retrospective

La Donneuse

Délaissant momentanément les comédies érotiques, Jean-Marie Pallardy aborde avec LA DONNEUSE un sujet nettement plus sérieux et sensible, celui des mères porteuses. Interdit en France, ce recours pour les couples dont la femme ne peut concevoir un enfant est encore un sujet tabou, mais une pratique courante, via des réseaux parallèles, pour les plus fortunés, et vaudra au film quelques soucis avec la censure.
Jean-Paul et sa femme Françoise forment un couple à première vue parfait. Elle est la fille d’un riche industriel ayant fait fortune dans la sidérurgie. Il est l’associé de son beau-père, celui qui a fait fructifier le chiffre d’affaire de l’entreprise grâce à son savoir-faire. Alors que le désir d’enfant se fait pressant chez Jean-Paul, le couple est ébranlé par une terrible nouvelle, la stérilité de Françoise. Découragés par les délais qu’implique une adoption, ils acceptent la proposition faite par le médecin de famille qui se propose de leur trouver une mère porteuse. Une telle pratique étant totalement illégale, la discrétion est bien sûr de rigueur…
Le film s’ouvre sur une scène qui permet d’entrée de définir les personnages : Françoise se refuse à son mari et le couple en vient à se disputer. Puis, durant le générique, Jean-Paul dépose les enfants du voisinage à l’école tout en soliloquant sur son amour pour ces chers bambins et son profond désir d’en avoir enfin un à soi. Joué par Pallardy lui-même, Jean-Paul est présenté comme un brave type, un exemple de réussite sociale, à qui il ne manque qu’une seule chose, un enfant. Françoise, interprétée par Beba Loncar, est plus froide et distante, parfaite petite bourgeoise jouissant de son statut de riche héritière et fière de son mari bien sous tous rapports. S’il y avait de la passion dans le couple, elle s’est estompée avec le temps, laissant place à une forme de routine consensuelle qui n’autorise que ponctuellement quelques sordides rapports sexuels, courts moments de folie dans une vie bien rangée. Lorsqu’ils apprennent la grossesse de la mère porteuse, ils semblent à nouveau sur la même longueur d’onde.
Hélas, cet événement, censé les rapprocher, ne va finalement qu’accentuer la fission du couple. Jean-Paul se pose des questions sur ce qu’est vraiment une mère et décide, au mépris de toutes les règles éthiques, de partir vers les Pays-Bas afin d’y rencontrer celle qui porte son enfant. Il fait la connaissance de Sylvia (Willeke Van Ammelrooy, alors compagne de Pallardy), mère célibataire qui travaille dans un bar. Chaleureuse et souriante malgré une vie que l’on devine difficile, elle est l’opposée de Françoise. Irrésistiblement attiré par Sylvia, il passe de plus en plus de temps avec elle et son petit garçon, finissant par tomber amoureux. Lorsqu’il se décide à lui avouer son amour, c’est au téléphone, en plein conseil d’administration, alors que son beau-père lui laisse les rênes de la société. Alors qu’il est route pour la rejoindre et lui annoncer qu’il est le père de l’embryon en gestation, Sylvia décide, pour repartir à zéro avec cet homme merveilleux, de subir un avortement clandestin…
La deuxième partie du métrage donne dans la love story à tendance mélodramatique et Pallardy nous offre quelques séquences hautement ridicules qui tranchent parfois brutalement avec le reste du métrage. Si la promenade en famille dans un champ de tulipes passe encore, les séquences de séduction en Martinique, qui culminent avec la scène d’amour sur une plage de sable blanc, dans l’écume des vagues, n’offrent pour seul intérêt que de mettre en valeur la charnelle beauté de l’actrice Willeke Van Ammelrooy.
A l’instar des autres films de son auteur, LA DONNEUSE n’est pas sans défauts techniques, ainsi le montage est souvent hasardeux et donne l’impression d’avoir été rapidement bricolé, d’autant plus que le doublage sonore n’est pas toujours des plus synchro et que la photographie a bien du mal à rester homogène sur l’ensemble de l’œuvre. En dépit de ses nombreux défauts le film se laisse pourtant voir et parvient même à intéresser du début à la fin sans baisse de régime grâce à ses acteurs, presque toujours convaincants et son scénario qui conduit ses protagonistes vers un destin tragique. Au rayon invité surprise, on pourra s’étonner de la présence, extrêmement furtive, de Rutger Hauer, apparemment grand ami de Pallardy et ex compagnon de Willeke, qui a lui aussi tourné dans une love story tragique, de bien meilleure qualité, TURKISH DELIGHT (Paul Verhoeven, 1974) avec lequel LA DONNEUSE entretien quelques similitudes.
Même s’il est loin d’être parfait, le film reste le préféré de son auteur qui, un quart de siècle plus tard, en fera un remake, FEMMES OU MAÎTRESSES. Ni meilleur, ni pire, cette nouvelle version ne possède toutefois pas le charme et la spontanéité de l’originale.
Pour finir notons que, années 70 et arrivée en force de porno obligent, Pallardy se laissera convaincre d’inclure deux scènes hard dans son film, peu de temps après le tournage. Cette version, un temps approuvée par Pallardy, parfois retitrée CONTRE NATURE, sera la seule disponible jusqu’à ce que le réalisateur, regrettant cette erreur de jugement, supprime ces ajouts totalement inutiles, mais ne dénaturant pas la trame du récit pour autant. Par la suite d’autres remontages sauvages feront leur apparition, éliminant plus de la moitié du métrage d’origine pour la remplacer par des séquences pornographiques hors sujet, dont les nouveaux titres, résumant bien la poésie frénétique des distributeurs de l’époque, sont on ne peut plus explicites, à l’image de l’engageant ENTREZ AUSSI PAR DERRIERE.
En attendant, la meilleure version pour apprécier ce film reste celle initiée par son auteur, à la demande de sa compagne Willeke qui souhaitait un rôle de composition dans une œuvre tragique afin de changer de registre, LA DONNEUSE.

Share via
Copy link