. Il s’agit de FRAÜLEIN SS (LA SVASTICA NEL VENTRE, appelé aussi DESTIN DE FEMME lors de sa sortie en vidéo) de Mario Caiano, et DES FILLES POUR LE BOURREAU (L’ULTIMA ORGIA DEL TERZO REICH, LA DERNIERE ORGIE DU TROISIEME REICH) de Cesare Canevari, le film qui nous concerne ici.
Lorsque l’on se penche sur la filmographie de Canevari (1927-2012), on se rend compte que celui-ci n’a réalisé qu’une dizaine de films (espacés sur une vingtaine d’années, entre 1964 et 1983), ce qui ne l’empêche pas de jouir d’une certaine notoriété dans les milieux autorisés. Cela n’est guère étonnant, dans la mesure où ce cinéaste atypique a su se démarquer des autres par la singularité de son style. Quel que soit le genre abordé au cours de sa carrière, l’homme a su capter son public, le dérouter pour mieux le surprendre. C’est le cas pour son western MATALO!, son thriller en huis-clos (UNA IENA IN CASSAFORTE) ou ses drames à connotation érotique que sont MOI, EMMANUELLE et PARTIES DECHAINEES (LA PRINCIPESSA NUDA).
Pour LA DERNIERE ORGIE DU TROISIEME REICH, Cesare Canevari s’est approprié les postes principaux, cumulant les fonctions de producteur, scénariste et réalisateur. Le film raconte le sort réservé aux femmes juives dans le camp de Naugen, à partir de 1943. Ce lieu sinistre est surnommé « Lieben Camp » car il est avant tout destiné aux soldats allemands de retour du front, récompensés par leur bravoure avec le fameux repos du guerrier. Naugen est donc un bordel pas comme les autres, mais aussi un camp d’extermination, où sont tuées en masse les filles trop jeunes ou les femmes trop âgées pour exercer la fonction de prostituée.
L’action démarre en fait cinq ans après la guerre. On y voit l’ancien officier SS Conrad von Starker revenir sur les « lieux du crime », fraîchement sorti de prison, afin de retrouver Lise Cohen, ex-prisonnière du « camp d’amour », avec qui il eut une liaison aussi trouble qu’ambiguë. Ces retrouvailles étranges sur le théâtre d’horreurs innommables, où il ne reste à présent que des ruines et le souvenir, vont conduire à de longs flashbacks durant lesquels le personnage de Lise sera le témoin et la victime de bien des tortures tant morales que physiques.
L’ULTIMA ORGIA DEL TERZO REICH se découpe en deux parties. Une première dans laquelle Lise choisit de verrouiller son esprit face aux atrocités commises envers elle et ses compagnes de fortune, espérant la mort comme unique salut. Et une seconde où la volonté de survivre devient la plus forte, et où elle se soumet donc à son bourreau, devenant la maîtresse de von Starker. Les rapports qui unissent le maître et l’esclave ne sont d’ailleurs pas sans rappeler ceux qui existaient entre Charlotte Rampling et Dirk Bogarde dans PORTIER DE NUIT.
Canevari a eu la main lourde au niveau des scènes-choc, particulièrement nombreuses et effroyables, mais malgré cela le film retient l’attention, grâce essentiellement à la personnalité complexe de Lise, là où celui de von Starker semble plus caricatural et proche des autres officiers SS décrits dans les autres Nazisploitations. Il faut reconnaître également que l’ensemble est bien filmé et tient la route, malgré un budget que l’on devine assez modeste. De ce fait, malgré son propos particulièrement scabreux, Cesare Canevari a su trouver la recette afin de ne pas proposer à son public un plat trop nauséeux, mais donner aussi matière à réflexion. Un pari qui était loin d’être joué dès lors qu’on se lance sur la pente savonneuse du Nazisploitation.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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